Télescopage

Didier Saint-Georges, Carmignac

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L’inversion de tendance des banques centrales est d’une importance majeure. Mais elle fait émerger deux autres forces: le cycle économique et les politiques gouvernementales.

Après avoir pris la main pendant des années sur les destinées économiques du monde développé, et plus encore sur les marchés financiers, les Banques centrales sont visiblement arrivées plus ou moins au bout de l’exercice. C’est tout particulièrement le cas de la Banque centrale américaine, qui au lieu de continuer de fournir des liquidités au système a commencé désormais à en soustraire. En fragilisant tout l’édifice des marchés, construit sur dix années de liquidités surabondantes, cette inversion de tendance est d’une importance majeure pour les investisseurs. Mais ce reflux du soutien monétaire fait aussi émerger deux autres forces, jusqu’à récemment mises sous le boisseau écrasant des politiques monétaires exceptionnelles: le cycle économique et les politiques gouvernementales. 
Côté cycle, les marchés se sont pour l’instant rassurés en se félicitant depuis deux ans d’une embellie économique générale, prolongée aux États-Unis par la politique budgétaire expansionniste du président Trump. Ce cycle commence à montrer ses premiers signes d’essoufflement (voir l’article publié le 13 juin 2018 «Compte à rebours»).

Côté politique, l’économie libérale et mondialisée des dernières années, qui a attisé le renchérissement des actifs financiers mais guère profité aux revenus salariés, a provoqué l’émergence d’une forme de rébellion, aux États-Unis, en Amérique latine comme en Europe, souhaitant contester l’ordre économique établi. Nous évoquions l’an passé l’enjeu de moyen terme que cette nouvelle phase politique, aussi respectable fût-elle, représentait pour les investisseurs (Carmignac’s Note d’avril 2017 «Les investisseurs de long terme devraient se défier du populisme»). 

C’est cette collision entre cycles monétaire, économique et politique qui constitue le principal risque pour les marchés aujourd’hui, au-delà de leur focalisation à court terme sur sa seule composante politique.

 
La guerre commerciale aura-t-elle lieu?

L’assaut mené par les États-Unis contre la forteresse commerciale chinoise, conjugué au tarissement de la source mondiale de dollars, compte déjà ses premières victimes. La Bourse chinoise a perdu 15% de sa valeur depuis le début de l’année et, par contagion, les actifs financiers du monde émergent, notamment leurs devises, se sont affaissés. Les économies les plus dépendantes d’un financement externe en dollars ont naturellement le plus souffert, au premier rang desquelles l’Argentine, dont les progrès réguliers mais encore fragiles du programme de réformes ont été balayés par une violente bourrasque de défiance des investisseurs.

«Il ne faut pas voir dans Donald Trump un héros homérien,
porté par le destin vers une guerre inexorable qui ne trouvera son issue
que dans l’anéantissement de l’un des protagonistes.»

Il existe aujourd’hui dans l’Administration américaine des voix influentes, porteuses d’un courant idéologique, qui présentent sans ambages la Chine comme l’ennemi stratégique, dont il faut casser la dynamique. Si l’ambition des États-Unis est en effet, sous le couvert d’une empoignade sur les droits de douane, d’empêcher la Chine de mettre en œuvre son plan stratégique «Made in China 2025», alors la confrontation sera longue et destructrice. Le président chinois Xi Jinping n’est certainement pas disposé à renoncer à son ambition de poursuivre l’ascension de la Chine sur la chaîne de valeur industrielle globale. L’offensive annoncée contre les importations d’automobiles allemandes procède du même enjeu, l’Union européenne étant rassemblée face à la posture américaine. Mais est-il certain qu’il faille voir en Donald Trump une sorte de héros homérien, porté par le destin dans une guerre inexorable, qui ne trouvera son issue que dans l’anéantissement de l’un des protagonistes? Il est parfaitement plausible que, au contraire, l’aspiration américaine soit pragmatique, politique, et de beaucoup plus court terme. Les élections de mi-mandat du Congrès des États-Unis qui auront lieu le 6 novembre prochain sont naturellement un objectif de première importance pour Donald Trump, dont le Parti républicain n’est pas donné gagnant dans les sondages à ce jour. Parvenir avant ce scrutin décisif à s’enorgueillir d’accords avec la Chine, et si possible aussi avec l’Union européenne, qui ne manqueraient pas d’être présentés comme des victoires héroïques, serait du meilleur effet auprès de l’opinion américaine. Une stratégie d’investissement ne doit par conséquent pas exclure l’opportunité d’une issue rationnelle le moment venu.

À ce sujet, le dollar, qui profite aujourd’hui d’une économie américaine encore vivace, d’une aversion générale au risque et d’une Banque centrale toujours déterminée, pourrait dans le même temps perdre de sa superbe, le ralentissement du cycle aidant, et l’éloignement du scénario du pire pourrait faire apparaître des niveaux d’entrée alors convaincants au sein des actifs émergents de qualité.

À court terme, le souci de préservation du capital dans tous les scénarios incite ainsi à la plus grande prudence, mais avec toute la flexibilité et la réactivité nécessaires, le pire n’étant jamais sûr.

La zone euro est-elle condamnée?

La contestation au sein de la zone euro de ce qui est perçu comme une construction tour à tour inefficace, rigide, bureaucratique, injuste, voire antidémocratique, est croissante. Mais ce sont bien ses insuffisances qui sont l’objet d’un désaveu croissant, et non son existence. Les mouvements de panique qui accompagnent occasionnellement les velléités exprimées ici ou là de sortie de la zone euro manquent l’essentiel: l’opinion publique a partout bien compris que le coût d’un retour à sa monnaie d’origine par un quelconque pays serait prohibitif. À tort ou à raison, l’euro est à ce jour irréversible, comme le rappelait encore récemment Mario Draghi.

En revanche, le fonctionnement de l’ensemble de l’Union européenne présente un besoin urgent de réformes, sous peine de secousses récurrentes qui finiraient bel et bien par venir à bout de l’édifice. Le président français Emmanuel Macron l’a bien compris, la chancelière Angela Merkel aussi. Elle pourrait donc user de son dernier mandat à la tête de l’Allemagne pour favoriser ce mouvement. Sur le plan économique, une initiative de cette dernière pourrait par exemple consister à réunir sa coalition autour d’un projet de réforme fiscale, qui exploiterait une partie des très larges marges de manœuvre dont dispose l’économie allemande.

«Le véritable risque pour les marchés européens demeure celui du cycle.»

Ce geste de leadership politique serait une réponse crédible au risque de ralentissement économique déjà perceptible, et positionnerait davantage le pays en locomotive de la croissance européenne plutôt que continuer d’assumer principalement le rôle de surveillant sourcilleux du respect des contraintes d’équilibre de Maastricht. La CSU, partenaire conservateur de la CDU, une fois rassurée sur ses préoccupations migratoires pourrait sans nul doute apporter son soutien à un programme de réduction de la pression fiscale. C’est probablement l’une des erreurs les plus récurrentes des observateurs anglo-saxons d’avoir à l’occasion de chaque crise européenne sous-estimé la volonté politique qui est capable de se rassembler autour de la survie de la zone euro. Le véritable risque à court terme demeure selon nous celui du cycle économique (voir l’article publié le 13 juin 2018 «Compte à rebours»), du fait de stabilisateurs monétaires épuisés, et de stabilisateurs budgétaires très insuffisants faute de réformes.

Les menaces de protectionnisme sont naturellement anxiogènes pour la plupart des acteurs économiques. Mais ce constat vaut aussi pour les États-Unis où le monde des affaires commence à signaler à l’Administration américaine les risques d’une telle politique. Paradoxalement, le fait que son impact direct et immédiat sur la croissance économique américaine soit très faible renforce le risque du maintien d’une posture politique très rigide dans l’immédiat. L’actualité pour les marchés est ainsi devenue aujourd’hui principalement politique, ce qui réduit la visibilité et incite à la prudence. Mais des forces de rappel, autrement dit de bon sens, devraient continuer de se multiplier pour aboutir à des compromis bénins. 

Rappelons que le véritable risque pour les marchés est plus complexe, donc moins bien appréhendé à court terme : il réside dans la possibilité d’un télescopage entre ces politiques économiques déstabilisatrices, un cycle économique devenu vulnérable, et des Banques centrales à court de munitions.

Achevé de rédiger le 30/06/2018.

 

Stratégie d’investissement
Les actions

La rhétorique politique a été le principal facteur d’influence sur les marchés au cours du mois de juin. Les craintes d’une guerre commerciale ont secoué les Bourses émergentes, au premier rang desquelles le marché chinois. L’accélération des risques politiques en Italie, fragilisant la voie vers plus d’intégration européenne, a pesé sur les actions du Vieux Continent. Dans ce contexte, les valeurs de technologie américaines se sont, une fois de plus, illustrées en faisant preuve de résilience, portées notamment par le rebond de Facebook après les faiblesses du mois de mars.
L’instabilité créée par le changement de régimes politique, monétaire et économique nous incite à poursuivre le renforcement de notre exposition aux valeurs de qualité au détriment des secteurs fortement vulnérables à ces évolutions. Au-delà de nos investissements dans le secteur technologique, nous nous attachons à trouver des opportunités dans la consommation, capables d’offrir des perspectives de croissance structurelle satisfaisante dans un secteur fortement menacé par les modèles innovants des sociétés Internet. En parallèle, nous avons pris des bénéfices sur certaines sociétés technologiques affichant des niveaux de valorisation élevés. Afin de poursuivre la réduction du risque au sein de nos portefeuilles, nous avons mis en place des positions vendeuses ciblées notamment sur le secteur bancaire américain, ce dernier étant pénalisé par l’aplatissement de la courbe des taux et par des indicateurs macro-économiques vulnérables.

Les taux

Les divergences de politique monétaire entre les Banques centrales européennes et américaine se sont confirmées au cours du mois de juin. La résilience de la croissance américaine incite la Fed à poursuivre la remontée des taux courts alors que la BCE s’est engagée à ne pas relever ses taux avant la fin de l’été 2019. La fin du mois, riche en actualités politiques, a fait ressurgir des craintes sur les marchés obligataires entraînant des tensions sur les taux périphériques, en parallèle d’une détente des taux allemands et américains. Sur le front de la dette émergente, les tensions se poursuivent.
Dans cet environnement, nous poursuivons la réduction du risque initiée depuis le début de l’année en réduisant notre exposition aux dettes périphériques et à la dette émergente. En parallèle, nous avons eu recours à des instruments dérivés ciblés destinés à réduire le risque de crédit. Enfin, nous maintenons une position acheteuse sur les obligations souveraines américaines qui constituent une police d’assurance en cas de dégradation de l’environnement tout en offrant un rendement plus attractif qu’en Europe.

Les devises

L’élément marquant du mois concerne la devise chinoise qui s’est dépréciée de plus de 3% par rapport au dollar et sur laquelle nous avons une position vendeuse. La belle performance du yuan par rapport aux autres devises émergentes depuis le début de l’année et l’assouplissement de la politique monétaire nous amènent à penser que ce mouvement pourrait persister. Le dollar s’est quant à lui renforcé dans ce contexte volatil vis-à-vis de l’euro. 
Notre allocation devises reste ainsi concentrée sur la réduction des risques : nous maintenons une position acheteuse sur le yen afin de bénéficier de son statut d’actif refuge et conservons notre surpondération au dollar visant à contrebalancer notre exposition aux actifs émergents et aux matières premières.

Source: Bloomberg, Carmignac, 30/06/2018.

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