Télégramme de fin d'année

Martin Neff, Raiffeisen

5 minutes de lecture

G20, Brexit, conférence sur le climat et sommet des ministres des finances de l’UE sous la loupe de Martin Neff, chef économiste de Raiffeisen.

Il est pratiquement impossible de résumer à peu près clairement tout ce qu’il s’est passé au cours de ces dix derniers jours. Nombreux sont ceux qui pensent que ce n’est plus un problème aujourd’hui, grâce à la  numérisation. Les mots sont désormais abrégés dans les SMS, la propre humeur s’exprime de manière concise avec des  Emojis et le tout est expédié et réceptionné en un clin d’œil avec le pouce ou l’index. Les politiciens utilisent eux aussi cette technologie pour communiquer des messages importants, voire pour fixer un cap. Et je ne pense pas (uniquement) à Donald Trump. Lundi dernier, Emmanuel Macron est par exemple sorti d’un long silence pour s’exprimer sur Twitter à propos de la révolte dans son pays et a notamment annoncé le relèvement du salaire minimum de 100 euros. Il souhaiterait  par ailleurs que les heures supplémentaires ne soient plus assujetties à l’impôt ou aux charges sociales. Et il s’est excusé pour la mauvaise appréciation de la situation dans son pays. Mais la France n’est pas la seule à nous préoccuper ces derniers jours. Il y a également eu de nombreux autres événements dont le compte rendu nécessiterait des pages et des pages. Je vais donc rester bref pour me conformer à l’air du temps et éviter les digressions, tout en restant dans le cadre de cette communication.

G20

Ce qu’il y a de mieux dans le G20 qui s’est tenu à Buenos Aires, c’est tout simplement qu’il ait pu avoir lieu. Contrairement au match retour de la finale de la Copa Libertadores (l’équivalent de la ligue des champions européenne) qui a finalement été transféré de Buenos Aires à Madrid après deux tentatives qui ont toutes deux échoué pour cause de débordements massifs. La victoire 3:1 de River Plate Buenos Aires sur son rival local Boca Juniors dans les prolongations est tout au plus anecdotique après une telle entrée en matière. La deuxième meilleure chose dans le sommet du G20 évoqué est que les chefs d’Etat et de gouvernement présents ont au moins pu se mettre d’accord sur une déclaration finale commune, que Donald Trump a finalement fait capoter. L’armistice dans le conflit commercial entre les Etats-Unis et la Chine négociée en marge du sommet a toutefois été relativisé quelques jours après avec l’arrestation de la directrice financière du groupe technologique chinois Huawei, Weng Wanzhou, au Canada, à la demande des Etats-Unis (elle a entre-temps été relâchée contre le paiement d’une caution). Le meilleur dans l’optique de la Suisse: le président de la FIFA Gianni Infantino était également présent au G20. Mais qu’est-ce qu’il est venu faire là-bas?

Conférence sur le climat...

Le sommet sur le climat est certes en cours à Katowice en Pologne. Mais la principale conclusion à ce stade est que le réchauffement climatique est une réalité et non une fausse nouvelle. La deuxième conclusion est que des mesures ont certes déjà été prises pour contenir le réchauffement climatique, mais qu’il faut faire bien plus. Sans compter que le temps presse, car les valeurs climatiques extrêmes commencent déjà à se multiplier. Pour finir, il s’agira de nouveau de formalités, p. ex. pour savoir si et surtout comment intégrer le rapport de l’IPPC (Intergovernmental Panel on Climate Change, GIEC en français) dans le document final. Cela ne nous rapproche pas vraiment des objectifs de l’accord de Paris sur le climat (réchauffement d’au plus deux degrés). Le meilleur dans l’optique de ceux qui ne sont pas tellement versés dans les questions climatiques: Arnold Schwarzenegger a secoué le sommet sur le climat (selon le quotidien Welt) et Trump serait un «leader maboul». Mais qu’est-ce qu’Arnold est venu faire là-bas?  

... et la Suisse?

Avant-hier, la révision de la loi sur le CO2 a fait naufrage au Conseil national. En 2017, le Parlement avait déjà refusé l’adoption du Système incitatif en matière climatique et énergétique (SICE), un train de mesures destiné à appliquer la nouvelle stratégie énergétique. A l’époque, on pensait pouvoir approcher les objectifs climatiques de l’accord de Paris également au travers de la loi sur le CO2 remaniée. Certainement pas. Les arguments avec lesquels le projet a été rejeté sont difficilement supportables. Une malheureuse augmentation du prix des billets d’avion fait craindre que les passagers aériens suisses puissent se reporter  sur d’autres aéroports. Tu parles d’un pays exemplaire en matière écologique. Nous jetons certes consciencieusement nos bouteilles dans des conteneurs et collectons les papiers et le carton comme des champions du monde, mais nous sommes en pointe pour la consommation de plastique et les déchets ménagers. Il s’agit au fond d’une éthique situationnelle. Le Conseil des Etats parviendra-t-il à sauver au moins quelques bribes de la loi sur le CO2 – peut-être la taxe carbone?

Sommet des ministres des finances de l’UE

Les ministres des finances de l’UE se sont une nouvelle fois réunis à Bruxelles, avec un agenda toujours aussi ambitieux. Les résultats sont en revanche tout sauf ambitieux. La discussion autour d’un budget (public) commun pour la zone euro a été différée. Les discussions sur l’introduction d’un impôt sur les transactions financières et la numérisation n’ont mené à rien. Et il n’y aura sans doute pas non plus de ministre européen des finances dans un proche avenir. Le ministre allemand des finances Olaf Scholz n’en a pas moins affirmé qu’on avait obtenu un bon résultat après 16 heures de négociations en partie nocturnes. La réforme de l’euro aurait enregistré des progrès décisifs. Seul le différend avec l’Italie n’a pas encore été réglé. On peut se demander pourquoi? Pourquoi pinailler pour savoir si l’Italie budgétisera un déficit de 2,2%, de 2,4% ou de 2,6%? Car au final, la valeur sera de toute façon plus élevée. En vérité, toute cette négociation marathon a porté quasi-exclusivement sur le mécanisme de stabilité européen (MSE) et son fonds de sauvetage de l’euro. Celui-ci doit être élargi et ses garanties doivent s’étendre au secteur bancaire. Il est destiné à la résolution de défaillance bancaire et au cas où le fonds  prévu à cet effet, le SRF (Single Resolution Fund, partie intégrante du Single Resolution Mechanism, mécanisme de résolution unique en français) serait insuffisant à cet effet. C’est délicat, dans le sens où le MSE est financé par l’impôt alors que le SRF est alimenté par le secteur bancaire, qui doit le compléter d’ici 2024. Une fois qu’il sera entièrement approvisionné, le MSE accorderait une limite de crédit de 60 milliards d’euros pour les banques en souffrance. Mais que se passerait-il si une crise financière devait éclater avant?

Inquiétudes conjoncturelles

Depuis l’été, de nombreux indicateurs avancés suggèrent que la conjoncture pourrait subir un coup d’arrêt. Au troisième trimestre, l’Allemagne (-0,2%) et le Japon (-0,3%), mais aussi la Suisse (-0,2%) et l’Italie (-0,1%) ont glissé dans le rouge. Certaines données du marché du travail aux Etats-Unis ont déçu et ont surtout inquiété les acteurs du marché financier. Il faut dire que ces derniers n’ont cessé de revoir leurs attentes à la hausse, alors que le cycle conjoncturel US était déjà très avancé et que le pays connaît pratiquement le plein emploi. Nous y revoilà. Celui qui ne saute pas trois mètres en hauteur déçoit le marché. Il reste à espérer qu’il n’y ait pas bientôt un fort cycle de correction des prévisions, car nous entrerions alors dans une phase de prophétie auto-réalisatrice. Ne faudrait-il pas d’emblée placer la barre un peu moins haut, au lieu de cette fluctuation incessante.

Brexit

Les événements se précipitent en Grande-Bretagne. Tous pensaient que nous aurions enfin un accord de sortie équitable ou au moins acceptable pour tous et qu’il serait soumis au vote du Parlement britannique cette semaine. Mais subitement Theresa May a différé ce vote, au motif qu’elle voulait renégocier l’accord avec l’UE. Vouloir ainsi gagner du temps n’est pas sans risques. Mais elle voulait également sauver la face, car l’accord sur le Brexit n’avait pratiquement aucune chance d’être accepté par la Chambre des communes britannique, selon les observateurs politiques. Le vote est désormais prévu le 21 janvier. Le président du Conseil européen Donald Tusk a convoqué un sommet sur le Brexit pour ce jeudi. La reculade de Theresa May serait apparemment due au Backstop, qui doit empêcher les contrôles aux frontières entre l’Irlande du Nord britannique et la République d’Irlande qui est membre de l’UE. Même s’il est compréhensible dans une perspective historique britannique, le Backstop n’est évidemment pas logique. Car il existe des contrôles à toutes les frontières extérieures de l’UE. L’incertitude règne donc toujours à propos du Brexit, mais au moins a-t-elle été balayée en ce qui concerne le vote de défiance. Hier soir, Theresa May a été confirmée dans sa fonction de cheffe du parti conservateur de gouvernement avec une majorité incontestable (200 voix pour, 127 voix contre). Mais revenons-en au Backstop. Ce terme paradoxal sert également à désigner la limite de crédit susmentionnée du MSE. Que serait l’Europe sans la Grande-Bretagne?

Les bourses américaines sont également orientées à la baisse

L’écran s’illumine pratiquement tout le temps en rouge quand on regarde les cotations boursières actuelles. Dans certains pays, les revers sont conséquents, en Chine ils sont parfois de 25% et plus, en Europe ils sont presque toujours à deux chiffres et en Suisse nous sommes aux alentours de moins 6,5% (situation le 12 décembre 2018, à 11h30). Seul le NASDAQ, la bourse technologique américaine était encore légèrement dans le vert hier, tout comme l’indice IBOVESPA. Toutes ces données valent pour la monnaie nationale respective. Je n’ose m’aventurer à prédire s’il y a eu hier un début de reprise ou plus. Je suis en revanche certain que les acteurs des marchés financiers (US) ne savent pas vraiment s’ils doivent se réjouir ou non d’un relèvement des taux d’intérêt la semaine prochaine. Il semble en revanche certain que les bourses auront désormais plus de mal que ces dernières  années à digérer toutes les turbulences qui se sont accumulées. Peut-être 2018 n’était-elle qu’un avant-goût de désagréments bien plus importants.

Peu de mouvement en Suisse

Et que fait notre Banque nationale (BNS)? Elle maintient stoïquement le cap, met en garde contre les bulles immobilières, garde le silence sur son bilan colossal, évoque le différentiel de taux d’intérêt pour maintenir une politique de taux bas impossible, alors qu’elle n’a pas permis de déprécier le franc. Peut-être la BNS finira-t-elle enfin par infléchir sa politique, comme ce fut le cas en 2014, lorsqu’elle a ressenti un vent politique contraire. Je ne suis en tous cas plus tout seul avec mes réserves concernant les taux négatifs. Les médias, même ceux qui ont longtemps pris des gants avec la BNS, évoquent déjà un petit soulèvement contre la politique de taux négatifs. Et même des associations réputées expriment à présent des critiques, ouvertes ou voilées, à l’encontre de nos autorités monétaires.

A lire aussi...