Shinzo Abe, l’allié oublié

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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Alors qu’il clôt son sixième exercice fiscal, le premier ministre Shinzo Abe ne peut afficher qu’un bilan économique bien fragile, tandis que sa position politique et diplomatique s’érode.

Pour Shinzo Abe c’est la douche froide. Sur le plan domestique comme international le premier ministre japonais connaît bien des déconvenues: fragilisé par un scandale financier, il a subi coup sur coup l’annonce surprise d’une rencontre Trump/Kim Jung Un, sa mise à l’écart dans des discussions qui impliqueraient désormais la Chine et la Corée du Sud, et l’exclusion du moratoire tarifaire européen et canadien sur ses exportations d’acier et d’aluminium. Cajoler le président Trump au travers de ce qu’on a appelé la «diplomatie du parcours de golf» n’a pas suffi. Celui-ci, toujours accroché au souvenir des batailles commerciales des années 80, entend obtenir du Japon un accord transpacifique bilatéral – une sorte d’exemple à l’encontre des accords multilatéraux qu’il rejette.

Depuis le début de l’année, la Bourse de Tokyo est en repli de plus de 7% (en devise locale). Suivant l’ensemble des mouvements mondiaux, le Japon subit également le contrecoup de l’appréciation continue de sa devise contre le dollar. Proche du seuil de 105 yens/dollar, le retour à la parité comme à l’été 2016 n’est pas à exclure. La hausse du yen, valeur refuge pour les capitaux de la région, pèse sur les performances bénéficiaires des entreprises du pays au moment du rapatriement de leurs fonds. 

Les reliquats du salariat à vie poussent à préférer
la stabilité à la progression des revenus

Sur le plan conjoncturel, le bilan du premier ministre japonais est assez flatteur, mais mal assuré: le Japon affiche pour le septième trimestre consécutif une croissance réelle supérieure à son potentiel et semble bien être sorti de la déflation. Le marché du travail avec un taux de chômage à 2,8% n’a jamais été aussi tendu depuis les années 70 - le pic de l’activité du pays. Son commerce extérieur toujours aussi florissant, ses grands groupes industriels, lui assurent la troisième place dans le concert économique des nations. Il n’en demeure pas moins que le Japon manque de ressort. Shinzo Abe n’a pas su renverser la tendance économique marquée par une croissance potentielle estimée à seulement 0,8%, une population en diminution, une productivité médiocre. 

Il en est ainsi du marché du travail où les salaires n’accélèrent toujours pas: les reliquats du salariat à vie poussent à préférer la stabilité à la progression des revenus; l’arrivée des femmes sur le marché du travail s’est faite à des salaires bien inférieurs; les remplacements générationnels ne favorisent pas la hausse des revenus. Le travail à temps partiel n’a fait qu’ajouter à ces pressions, sans que la productivité générale du travail ne progresse significativement.

Les entreprises – riches de cash – pressées d’investir, restent frileuses face au risque de voir la demande extérieure ralentir, tandis que l’organisation économique du pays, héritée de la reconstruction, n’a guère favorisé le développement des start-up, dans un modèle de développement de type Stilicon Valley.

Le Japon a changé, mais pas encore assez.

Les mesures gouvernementales de soutien à la croissance en augmentant les dépenses de sécurité sociale se heurtent au manque de marges de manœuvre budgétaires, alors que le pays a accumulé une dette colossale de 240% du PIB, dont 40% est détenu directement par la banque centrale. Le gouverneur Kuroda, dont le mandat vient d’être renouvelé, entend poursuivre sa politique ultra-accommodante et dite de contrôle de la courbe des rendements, ce qui se traduira par la poursuite d’achats d’actifs, notamment publics. Il n’en avertit pas moins le gouvernement sur l’importance de la dette et la nécessité de tenir ses finances, encourageant implicitement à mettre en œuvre la hausse de la TVA prévue en 2019. 
L’économie japonaise clôt l’année 2017 sur une croissance de 1,5%, elle pourrait se tasser légèrement cette année du fait d’un ralentissement des exportations et des investissements. Le Japon a changé, mais pas encore assez: puissance industrielle, le pays s’est mué en destination touristique et influence culturellement le reste de la région. Mais Shinzo Abe – qui cherche à modifier les termes de la constitution pacifique de 1946 - se trouve encore tenu à l’écart d’un dialogue transpacifique où les intérêts vitaux du pays sont pourtant en jeu. 

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