SEC: premières sanctions contre les ICO

Cyril Gomez

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Le régulateur avait prévenu Airfox et Paragon Coin que les tokens de leurs ICO seraient considérés comme des titres financiers à part entière.

Le gendarme américain des marchés financiers (SEC) a annoncé vendredi être arrivé à un règlement avec deux entreprises ayant procédé à une offre initiale de tokens (Initial Coin Offering) ou ICO. Il s’agit des premières sanctions civiles imposées par la SEC pour violation de la législation sur l’enregistrement de titres financiers. Airfox et Paragon Coin (PC), les deux entreprises mises en cause, ont ainsi non seulement accepté de rembourser les investisseurs «lésés», mais également d’enregistrer les tokens en tant que titres financiers, publier des rapports périodiques auprès de la SEC et s’acquitter d’une pénalité.

Les deux émetteurs avaient poursuivi leurs plans d’émettre des ICO en 2017, alors que la SEC les avait préalablement prévenus dans un rapport qu’une telle opération pourrait être associée à une offre de titres financiers. Airfox avait alors levé pour 15 millions de dollars d’actifs tokénisés pour financer son nouvel écosystème.

«Nous avions bien stipulé que les entreprises réalisant des ICO
étaient tenues de se conformer à la législation et aux règles en vigueur
gouvernant l’enregistrement de titres.»

Airfox, opérant au sein de l’écosystème Ethereum (ETH), est conçu pour faciliter l’accès au crédit des utilisateurs de marchés émergents dépourvus de comptes bancaires, effectuer des paiements, acheter et vendre des services. PC avait pour sa part levé 12 millions de dollars pour financer le développement d’un écosystème dédié au négoce, l’achat et la vente du cannabis, ainsi qu’à la gestion des données légales sur blockchain englobant toute la chaîne de production.

«Nous avions bien stipulé que les entreprises réalisant des ICO étaient tenues de se conformer à la législation et aux règles en vigueur gouvernant l’enregistrement de titres», a rappelé Stephanie Avakian, co-directrice de la Division d’Application de la Loi de la SEC. «Ces deux cas particuliers sont un avertissement, pour ceux qui envisageraient d’entreprendre des actions similaires, que nous restons vigilants quant aux violations des lois fédérales relatives aux titres financiers dans le cadre des actifs digitaux», a-t-elle précisé vendredi.

La SEC a également fait allusion à une ICO prévue pour décembre 2017 par la start-up californienne Munchee, mais que celle-ci était parvenue à annuler avant son lancement. Munchee a créé une application sur iPhone permettant la critique des repas de restaurants. Elle entendait lever 15 millions de dollars via l’émission de tokens MUN afin d’améliorer l’application et rassembler des utilisateurs censés acheter de la publicité, écrire des articles et vendre des repas.

«Airfox et PC ont consenti à respecter l’ordre
sans toutefois admettre ou nier les constatations.»

«La SEC n’a imposé aucune sanction ou ouvert d’enquête à l’encontre de Munchee, la société ayant arrêté son ICO et promptement remboursé les investisseurs», poursuit Stephanie Avakian. Mais une sanction de 250’000 dollars a été infligée à Airfox et PC, désormais tenues de se conformer aux dispositions de la SEC Act de 1934. «Airfox et PC ont consenti à respecter l’ordre sans toutefois admettre ou nier les constatations», précise le gendarme des bourses américaines.

Les réactions à cette décision ont été multiples et essentiellement diffusées sur les réseaux sociaux, ceux-ci étant le médium privilégié des acteurs et utilisateurs de l’univers des actifs tokénisés. Ainsi, Barry Silbert, fondateur et CEO de Digital Currency Group, un incubateur pour start-up actives dans les technologies blockchain, a tweeté lundi: «Ma recommandation aux émetteurs d’ICO est de précéder le mouvement en fermant boutique, en retirant tous les tokens de la cote, en remboursant les investisseurs et adoptant un modèle d’affaires normal ne nécessitant pas de tokens.» 

Ce même tweet a été relayé par le sulfureux Craig Wright, leader du fork Bitcoin Cash SV (BCHSV) né jeudi dernier, actuellement en guerre ouverte contre son ancien associé Roger Ver, qui se trouve être le leader du fork désormais concurrent Bitcoin Cash ABC (BCHABC). Ces deux nouvelles blockchain sont toutes deux des embranchements séparés de la blockchain initiale Bitcoin Cash (BCH) nés d’un fork du Bitcoin (BTC) traditionnel survenu en août 2017.

«Prochaine cible, XRP, cette autre plateforme de titres financiers
non enregistrée vouée à s’effondrer.»

Craig Wright est en effet opposé aux ICO refusant de s’assumer en tant que titres financiers au sens littéral du terme. Celui-ci soutient que dès lors qu’un token est échangé dans le but d’en retirer un gain en capital, un tel token n’a pas de vocation strictement utilitaire, à l’instar d’une monnaie, et doit être régulé par les marchés financiers. «Tous les cas d’usage de l’ETH n’existent plus depuis la confirmation de la SEC sur toutes les ICO», déclare Craig Wright dans un tweet, ne cachant pas sa satisfaction. 

ETH, la cryptomonnaie de l’écosystème Ethereum, est largement utilisée dans les ICO et les contrats intelligents dits smart contracts. Pour Craig Wright, ETH est négocié dans le but de réaliser un profit futur et appartiendrait ainsi à la catégorie des titres financiers. «C’est ce que je dis depuis des années. Prochaine cible, XRP, cette autre plateforme de titres financiers non enregistrée vouée à s’effondrer», prédit l’investisseur.

En baisse de plus de 85% depuis le début de l’année, XRP, promue par la société Ripple, est un écosystème partiellement décentralisé qui, au lieu de faire reposer son système de validation des transactions sur la preuve de travail (Pow), le fait reposer sur la confiance en procédant à la sélection discrétionnaire d’entités en charge de la validation des transactions. Fondée en 2012, XRP est particulièrement destinée aux entreprises, banques, plateformes d’échanges et prestataires de services de paiement. La vitesse de transaction de Ripple serait, selon la société, 500 fois plus élevée que celle de Bitcoin (BTC).

Il n’existe pas de réglementation spécifique en Suisse couvrant les ICO.

En fin de semaine dernière, réagissant aux propos de Craig Wright, Sagar Sarbhai, en charge de la réglementation et des relations avec les gouvernements chez Ripple, a insisté sur le fait que XRP ne confère aucun droit à ses détenteurs sur la société Ripple, comme le font nécessairement les actions ou les obligations. «Ripple et XRP sont deux entités différentes. Donc, si demain, Ripple devait disparaître pour une raison ou une autre, le registre XRP lui survivrait. XRP est open-source. N’importe qui peut l’utiliser», a répondu Sagar Sarbhai.

A l’appui des arguments de Ripple, la SEC avait indiqué qu’elle ne considérerait pas XRP comme un titre financier. D’après une étude récente du consultant PricewaterhouseCoopers (PWC), il n’existe pas de réglementations spécifiques en Suisse couvrant les ICO. En fonction de leur utilité finale, une ICO peut y être considérée comme une monnaie, un moyen d’accès à un service ou un titre financier. La FINMA traite cependant en tant que titres financiers les tokens issus d’ICO sous forme de produits dérivés, de même que ceux mis en circulation au moment de la levée de fonds.

«Le préfinancement correspond à une situation dans laquelle les investisseurs ont l’espoir de recevoir des tokens dans le futur, alors que les ceux-ci et la blockchain se trouvent en cours de développement», expliquent les experts de PWC. «Les tokens émises avant une ICO et qui donnent droit à leurs détenteurs d’acquérir différents tokens à une date future sont appelés pré-ventes», précisent ces derniers. Et sont ainsi soumis à la supervision réglementaire de la Finma.

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