Rachats d’actions encore plus prisés, mais pas forcément sensés

AWP

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«Ces programmes ne résolvent pas les problèmes des banques, car ils n’ont rien à voir avec les activités opérationnelles», assure Martin Wallmeier, professeur à l’Université de Fribourg.

Les rachats d’actions ont le vent en poupe: les grandes entreprises cherchent à plaire à leurs actionnaires en rachetant leurs propres titres à coup de milliards, ce qui a pour effet de doper le bénéfice par action. Mais ce genre de programmes comporte également des risques et peuvent être les prémices d’une contraction des marchés financiers.

L’année dernière, les valeurs bancaires sont celles qui ont vu leur cours fléchir de manière plus marquée. Les deux grandes banques ont annoncé des programmes de rachat. Celui de Credit Suisse, débuté à mi-janvier vise à racheter jusqu’à 1,5 milliard de francs d’ici la fin de l’exercice, et jusqu’à 3 milliards à l’horizon 2020. UBS projette pour sa part de racheter jusqu’à 1 milliard de francs de ses propres actions.

Les rachats ont pour objectif de redorer le blason des actions bancaires auprès des investisseurs, dans la mesure où les titres rachetés sont supprimés une fois le programme achevé, et le capital-actions réduit d’autant. Les futurs bénéfices doivent ainsi être distribués à moins de propriétaires.

Pas une solution

Or, ces programmes «ne résolvent pas les problèmes des banques, car ils n’ont rien à voir avec les activités opérationnelles» a assuré à AWP le professeur Martin Wallmeier, qui enseigne la finance à l’Université de Fribourg. Et de rappeler qu’avant la crise financière, les grandes banques avaient procédé à des rachats d’actions d’envergure, se privant d’un capital qui leur a ensuite cruellement fait défaut.

Reste que ce genre d’opération est de plus en plus prisé. La banque Vontobel a recensé l’année dernière pas moins de 24 établissements cotés à la Bourse SIX ayant racheté leur propres titres afin de réduire leur capital, alors qu’entre 2010 et 2017, ce nombre a oscillé entre 8 et 16. Aux Etats-Unis également, les programmes de rachat ont atteint des sommets, selon Panagiotis Spiliopoulos.

Maintenant que le bilan des banques a été assaini, les actionnaires font pression pour que les liquidités excédentaires soient redistribuées, explique l’analyste de Vontobel. Le professeur Wallmeier souligne que l’envergure de ces programmes atteste de la bonne situation économique, même si souvent ceux-ci ont également pour objectif de soutenir le cours de l’action ou d’accroître l’endettement en profitant de conditions de financement favorables.

M. Spiliopoulos voit dans les nombreux programmes de rachat des similitudes avec la crise financière, qui avait été précédée par un fort engouement pour ce type de mécanisme. «Je ne dis pas qu’on va bientôt assister à un krach, mais les rachats d’actions sont le signe de marchés très matures», estime l’expert de Vontobel.

Destruction de valeur

Actuellement, les 30 plus grandes sociétés cotées en Suisse mènent des programmes de rachat d’actions à hauteur de presque 40 milliards de francs, essentiellement à des fins de réduction de capital.

Certaines entreprises toutefois, plutôt que de supprimer les titres rachetés, les utilisent pour des programmes de participation de leurs collaborateurs ou comme monnaie d’échange pour financer de futures acquisitions. C’est notamment le cas pour des valeurs technologiques comme AMS, Logitech ou encore Temenos.

Le programme le plus ambitieux est celui initié par Nestlé il y a deux ans, et qui vise le rachat d’actions à concurrence de 20 milliards de francs d’ici 2020. Comme il avait été annoncé peu de temps après l’entrée au capital du fonds spéculatif américain Third Point, certains y ont vu une manière de couper l’herbe sous le pied d’un actionnaire activiste, une interprétation écartée par la direction de la multinationale veveysane.

L’analyste et le professeur invitent à garder la tête froide et à maintenir un esprit critique, notamment en cas de forte augmentation de l’endettement.

«Souvent, les rachats d’actions se déroulent lorsque le marché a atteint un plus haut» signale M. Spiliopoulos. Et comme les entreprises rachètent alors au prix fort, elles détruisent de la valeur, tout en se privant de liquidités susceptibles de faire défaut dans l’éventualité d’une crise.

Elagage d’excédents

Selon le professeur Wallmeier, les programmes de rachat d’actions font sens en cas d’excédent de liquidités: l’entreprise redistribue à ses actionnaires l’argent dont elle n’a pas besoin pour ses investissements.

Des entreprises comme Novartis ou ABB ont d’ores et déjà annoncé vouloir allouer le produit de cessions à des rachats d’actions. Mais en dehors des programmes projetés ou en cours, on devrait assister en 2019 à une accalmie si le contexte de marché se durcit. L’expert de Vontobel ne s’attend ainsi pas à beaucoup de nouveaux programmes de rachat.

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