Qui tient la barbichette de qui?

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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Avec l’accord mexicain, Trump tient sa victoire commerciale. Il n’hésitera pas à s’en prévaloir auprès de son électorat. Mais pour quel bénéfice?

© Keystone

L’accord commercial conclu avec le Mexique est certainement un point gagnant pour le Président Trump, qui ne s’est pas privé de clamer une large victoire, redorant au passage son image de défenseur des classes populaires. Suivant cette annonce, la Ministre des Affaires Étrangères du Canada s’est précipitée à Washington pour entamer au nom de son pays les négociations sur les mêmes questions. De même, l’Union Européenne, afin d’éviter la mise en place de tarifs sur ses exportations automobiles, recherche désormais un terrain d’entente sur la base d’un accord de réciprocité. Le Japon tente aussi d’amener les Etats-Unis à une négociation plus large avec l’ensemble de la zone. La Corée du Sud, qui pensait avoir trouvé un accord sur l’acier, cherche elle aussi à stabiliser ses relations commerciales. Quant à la Chine, même après avoir concédé des baisses de tarifs sur ses importations automobiles (de 25% à 15%), elle reste la principale cible du Président Trump.

Le Mexique n’entend ratifier le traité
qu’à condition que le Canada en fasse partie.

L’accord avec le Mexique serait donc le triomphe de la «méthode Trump», et les autres pays n’ont qu’à bien se tenir.

En fait, rien n’est moins sûr, car la forte intégration des chaînes de production fait craindre aux constructeurs automobiles américains des hausses des coûts de production, et donc une baisse des ventes, et au final même des emplois. De son côté, la nouvelle administration mexicaine, associée aux négociations, a pu refermer la porte de son secteur pétrolier aux capitaux étrangers. Pour aboutir à cet accord, l’Administration a renoncé à la «sunset clause» qui aurait contraint à une renégociation tous les cinq ans. Enfin, sur la forme, le Mexique n’entend ratifier le traité qu’à condition que le  Canada en fasse partie. Bref pour arriver à leurs fins, les négociateurs américains semblent avoir beaucoup «lâché».

Du côté canadien, à un an des élections générales, le Premier Ministre Trudeau aura à cœur de se présenter comme le défenseur des intérêts de son pays, en mettant en avant la préservation de l’environnement, ou encore en incluant un accord sur les produits laitiers. Les secteurs automobiles allemands et japonais sont certainement très exposés, et poussent à des concessions. Mais sur d’autres sujets, notamment l’agriculture, l’Europe est loin de vouloir s’engager. La menace de voir l’Amérique se retirer de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) n’est pas sans effet. Pourtant, une fois encore l’Amérique semble jouer contre ses propres intérêts. En bloquant par exemple la nomination de juges à l’Organisation, elle ne permet plus le règlement de conflits en cours, conflits dont elle sort le plus souvent gagnante.

Le temps manque pour obtenir
d’autres résultats aussi spectaculaires.

Les seuls véritables gagnants seraient finalement les grands producteurs d’acier américains. Grâce aux tarifs et aux quotas d’importations, Ils ont obtenu une augmentation des contenus de productions locales dans la construction automobile. Ils en sont d’autant plus assurés qu’ils auraient aussi gagné de l’Administration le refus quasi général d’exemptions accordées aux importateurs d’acier du pays. Il ne semble pas non plus que la Chine soit la plus touchée à ce stade car selon l’agence Fitchsolutions, seulement 1,2% des exportations d’acier chinois entrent aux Etats-Unis, tandis qu’elles auraient trouvé d’autres débouchés1.

Le Président Trump se prévaudra certainement de ces victoires lors des élections de mi-mandat. Ses récentes déclarations montrent qu’il entend même en dramatiser l’enjeu en brandissant la menace d’une annulation de tout ce qu’il a mis en œuvre en cas de victoire Démocrate. Mais d’ici novembre, le temps manque pour obtenir d’autres résultats aussi spectaculaires. La voie est étroite pour les partenaires commerciaux des Etats-Unis. Aussi, entre la défense de leurs intérêts et l’impatience du Président américain, chacun tient bien la barbichette de l’autre.