Quelles perspectives pour les économies émergentes?

Stéphane Monier, Lombard Odier

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Le conflit commercial sino-américain demeure un risque majeur pour les perspectives des économies émergentes.

Après avoir enregistré un ralentissement important à la fin de 2018 et au premier semestre de 2019, l'économie mondiale semble être en voie de stabilisation. Bien que l'incertitude persiste, la période la plus noire du conflit commercial sino-américain se trouve vraisemblablement derrière nous. En dépit de difficultés commerciales continues, la croissance des économies émergentes pourrait avoir atteint son point bas et l’activité devrait reprendre en 2020 à un rythme modéré. Une série de nouvelles positives a fait décroître les risques liés au commerce mondial et au Brexit, améliorant ainsi les perspectives économiques et renforçant la confiance des investisseurs et des entreprises.

En outre, les conditions financières plus favorables induites par les baisses de taux d’intérêt de la Réserve fédérale américaine (Fed), ainsi que l’assouplissement synchronisé de la politique monétaire sur les marchés émergents, devraient commencer à avoir des retombées positives sur la croissance. Au sein de notre univers de 18 grands pays émergents, 15 banques centrales ont abaissé leurs taux cette année, en moyenne autour de 100 points de base (pb), contre 75 pb aux États-Unis.

Il faut également souligner la capacité qu’ont les pays émergents, dans leur ensemble, à poursuivre leur politique d’assouplissement monétaire, ce qui les distingue de la plupart des grandes économies développées (à l’exception des États-Unis) car l’inflation y reste maîtrisée. La Banque populaire de Chine peut ainsi continuer à stimuler l’économie du pays en procédant à des baisses de taux d’intérêt ciblées, ainsi qu’en diminuant le niveau des réserves que ses banques commerciales sont dans l’obligation de détenir. La banque centrale indienne a abaissé ses taux de 135 pb au cours de cette année et il est probable qu’elle les abaissera encore. S’il ne fait aucun doute que ces baisses de taux ont déjà eu des retombées positives, leurs effets complets ne se feront sentir sur l’économie réelle qu’en 2020, ce qui soutiendra la croissance des économies émergentes.

Croissance structurelle et croissance cyclique

La croissance des marchés émergents s’est fortement détériorée au second semestre de 2018 et en 2019. Entre 2000 et 2010, la croissance du PIB réel des pays émergents avait été en moyenne de 6,5% d’une année sur l’autre, tandis qu'entre 2011 et 2015, elle ne s'établissait plus qu’à 5,2%. En 2019, elle a considérablement diminué, pour atteindre 4,5% selon les estimations. Par voie de conséquence, les investisseurs ont commencé à s'interroger sur les actifs émergents ; nous devons cependant être ici attentifs à séparer la tendance structurelle de la tendance cyclique, en particulier lorsque nous tentons de traduire cette information en termes de performances d'actifs.

Le graphique 1 montre la croissance du produit intérieur brut réel des marchés émergents depuis le milieu des années 1990, ainsi qu'une estimation de leur croissance structurelle / tendancielle (représentée dans ce cas par une moyenne mobile sur cinq ans). Il apparaît clairement que la croissance structurelle des économies émergentes ralentit. Mais il ne faut pas interpréter cela de façon négative: c'est en effet une conséquence naturelle du développement progressif de ces économies. Cela est particulièrement vrai pour la Chine: à l'instar du Japon et de la Corée du Sud au cours des décennies passées, cette dernière voit sa croissance ralentir, son économie étant toujours plus axée sur les services et de moins en moins tributaire des produits manufacturés (cf. graphique 2). S’il est certes probable que les années de croissance à deux chiffres de la Chine appartiennent au passé, il s’agit néanmoins ici d’un ralentissement maîtrisé, qui recèle toujours une forte croissance potentielle alors que le poids de l’Asie et de l’Amérique latine continue de croître au sein de l’économie mondiale.

Il convient de noter un autre élément: bien que leur croissance ralentisse, l’activité économique des marchés émergents est devenue plus durable et moins instable. Ainsi, la volatilité de la croissance de leur PIB réel a considérablement diminué à la suite de la crise financière, par exemple. Au fur et à mesure que leurs marchés intérieurs gagnent en maturité, s’élargissent et deviennent plus accessibles, ils offrent, en théorie, un ensemble équilibré d’opportunités d’investissement ajustées en fonction du risque.

Toutefois, la baisse de croissance récente trouve essentiellement son origine dans les perturbations cycliques mondiales provoquées par le conflit commercial entre les États-Unis et la Chine. La croissance des économies émergentes devrait s'accélérer légèrement en 2020, à mesure que les tensions commerciales s’apaisent, que le secteur manufacturier mondial passe le creux de la vague et que les politiques monétaires s'assouplissent. Il s’agit là d’un point important car c’est cet aspect cyclique qui est positivement corrélé aux performances des actifs tels que les actions, les obligations souveraines et la dette des pays émergents.

Identifier les opportunités de valeur

L’essentiel des perspectives pour les actifs émergents à l'horizon 2020 dépendra de l'évolution du conflit commercial américano-chinois. Dans notre scénario de base, de nouveaux tarifs douaniers ne seront pas appliqués et on peut raisonnablement supposer que les taxes déjà instaurées seront réduites.

Nous anticipons une reprise des actions émergentes. La plupart des opportunités semblent se situer en Chine, au Brésil et en Russie. Les actions chinoises ont sous-performé au cours des trois derniers trimestres en raison des perturbations qui affectent les échanges commerciaux mondiaux mais, une fois que ces derniers se seront stabilisés, elles devraient se reprendre l'année prochaine. A elle seule, la Chine représente désormais plus de 15% du PIB mondial et son marché obligataire domestique constitue un quart du marché mondial de la dette ; en comparaison, son marché actions affiche un important retard, qui ne totalise que 4% de l'indice MSCI All Country World. L'intégration continue des actifs chinois au sein des marchés financiers mondiaux revêt un aspect stratégique pour les investisseurs qui pourraient avoir intérêt à repenser leurs allocations sur les marchés émergents et à envisager des expositions isolées à la Chine.

Au Brésil, des mesures macroéconomiques prises récemment devraient stimuler la croissance des bénéfices. Le pays se remet encore d'une longue récession et la faiblesse de sa devise depuis 2018 devrait soutenir ses exportateurs ainsi que la rentabilité de ses entreprises. En Russie, nous pensons que des gains supplémentaires sont possibles à mesure que le commerce progresse et en raison de perspectives politiques relativement stables.

Du côté des devises, nos estimations indiquent que les taux de change émergents sont globalement sous-évalués de 5% à 10%. Alors que le cycle évolue en faveur d'une légère reprise du commerce mondial et que l’USD se trouve sous pression, nous prévoyons une progression moyenne des devises émergentes d'environ 3% à 4% l'an prochain. Nous privilégions le peso mexicain, le ringgit malaisien et le rouble russe en raison de leurs valorisations.

Garder son calme et continuer à poursuivre les stratégies de portage

A l’instar de nos décisions d’allocation d’actifs en 2019, nous continuons à positionner les portefeuilles de manière à bénéficier des stratégies de portage, qui consistent à favoriser les actifs à haut rendement. En effet, les taux d’intérêt resteront bas et pourraient même baisser davantage. Nous maintenons la surpondération de la dette émergente libellée en devise forte. Les spreads devraient rester stables, alors que le ratio d’endettement net des entreprises diminue.

La mise en oeuvre de cette stratégie s’effectue généralement par le biais d’indices émergents mondiaux facilement investissables. Cela dit, certaines économies nécessitent d’être surveillées de près. Des pays comme l’Inde, l’Afrique du Sud ou le Nigéria devront s’attaquer aux pressions s’exerçant sur leur démographie et sur leur potentiel économique au moyen de réformes structurelles significatives. En Afrique du Sud, par exemple, le Fonds monétaire international a appelé la semaine dernière à des mesures visant à restructurer les entreprises publiques, à stimuler la croissance et à réduire les coûts de financement. Le Nigéria, la plus grande économie d’Afrique et le pays le plus peuplé du continent, pâtit d’une forte inflation et d’une faible croissance et doit se diversifier pour devenir moins dépendant de la volatilité des prix du pétrole et du gaz.

Pour 2020, le risque le plus patent demeure celui de l’évolution du conflit commercial américano-chinois. Bien qu’il ne s’agisse pas de notre scénario central, toute nouvelle aggravation des tensions entamerait la confiance des entreprises et des investisseurs et augmenterait les craintes d’une inversion structurelle du processus de mondialisation. Il en résulterait de nouvelles perturbations dans les chaînes d’approvisionnement et une sous-performance des actifs émergents.

À long terme, il ne fait guère de doute que l'économie mondiale dépendra de plus en plus des marchés émergents car ces derniers pourront fournir des sources de croissance mieux diversifiées. C’est pourquoi leur potentiel structurel reste intact.

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