Quelles perspectives pour le troisième trimestre 2018?

Cédric Ozazman, Marco Bonaviri et Nicolas Besson, Banque REYL & Cie

6 minutes de lecture

Une économie mondiale qui reste bien orientée en 2018-2019.

Malgré le matraquage médiatique constant focalisant sur une inflexion à la baisse des indicateurs économiques, la croissance mondiale reste pour le moment bien orientée et est attendue en 2018 à 3.9% par le FMI, une progression annuelle modeste de 0.1%. L’impact des mesures protectionnistes américaines et la diminution de la contribution positive des politiques fiscales expansives en 2019 devraient toutefois caper la croissance mondiale à 3.9%. En outre, la poursuite du cycle de resserrement monétaire aux Etats-Unis et la fin de l’assouplissement quantitatif en zone euro devraient avoir des conséquences multiples, parfois imprévisibles, sur toutes les classes d’actifs.

2017 avait été marquée par des révisions haussières de la croissance mondiale, et force est de constater que 2018 n’est pas du même acabit.  L’optimisme béat du début d’année a laissé place à un retour à la réalité des chiffres, brutal sur certaines régions comme en Eurozone, au Japon et dans les pays émergents. Ainsi, les indicateurs cycliques en zone euro ont  décéléré depuis le pic atteint au T4 2017 et ont surpris négativement les attentes des économistes depuis le début de l’année. On peut malgré tout s’attendre à une amélioration à la marge ou du moins une stabilisation pour les prochains mois. La croissance chinoise, elle, reste toujours bien pilotée par le gouvernement central qui s’attèle ardemment à réduire la surchauffe de certains secteurs tels que l’infrastructure et l’immobilier. L’objectif de croissance de 6.5% devrait ainsi être atteint en 2018, notamment grâce à la consommation domestique et aux dépenses d’investissement. Toutefois, ce niveau cible de 6.5% est en recul par rapport à l’année précédente qui a affiché une croissance de 6.9%.

La baisse des impôts explique probablement l’optimisme
des économistes pour les Etats-Unis.

Dans ce contexte de révisions baissières des perspectives de croissance, seuls les Etats-Unis ont su tirer leur épingle du jeu. La baisse des impôts explique probablement l’optimisme des économistes pour le pays de l’oncle Sam, tandis que les multiples crises politiques en zone euro sont certainement à l’origine du pessimisme ambiant sur la région. Il est toutefois fort à parier que cet apparent découplage ne persiste pas. La consommation américaine pourrait subir le contrecoup d’une inflation plus prononcée, d’autant plus que la récente hausse du pétrole devrait amenuiser le pouvoir d’achat des ménages américains, et ainsi effacer en partie les effets positifs sur la croissance du stimulus fiscal. 

Au-delà des perspectives de croissance, les attentes d’inflation sont aujourd’hui une variable cruciale de la stratégie d’investissement. Assiste-t-on à la fin de l’environnement «Goldilocks», à savoir une inflation bénigne et des taux d’intérêts modérés malgré une croissance économique robuste et un taux de chômage bas? Aux Etats-Unis, depuis l’été 2017, l’inflation sous-jacente augmente graduellement jusqu’à être désormais au-dessus de la cible des 2% de la Réserve Fédérale. En outre, la vigueur de cette hausse des pressions inflationnistes a quelque peu surpris les économistes. Hors Etats-Unis, les pressions inflationnistes restent timides et en deçà des attentes des prévisionnistes cette année. A cet égard la divergence avec la zone euro ou l’inflation cœur reste obstinément proche des 1% depuis quelques mois est illustrative. Nous ne pensons ainsi pas que le scénario d’une inflation globale galopante et incontrôlée soit plausible étant donné que les facteurs structurellement déflationnistes tels que l’avènement des nouvelles technologies, la baisse de la productivité mondiale ou encore le vieillissement de la population restent bien ancrés dans l’économie actuelle.

Une approche prudente et opportuniste
est de mise à court terme sur les actions.

Les analystes attendent une croissance des bénéfices des compagnies américaines pour l’année en cours de 22%, un taux largement supérieur à celui attendu en Eurozone (10%) et dans les pays émergents (10%). Le revers de la médaille est que le risque de déception de ces attentes élevées n’est pas négligeable et ce chiffre pourrait être revu à la baisse, notamment si les analystes devaient reformuler leurs objectifs de cours sur la base d’un EUR/USD à 1.15 et non plus 1.25. Nous sommes également quelque peu réservés sur les 10% de croissance attendus en Eurozone cette année au regard des difficultés que le secteur bancaire pourrait rencontrer à délivrer des résultats robustes, dans un contexte de taux d’intérêt européens toujours très bas. A cela s’ajoute la décélération du momentum économique et un accroissement des tensions politiques. Le scepticisme vis-à-vis du consensus est donc de mise sur ces deux régions. Quant aux pays émergents, les attentes de croissance des bénéfices ont été revues à la baisse récemment et convergent désormais avec celles des pays développés en dépit d’une croissance économique supérieure. Rien de vraiment surprenant au final, compte tenu de la vigueur du dollar américain, de la hausse des taux d’intérêts et des tensions géopolitiques sur fonds de guerre commerciale. 

Sous l’angle de la valorisation absolue, les actions américaines restent les plus chères, tandis que les actions japonaises et émergentes sont les plus attractives. Néanmoins, ajusté à la croissance attendue sur les trois prochaines années, les actions américaines restent attractives et recèlent les meilleurs potentiels d’appréciation selon nos estimations. 

Malgré une lame de fonds macroéconomique positive et une valorisation raisonnable des actions américaines, une analyse de la dynamique de prix et de la participation au marché nous porte à tempérer quelque peu notre optimisme à court terme. Depuis 2016, la hausse a été alimentée essentiellement par les secteurs cycliques et les titres de croissance, avec en tête d’affiche les secteurs de la technologie et de la consommation discrétionnaire qui ont, à titre d’exemple, augmenté de 96% et 68% respectivement depuis le dernier point bas en février 2016. La conséquence pernicieuse de ce phénomène est que l’indice américain est devenu très cyclique, et la tendance haussière qui prévaut est désormais trop dépendante de deux secteurs et de quelques grosses capitalisations boursières (Apple, Amazon, Google, Microsoft, Facebook).  Un retournement abrupt de ce « momentum trade » est ainsi à même de mettre en péril la tendance haussière des actions américaines. N’oublions pas que la surperformance des cycliques vis-à-vis des défensives s’est accompagnée d’une hausse des rendements obligataires par le truchement d’une augmentation graduelle de l’inflation et d’une accélération du momentum économique. Etant donné le niveau élevé de celui-ci et les attentes exigeantes pour la croissance américaine au T3, le catalyste d’une éventuelle correction pourrait bien être aussi bien fondamental que technique. 

Bien que les prémisses d’une rotation sectorielle dans les secteurs défensifs que nous observons actuellement soient une bonne nouvelle pour la longévité de la tendance haussière, nous estimons qu’elle ne sera pas suffisante pour maintenir le marché dans sa trajectoire ascendante étant donné que les secteurs défensifs ne comptent désormais plus qu’à hauteur de 26% dans l’indice S&P500 contre 38% au début du marché haussier en mars 2009.  

Du point de vue de l’analyse technique (S&P500), la tendance haussière long terme de 2009, ainsi que celle de 2016, restent intactes avec une participation toujours robuste, et ce malgré la figure de consolidation latérale qui se déroule depuis février. En revanche, l’image technique de l’indice des actions mondiales ex-US (MSCI All Country World ex-US) affiche une dynamique baissière ayant déjà rompu différents supports et niveaux définissant la tendance positive. A ce stade une baisse ultérieure de quelques 5% est attendue avant de voir un éventuel rebond substantiel se matérialiser. Compte tenu des potentiels risques à court terme, nous préférons ainsi adopter un positionnement prudent. Néanmoins, tout excès de faiblesse représentera alors une opportunité à ne pas manquer. 

Les obligations de qualité aux Etats-Unis
et la dette émergente recèlent des opportunités.

Les marchés obligataires offrent des opportunités très différenciées selon les régions géographiques ou les segments de crédit. Dans un contexte ou le cycle économique et de crédit est déjà bien avancé, et alors que des signes de ralentissement conjoncturel devraient se multiplier, le scénario de la Fed  de cinq resserrements de ses taux directeurs d’ici à fin 2019 nous semble trop ambitieux. Nous pensons ainsi que l’essentiel de l’ajustement à la hausse des taux le long de la courbe est derrière nous sur le marché américain. C’est d’ailleurs le message que nous transmet la courbe des taux dont la pente est actuellement quasi plate et qui pourrait s’inverser d’ici quelques mois. Dès lors, s’il est encore trop tôt pour rallonger décisivement la duration des portefeuilles, nous sommes relativement constructifs en termes d’allocation (US Treasuries notamment) et favorisons à l’heure actuelle les maturités courtes et intermédiaires qui offrent un très bon couple rendement/risque. 

Quant au crédit US, nous préférons la qualité (obligations d’entreprises «investment grade»), dont les «spreads» se sont écartés depuis janvier, au secteur du «high yield» qui devrait souffrir dans un contexte macroéconomique plus difficile et de conditions financières plus restrictives. 

En Europe, la donne est différente avec une Banque Centrale qui reste résolument prudente. Le niveau des rendements est maintenu artificiellement bas par les rachats d’actifs de la BCE, nous conduisant à bouder les obligations traditionnelles (débiteurs souverains ou privés) qui n’offrent quasiment pas de protection contre une hausse des rendements que nous pressentons. Et ce d’autant plus que ce programme de rachat prendra fin d’ici à décembre. Nous nous tournons dès lors plutôt vers des alternatives comme le marché suédois ou encore la dette subordonnée financière qui, malgré une contre-performance récente, offre des rémunérations attractives avec des fondamentaux solides depuis les recapitalisations multiples post-crise financière globale de 2008.

Enfin, les obligations des marchés émergents conservent notre faveur malgré leur forte baisse cette année, sous l’effet conjugué de la hausse du dollar, des taux américains, de l’augmentation de l’aversion pour le risque, ou encore de situations de crises particulières comme au Venezuela, Argentine, ou Turquie. Cette baisse a d’ailleurs reconstitué les primes de risque et les évaluations en sont d’autant plus attractives, que ce soit au niveau des taux ou au niveau des monnaies qui sont pour la plupart désormais sous-évaluées. Nous envisageons d’augmenter notre exposition à ces marchés, en dette locale ou en monnaies dures, mais attendons une stabilisation de la situation qui pourrait provenir par exemple d’une reprise de la baisse du dollar. D’autant plus que les fondamentaux de ces pays sont nettement plus solides qu’il y a quelques années (balances extérieures, réserves de change, contrôle de l’inflation, dynamique de croissance, etc.). 

A court terme, les facteurs de soutient du dollar US sont nombreux.

L’année passée le marché s’était principalement concentré sur la dynamique du différentiel de croissance économique attendu des deux côtés de l’Atlantique, ce qui avait fortement soutenu l’euro face au dollar US. Qui plus est, avec la victoire d’Emmanuel Macron aux présidentielles françaises en mai, la prime de risque politique s’était dissipée et d’importants flux de capitaux en faveur des actions européennes avaient soutenu la monnaie unique. Toutefois, il s’avère que les facteurs fondamentaux et techniques qui ont propulsés l’EUR/USD de 1.03 à 1.2550, se sont retournés en faveur du dollar au premier semestre 2018. Par exemple, la tendance de révision des attentes de croissance pour 2018 a fortement divergé au T1 entre les Etats-Unis (amélioration) et la zone euro (détérioration). Ce retournement explique en grande partie l’ajustement à la baisse de l’EUR/USD cette année. Beaucoup d’encre a coulé ces dernières semaines sur les troubles politiques en Europe, notamment avec la mise en place d’un gouvernement eurosceptique en Italie, l’évincement du gouvernement espagnol de Mr. Rajoy sous le coup d’accusations de corruption, et les discordes au sein de la coalition allemande concernant la politique d’immigration. La prime de risque politique qui s’était fortement réduite en 2017 est ainsi revenue en force en 2018 et devrait, à priori, continuer d’alimenter la fuite des capitaux d’investissement hors de la zone euro et le sentiment négatif à l’égard de la monnaie unique. 

Quant au différentiel de taux d’intérêt qui était un facteur secondaire en 2017, avec les niveaux extrêmes atteints récemment (plus de 2.5% sur le 10 ans et 3.2% sur le 2 ans), les investisseurs ont à nouveau privilégié la rémunération plus attractive du billet vert. Le différentiel d’inflation sous-jacente entre les US et l’Eurozone, a lui plus que doublé en faveur des US depuis l’été 2017 et reste supérieur à 1%. Selon nos observations, l’impact sur l’EUR/USD devrait se faire ressentir avec un décalage d’environ 6 mois, ce qui prône pour une poursuite de la baisse de la paire. 

Le positionnement des spéculateurs sur l’Euro a lui également fortement évolué ces derniers mois. Le marché qui était passé d’un positionnement extrême short à extrême long en l’espace de quelques semaines en 2017, s’est ajusté au T2 2018 avec le débouclement de plus de deux tiers des positions nettes longues constituée depuis mai 2017. L’analyse technique, quant à elle, montre que la tendance structurelle de long terme sur l’EUR/USD - qui part du point haut de 1.60 atteint en avril 2008 - reste baissière avec l’échec de la poursuite du mouvement au-dessus de 1.2550. A 1.16 l’EUR/USD tente actuellement de trouver un support sur la ligne de tendance provenant des points bas à 1.03 mais est déjà largement passé en-dessous de la moyenne mobile à 200 jours. Nous pensons ainsi qu’une baisse ultérieure à 1.1450, voire 1.1190, est probable avant de voir un rebond plus substantiel. 

Bien que le ralentissement du momentum économique global reste marginal et les profits des entreprises continuent d’être robustes, les risques et incertitudes s’accumulent à un rythme inquiétant. Les tensions au niveau du commerce mondial pourrait avoir notamment des conséquences néfastes sur la confiance et sur l’économie réelle. L’ajout d’actifs diversifiants et une gestion active du risque restent dans ce contexte la pierre angulaire de notre gestion de portefeuilles. 

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