Quelle feuille de route pour la prochaine décennie?

Emmanuel Ferry, Banque Pâris Bertrand

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2018 confirme la fin du cycle de reflation monétaire engagé par la Fed il y a dix ans. Le nouveau plan d’action se dessine progressivement.

Le resserrement monétaire cumulé depuis décembre 2015 permet au taux d’intérêt à 2 ans américain de repasser largement au-dessus du rendement du dividende des actions américaines et ce pour la première fois depuis 2007. La contraction de la liquidité mondiale et la remontée des taux d’intérêt réels marquent la fin d’un épisode particulièrement long d’assouplissement monétaire et quantitatif. Le taux d’intérêt à 5 ans corrigé de l’inflation est passé de -1,1% fin 2011 à +1,1% aujourd’hui. Il doit continuer à monter au moins vers le seuil de la croissance potentielle de l’économie américaine estimée à près de 2%. Quant au bilan de la Fed, il se contracte désormais, avec une montée en régime (-2 points de PIB depuis le début de l’année, -5 points depuis le pic de 2014).

L’aversion au risque demeure importante après dix années de reflation.

Une décennie de gestion de la crise financière a conduit à des valorisations extrêmes sur les grandes classes d’actifs. Il faut remonter aux années 20 pour avoir une telle situation. Cela pose la question des rendements financiers futurs, de la diversification et des actifs refuges résiduels. De nouveaux déséquilibres structurels apparaissent: affaiblissement de la croissance potentielle, dette globale record (250 trillions, soit près de 320% du PIB) dont une dette publique en très forte progression, notamment en Chine. L’aversion au risque demeure importante après dix années de reflation, comme en témoignent les rachats d’actions et la préférence pour les thématiques peu risquées. Les actifs financiers sensibles à l’inflation et au cycle économique sont toujours délaissés. De nouveaux risques balisent la prochaine décennie: le populisme, la dé-globalisation, l’instabilité géopolitique et l’absence de marges de manœuvre contra-cycliques de la part de la puissance publique (Etats, banques centrales).

Etats affaiblis

Les banques centrales ont très bien géré la crise financière par le recours massif, coordonné et durable d’instruments non orthodoxes (taux zéro, QE). Leur crédibilité n’a pas été entamée. En revanche, les Etats sortent très affaiblis de cette décennie, à en juger par le surendettement, l’absence de réformes structurelles et le manque de coordination. La fin du multilatéralisme et la montée des populismes vont mettre les Etats sous pression. Enfin, se pose la question du débouclage désordonné des différents QE. L’instabilité dans les marchés émergents a été exacerbée par la normalisation de la politique monétaire de la Fed. L’extrême décalage entre la Fed et la BCE augmente le risque d’un resserrement monétaire pro-cyclique en Europe. La feuille de route pour la prochaine décennie est donc en train de se dessiner. 

L’année 2018 signale un retour à la moyenne après une année 2017 hors normes. La seconde plus longue phase d’expansion de l’après-guerre aux Etats-Unis a créé des déséquilibres multiples sur le plan des fondamentaux (dette publique et privée record, marché du travail tendu) et des valorisations des actifs financiers. Cela rend les marchés plus sensibles à des chocs (politiques, géopolitiques, économiques et financiers). En matière de stratégie d’investissement, 2018 marque une rupture structurelle, avec l’amorce d’une orientation plus défensive. 2019 sera la confirmation de la maturité du cycle. Cela conduit à être plus diversifié et plus actif. Le changement de régime de volatilité sera un préalable pour envisager un retournement majeur des marchés.

Le cycle d’expansion pourrait être bien plus long que prévu.

Les pistes d’opportunités demeurent néanmoins nombreuses. D’abord, le cycle d’expansion pourrait être bien plus long que prévu. Il manque une reprise de l’investissement, qui peut être largement autofinancée. Puis, le marché sous-estime la remontée de l’inflation et des taux d’intérêt. Avant d’être une source de tensions, c’est une opportunité, susceptible d’enclencher une rotation sur les thèmes de fin de cycle (inflation, style Value, marchés non-américains, matières premières). Enfin, la normalisation, si elle se confirme, va se traduire par une décompression de la volatilité, un débouclage des thématiques liées au QE des banques centrales (rendement et croissance à n’importe quel prix) et une vulnérabilité du capital mal alloué (illiquidité et prime de complexité mal rémunérées, concentration excessive). C’est donc une opportunité de faire pivoter graduellement les portefeuilles vers un profil plus adapté au prochain régime de marché. Au total, l’enjeu est davantage de se préparer que de prévoir.

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