Que faire de son bas de laine par les temps qui courent?

Philippe Szokolóczy-Syllaba

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Petit guide de l’usage de ses propres deniers par un gestionnaire facétieux.

«T’en fait quoi de tes sous, toi?», me demande un ami désemparé par le parcours du combattant auquel sont confrontés de nos jours ceux à qui il en reste encore. «Bonne question» lui répondis-je, «même si je ne suis pas sûr que la réponse soit pertinente, vu ce qui me reste…».

En tant que professionnel de l’investissement, c’est beaucoup plus amusant de raconter ce qu’on fait avec ses propres deniers que d’essayer de trouver des idées de placements pour ses clients. D’abord, ça n’engage à rien, pas besoin de s’entourer de tous les bémols et caveats d’usage dont le principe de précaution nous engage à enrober nos propos lorsque nous arborons notre casquette de conseiller. Ensuite, ça nous donne le sentiment que nos clients ne nous considèrent pas juste comme de simples prestataires de service, mais s’intéressent à ce que nous faisons avec nos propres noisettes. Ou du moins cherchent à savoir si nous nous appliquons à nous nous-même les sages préceptes que nous leur prodiguons.

Et ça permet aussi de prendre un peu de recul, de deviser sur notre condition humaine sans se draper dans la posture figée du gestionnaire entouré de graphiques et de slides savants. Et au fond, c’est un petit exercice qui relève malgré tout du challenge, car finalement, j’en fait quoi de mes petites économies? Pour y répondre, j’ai rédigé pour vous, un compendium des 8 utilisations incontournables de ce bon serviteur qu’est l’argent, quand l’on parvient à ne pas en être l’esclave (ce qui est encore un autre sujet). Il est précisé que cette énumération devrait avoir vocation à couvrir tous les cas de figure, que la Providence vous ait bien ou moins bien doté.

  1. Payer mes factures et couvrir les besoins essentiels de ma famille. Hélas, s’il va de soi en notre bas monde, car nous ne savons (plus ou pas encore) nous contenter d’amour et d’eau fraiche, ce constat se doit d’être mentionné en premier pour nous rappeler notre dépendance à un système mû par l’argent et la consommation.
  2. Le dépenser. Très important, ma grand-mère (celle hongroise et catholique je le précise) me le disait déjà: «l’argent n’est pas fait pour être économisé mais pour être dépensé». Si l’argent est une énergie comme l’estiment certains, alors il est sûrement bon qu’elle circule, qu’elle ne stagne pas. Et puis, il faut savoir se faire plaisir régulièrement, à soi ou aux autres, sans pour autant tomber dans le consumérisme. Attention, je n’ai pas dit «jeter l’argent par la fenêtre». L’intention qu’on met derrière son utilisation est fondamentale.
  3. Rester assis dessus. Pas comme Picsou sur son tas d’or, mais en attendant de savoir comment le déployer. C’est toujours rassurant de se dire qu’on a un peu de cash de côté, si jamais on devait en avoir besoin ou si une idée brillante nous tombait dessus soudainement. Je n’en suis pas plus fier que ça, car il y a un côté «peur de manquer» ou «on ne sait pas de quoi l’avenir est fait» qui en ressort.
  4. Acheter des «real assets». Kesako? Très bon terme pour que l’on n’oublie pas que dans notre système financier, l’argent est avant tout une écriture comptable, purement informatique, et que dans sa forme physique, billets et pièces, il ne représente qu’environ 15% de la masse monétaire en circulation. Sous toutes ses formes, que l’argent soit une écriture (monnaie fiduciaire) ou un morceau de papier imprimé ou, au mieux, une pièce (monnaie scripturale), il ne vaut en réalité que le prix de son support (papier, métal ou informatique) et de son impression, soit pas grand-chose. Clairement pas la valeur qu’on lui accorde qui elle est basée sur la confiance que l’on place en son émetteur. Dans cette optique, les crypto-monnaies ou l’or sont aussi à mettre dans la catégorie des choses qui ne valent objectivement presque rien. L’or physique qu’on qualifie volontiers de real asset, n’est en fait qu’un minéral auquel nous avons décidé d’attribuer de la valeur. Parce qu’il serait rare? Il y a pourtant des milliers de minéraux rares, alors pourquoi l’or? C’est comme ça et ce depuis des millénaires, mais c’est néanmoins une vue de l’esprit basée sur une croyance en un système qui a érigé l’or en valeur sûre. Mais dans ce cas, le Bitcoin qui est également rare, puisque sa quantité maximum est connue (contrairement à l’or d’ailleurs) a tous les ingrédients pour être une réserve de valeur. Mais il n’est pas réglementé disent ses détracteurs. Au contraire, il est très réglementé mais il a le mauvais goût de l’être par des algorithmes contrôlés à la fois par personne et par tous ses utilisateurs, au lieu d’être régulé par un Etat ou une Banque Centrale. A qui faire le plus confiance dès lors? C’est le débat du moment, les Etats s’évertuant à convaincre leurs citoyens qu’il faut continuer à aveuglément faire confiance à une oligarchie qui s’amuse à imprimer des quantités inimaginables de monnaie avec sa planche à billets et son fameux effet multiplicateur, et ce, sans contrevaleur tangible. Que celui qui sait véritablement comment l’on fabrique de l’argent me l’explique en me regardant bien dans les yeux s’il veut me faire croire qu’il s’agit d’autre chose que d’un gigantesque Ponzi Scheme dans les mains de quelques tireurs de ficelles. Comme actifs réels, j’aime bien le vin, qui va en se raréfiant, car plus il est bu, moins il en reste. Il est aussi liquide, au sens propre et figuré, ce qui a pour avantage, si l’on ne parvient plus à le revendre, qu’on peut toujours trouver plaisir à le boire ou à l’offrir. Et si l’on est passionné par ce breuvage divin, c’est également excitant de partir à la recherche de flacons rares et de ramener quelques trophées dans sa collection. Vous me direz qu’il y en a qui trouvent tout autant d’excitation à acheter une obligation convertible, mais chacun son truc. Ma dernière marotte, les thés rares du Yunnan, les fameux puerhs aux vertus bénéfiques et aux parfums subtils et qui sont parmi les seuls thés à vieillir avec grâce, comme les grands vins. Un tong de puerh, venant de théiers sauvages plusieurs fois millénaires, assemblé par un grand maitre et vieilli de façon traditionnelle sur plusieurs décennies, peut s’arracher aux enchères pour des sommes bien supérieures à USD 100'000. Et nous ne sommes qu’au début de cette nouvelle fièvre, un peu comme dans le Bordeaux des années 1990.
  5. Investir dans son propre business. L’adage «on n’est jamais mieux servi que par soi-même» a du bon. Quand on maitrise son sujet et son projet, on est évidemment moins dépendant du bon vouloir et des compétences (ou incompétences) des autres. On n’a que soi à blâmer si ça ne marche pas. Ce n’est pas un hasard si une portion importante des clients en gestion de fortune sont des entrepreneurs qui ont revendu leur entreprise, car une des meilleures façons de s’enrichir reste encore par le biais d’une création de valeur entrepreneuriale. En ce moment, investir dans l’éducation, un des nerfs de la guerre dans notre société de «désinformation» me semble pertinent. Un projet de ferme permaculturelle modèle à côté de Genève, pour produire en sensibilisant, occupe une partie de mes journées. J’aurai sûrement l’occasion de vous en reparler. En attendant, regardez toujours.
  6. Investir dans le business de quelqu’un d’autre. Cela peut faire du sens, car on ne peut pas tout entreprendre soi-même et il y a heureusement pléthore de gens capables avec de très bonnes idées. On peut investir en direct (private equity) ou de façon très anonyme, par le biais des marchés boursiers. Toujours se rappeler de deux choses toutefois: qu’il est beaucoup plus facile d’entrer dans un mauvais deal que d’en sortir et que même avec un projet brillant, des équipes compétentes, un marché porteur, des finances saines, etc…, bref tous les feus au vert, il n’est pas facile de gagner de l’argent lorsqu’on le confie à des tiers. Il sert souvent à payer beaucoup de gens au passage, sans qu’on en voie soi-même la couleur.
  7. Apprendre à s’en passer. Ah, voilà une proposition saugrenue. Et qui relève du véritable challenge. Mais néanmoins intéressante, car elle fait réfléchir au prix que nous payons par rapport aux bénéfices que nous en retirons! Pas seulement en monnaie sonnante et trébuchante, mais en termes de santé, de sacrifices personnels, de choix de vie, etc… Mais alors comment faire et surtout à quoi bon? Il n’y a sans doute pas de recette miracle, mais je dois avouer, non sans satisfaction malicieuse, que depuis que j’ai pris la décision de réduire le temps que je passais à gagner mon existence, ma qualité de vie a augmenté. Alors même que mes revenus baissaient. Voudrait-ce dire que le bonheur ne s’achète pas? Une étude de chercheurs de Purdue University estime qu’au-delà d’un certain montant de revenus, gagner plus n’apporte pas de satisfaction supplémentaire probante dans la vie. Ainsi atteindre cette Life satisfaction coûterait $125,000 en Australie, $105,000 aux USA et $100,000 Europe de l’Ouest – mais seulement $70,000 en Asie du Sud-Ouest, $45,000 en Europe de l’Est et $35,000 en Amérique Latine. Le Dalai Lama n’a-t-il pas dit de nous, occidentaux, que nous étions de drôles d’oiseaux, à travailler toute l’année comme des dingues pour gagner assez d’argent afin de nous permettre quelques jours de vacances destinés à nous reposer de tout cet effort?
  8. En donner un peu. Bon pour le karma et puis il faut bien dire qu’il y a suffisamment d’initiatives méritantes ou de gens moins bien lotis autour de nous pour que nous puissions nous permettre de contribuer, même modestement, à leur bien-être. Pas pour redonner à la société, car comme dit si bien Ricardo Semler en visant nommément Bill Gates et Warren Buffet, «si tu redonnes, c’est que tu as trop pris au départ», mais juste pour faire du bien autour de soi quand on peut. Et ne pas oublier de le faire avec amour!

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