Pourquoi la Banque d'Angleterre doit viser la croissance

Linda Yueh, professeur à la London School of Economics

3 minutes de lecture

La banque centrale britannique doit-elle envisager de modifier son mandat pour y inclure la croissance économique?

 

La Banque d'Angleterre a augmenté ses taux d'intérêt à 0,75 % ce mois-ci, en croyant que l'inflation va dépasser son objectif fixé de 2 % en environ deux ans. Mais une hausse des taux d'intérêt a tendance à ralentir l'activité économique et la croissance est loin de faire des ravages au Royaume-Uni. La BoE doit-elle envisager une modification de son mandat de façon à inclure la croissance économique?

Aux États-Unis, la Réserve fédérale a un double mandat : stabilité des prix et emploi maximum. Naturellement, la Fed a également augmenté ses taux d'intérêt cette année. Mais l'économie des États-Unis a une croissance de plus de 4 % et on s'attend à ce que le PIB connaisse une hausse estimée à environ 3 % cette année.

En revanche, l'économie britannique n'a connu que 0,2 % de croissance au premier trimestre de cette année. Tandis que la BoE s'attend à ce que la croissance rebondisse et augmente à environ 1,5 % cette année, elle décrit ce taux comme une «limite de vitesse.» Une croissance plus rapide alimenterait des pressions inflationnistes.

Le pronostic de la BoE de 1,5 % de croissance
potentielle équivaut à un déclassement significatif.

Avec un chômage britannique à 4,2 % - un niveau conforme au plein emploi selon l'opinion de la BoE - l'embauche de travailleurs implique des salaires plus élevés. Et parce que les hausses des prix sont une fonction des salaires plus une majoration, l'inflation va augmenter. La décision de la BoE d'augmenter ses taux d'intérêt en dépit de la croissance économique lente a reflété son souci de faire face à son objectif d'inflation de 2%.

Étant donné que l'économie britannique a connu une croissance moyenne de 2,5 % entre 1980 et 2007, le pronostic de la BoE de 1,5 % de croissance potentielle équivaut à un déclassement significatif. Le coupable est la mauvaise croissance de la productivité. De 1998 jusqu'à la crise financière mondiale de 2008, la croissance de la productivité annuelle a été en moyenne de 2,25 %. La BoE estime à présent que ce taux est plus proche de 1 à 1,25 %.

Ce ralentissement de la productivité s'est produit dans toutes les  économies avancées, pour des raisons assez peu claires - tendances démographiques défavorables, demande d'investissements inférieure, ou toutes autres sortes d'explications possibles. Mais la Grande-Bretagne est le pays le plus gravement touché. Et une croissance économique plus lente conduit à une attente de taux d'intérêt plus bas.

Pour la première fois, la BoE a produit une estimation du probable «nouveau taux d'intérêt», conforme aux pronostics de croissance. Plutôt que le taux moyen de 5 % qui a régné au cours des décennies qui ont précédé la crise bancaire, la BoE s'attend à ce qu'à présent les taux d'intérêt soient de 2 à 3 %, ce qui implique un taux d'intérêt réel (indexé sur l'inflation) inférieur à 1 %. Cela n'est pas discordant avec les évaluations où les taux d'intérêt pourraient se situer pour d'autres économies avancées touchées par un ralentissement de la productivité.

Les taux plus élevés ne vont-ils pas à
nouveau conduire à une croissance plus lente?

Mais parce que la BoE croit que l'économie a déjà une croissance à pleine capacité, elle a maintenant augmenté ses taux d'intérêt, quoiqu'on estime que la croissance de son PIB soit lente et qu'elle atteindra seulement 1,7 à 1,8 % d'ici 2021, la fin de sa période de prévision. C'est pourquoi le dernier coup de la BoE semble curieux. Les effets des taux plus élevés sur les emprunts, les dépenses et les  investissements des ménages et des entreprises ne vont-ils pas à nouveau conduire à une croissance plus lente?

Naturellement, la politique monétaire affecte le cycle économique, pas les perspectives à long terme de l'économie, qui dépendent, entre autres choses, de l'innovation technologique et des qualifications de la main d'œuvre. Ainsi les actes de la BoE ne vont pas modifier pas le taux de croissance potentiel de l'économie britannique. Mais est-ce qu'un mandat de croissance accorderait à la BoE une plus longue pause avant la hausse des taux quand la croissance est anémique?

Imaginez un scénario dans lequel la BoE a reçu un mandat pour maximiser la croissance économique et pour réaliser un objectif d'inflation de 2 %. Si les décisionnaires s'attendent à ce que l'inflation atteigne 2 %, mais que la croissance économique est de moins de 2 % en deux ans, alors ils doivent équilibrer le ralentissement économique par une hausse proportionnée. En d'autres termes, leur objectif d'inflation pourrait être réalisé, mais si la croissance est tiède, la confrontation d'un compromis entre les deux objectifs pourrait arrêter la main de la BoE pendant un moment plus long - tout comme la Fed garde un œil sur l'emploi, quoique la politique monétaire n'affecte pas vraiment la croissance de longue durée.

Ce qui rend cette affaire délicate, c'est qu'il est difficile d'estimer le taux de croissance potentiel d'une économie, qui peut varier. Si la croissance de la productivité remontait, alors 2,5 % croissance du PIB pourrait à nouveau être la «limite de vitesse.» Ainsi, une banque centrale avec un mandat de croissance peut se montrer un peu plus prudente dans le cas où ses actions ralentiraient l'activité, ce qui pourrait faire augmenter la production nationale à son nouveau taux potentiel.

A la différence du passé, la croissance des prix n'est
pas si étroitement liée au chômage ou à la production.

Une autre raison pour laquelle la BoE envisage un mandat qui inclut la croissance économique est la relation d'affaiblissement entre l'inflation et le reste de l'économie. En d'autres termes, à la différence de ce qui s'est produit dans le passé, la croissance des prix n'est pas si étroitement liée au chômage ou à la production.

Par exemple, l'inflation était élevée au lendemain immédiat de la crise de 2008, ce qui laissait penser que l'économie britannique était en plein boom alors que ce n'était pas le cas : le chômage était également assez élevé. Les prix étaient en hausse parce que la livre sterling était faible, ce qui a amplifié le coût des importations et les prix mondiaux du pétrole étaient élevés.

Durant cette période, la BoE a souvent manqué son objectif d'inflation, prêtant ainsi le flanc à des critiques selon lesquelles son objectif était inefficace. Toutefois, la raison de ne pas augmenter les taux était évidente : l'économie était confrontée aux conséquences de la Grande Récession. Avec la croissance économique comme partie explicite de son mandat, la BoE a pu mieux s'expliquer dans de telles circonstances - et mieux maintenir la crédibilité de son engagement vis à vis de la stabilité des prix.

Viser la seule stabilité des prix aurait pu fonctionner lorsque l'inflation était un substitut plus fiable du cycle économique. Maintenant que ce n'est plus le cas, la BoE - et peut-être d'autres banques centrales - doivent considérer un changement de mandat visant également à inclure la croissance dans leurs objectifs.

Copyright: Project Syndicate, 2018.
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