Point sur la dette européenne

Salima Barragan

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Le risque politique est déjà intégré dans les prix, estime Antonio Ruggeri chez SYZ Asset Management.

 

Depuis le début de l’été, nous avons assisté, sur le marché obligataire européen, à un mouvement de fuite vers la qualité. La montée en puissance du risque politique italien a rendu les investisseurs nerveux à en juger par l’écartement, dès mi-mai, des spreads sur la dette des pays périphériques vis-à-vis du Bund allemand. Qu’en est-il du risque de contagion? Le point avec Antonio Ruggeri, gérant crédit européen chez SYZ Asset Management.

Un été volatil

Pour Antonio Ruggeri, basé à Milan, la situation d’incertitude sur le marché obligataire va perdurer cet été jusqu’à ce que l’Italie présente son budget. «Le ministre des finances va conserver l’orientation de sa politique budgétaire mais la dette souveraine italienne ne va pas rechuter. Toutefois, la volatilité va perdurer jusqu’à cet automne», explique-il. Après un mouvement, à mi-mai, de 140 points de base, le spread sur la dette italienne est redescendu à 80 points de base au-dessus de son niveau antérieur. Quant aux spreads sur la dette souveraine espagnole et portugaise, qui s’étaient aussi perceptiblement élevés, ils ont retrouvé leur niveau de ce début d’année. Aussi, pour ce spécialiste, la dette subordonnée bancaire et le «high yield» qui ont également beaucoup souffert, devraient se reprendre : «Ces deux segments, encore sous pression, offrent une bonne opportunité d’investissement», affirme-il.

Aujourd’hui, les niveaux des spreads sont beaucoup plus bas qu’en 2011 et même si le marché obligataire européen a réagit, il n’a pas escompté une correction comme en 2011. Pour Antonio Ruggeri, cela démontre clairement que le risque de contagion a diminué. «Le risque politique est déjà intégré dans les prix», affirme le spécialiste et «la BCE a de nouveaux outils tels que OMT, ESM et QE pour maintenir de meilleures conditions de crédit qu’il y a 7 ans».

L’Italie, l’Espagne et le Portugal - qui avec la Grèce, étaient affublés du méprisant acronyme PIGS - se portent aujourd’hui mieux qu’en 2011. Leurs PMI décélèrent mais restent toujours positifs. De plus, ces pays continuent de bénéficier de la politique conciliante de la BCE. «Le dernier discours de Draghi et l’opération Twist (envisagée à la fin de l’arrêt du rachat d’actifs),  montre que la BCE reste légèrement dovish et que les taux longs ne devraient pas augmenter avant 2019», analyse Antonio Ruggeri. En Espagne, le PIB a cru de 3%, et le spécialiste ne voit actuellement aucune raison à ce que la dette corporate espagnole souffre de nouveau. Il privilégie particulièrement ce segment pour le deuxième semestre. De même, il entrevoit certaines opportunités sur le dette portugaise. «Le Portugal est un petit marché dans lequel nous aimons la dette souveraine et certaines émissions corporates de qualité ; les champions nationaux car nous évitons le risque idiosyncratique», explique le gérant.

En ce qui concerne la dette italienne, Antonio Ruggeri reste plus prudent même si le déficit italien ne devrait plus être la source de tension principale. «Le gouvernement italien cherchera à creuser légèrement son déficit, mais il ne l’amplifiera pas autant que les investisseurs l’ont craint, parce que les comptes de l’Italie ne le permettent pas. En revanche, nous allons continuer à voir des tensions politiques au sujet de l’immigration», explique-t-il.  Pour se parer contre cette volatilité, SYZ Asset Management a diminué son exposition sur la dette italienne.

Une approche diversifiée

«Ces dernières années, le marché obligataire européen était plutôt onéreux. Cependant l’élargissement récent des spreads n’est pas motivé par les fondamentaux mais par le sentiment des investisseurs! Nous voyons donc des poches de valeur et adoptons une stratégie de conviction forte sur ce marché très liquide», explique Antonio Ruggeri.

Pour SYZ Asset Management, la dette corporate «investment grade», constitue un bonne base de départ pour une allocation sur le crédit européen. l’IG, qui est structurellement moins volatile, a tendance à surperformé la dette souveraine dans un environnement de taux stables à haussiers.

La dette subordonnée bancaire, dont la majorité des émetteurs bénéficient de la note IG, présentent des valorisations attractives. Par exemple, les CoCo’s offrent un portage de 3% sur les obligations seniors IG.  Depuis quelques années, les fondamentaux des banques européennes ont évolué favorablement. Leurs capitalisations peuvent absorber les scénarios de crise des stress tests. Les ratios Tier 1 se situent en moyenne entre 13% pour l’Espagne et 17,3% pour l’Allemagne, contrastant avec les niveaux de 2010 affichant respectivement 8,3% et 12%. Il en est de même pour les NPL (Non-Performing Loans) qui ont décliné sur la même période. Notons que dans ce domaine, les banques portugaises doivent encore fournir quelques efforts quant à la qualité de leurs actifs avec un ratio moyen de 16.6%. «Pour les banques espagnoles, ce taux est passé sous la barre des 5%, alors que le rendement de leur dette subordonnée a augmenté, d’où un regain d’attractivité pour celles-ci», souligne Antonio Ruggeri. Le gérant privilégie aussi les émissions de la banque nordique Dansk en USD . «Nous adoptons une stratégie «barbell», avec d’un côté des banques sûres,  et de l‘autre,  des banques périphériques incluant des noms italiens», explique le gérant.

SYZ Asset Management s’intéresse aussi au crédit High Yield (B). «Les niveaux sont attractifs dans un environnement de croissance qui se stabilise. Depuis novembre 2017, leurs spreads se sont écartés partant de niveaux initiaux très bas. Les secteurs pro-cycliques ont été les plus impactés à cause du ralentissement de la croissance et des craintes liées à la guerre commerciale. Du côté de l’analyse crédit, nous voyons les valorisations s’améliorer sur un nombre croissant de secteurs», explique-il. Enfin, pour le gérant, la duration ne représente pas un facteur de performance mais apporte une décorrélation à son portefeuille. «Nous avons une légère aversion pour la duration à cause de l’environnement d’inflation basse», conclut-il.