Plus qu’une simple question de style

Martin Neff, Raiffeisen

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Trump s’imagine que les Etats-Unis pourront améliorer leur compétitivité grâce à des sanctions douanières. Or c’est précisément le contraire.

Depuis que les Etats-Unis ont élu Donald Trump président, il ne se passe pas une semaine sans qu’il ne brusque quelqu’un quelque part dans le monde. Les propos de Trump et la manière dont il s’exprime sont souvent en dessous de tout et la moitié de la planète reste parfois sans voix. En Europe, l’indignation suscitée par sa manière de faire de la politique est cependant particulièrement forte. De nombreux Européens voient en Trump un prolétaire grossier sans aucune profondeur intellectuelle, autrement dit l’exact opposé de la vision que les élites politiques européennes ont d’elles-mêmes. En Europe, on a au moins le bon goût de cultiver des relations stylées et tolérantes. Une politique réussie s’y caractérise encore principalement par la recherche d’un consensus. Il est mal vu de brusquer les autres. Et même si exceptionnellement l’on ne parvient pas à s’accorder, on reste ami pour la vie, sans tergiverser. Le politicien européen moyen se permettra tout au plus un accès de mauvaise humeur. Il suffit de penser à l’ancien ministre des finances allemand Wolfgang Schäuble, qui avait parfois un regard extrêmement sombre, qui suffisait à instaurer un profond malaise alors que tous les autres aspiraient à l’harmonie. L’intelligence est toujours un critère de référence pour la diplomatie à Bruxelles, Berlin ou Paris et elle va de pair avec un comportement maîtrisé. Trump est tout simplement trop pour l’Europe, le vieux continent est dépassé. Il a déjà bien du mal à se dépêtrer du mini-Trump qu’est Matteo Salvini ou à indiquer le coût du Brexit à la Première ministre britannique. Un surcroît de confrontation mettrait une pression excessive sur l’Europe. On préfère y laisser couver les conflits pour se concentrer sur les questions de style politique.

Les automobiles européennes, et plus particulièrement allemandes,
sont désormais le nouvel ennemi des USA.

Donald Trump n’a que faire de la supériorité morale autoproclamée de la politique européenne. Il l’a prouvé de façon magistrale ce week-end. Ce n’est pas la manière qui compte à ses yeux, mais uniquement le résultat. Les automobiles européennes et plus particulièrement allemandes, sont désormais le nouvel ennemi d’Etat des Etats-Unis, que le gouvernement américain n’hésite pas à qualifier de «menace pour la sécurité nationale». C’est bien sûr totalement idiot. Premièrement, la part de marché des constructeurs automobiles allemands aux Etats-Unis est plus modeste que celles des constructeurs américains en Europe, avec moins de 8%. Deuxièmement, l’industrie automobile allemande est un employeur important avec quatre grandes usines aux Etats-Unis. Troisièmement, l’importation d’automobiles allemandes aux Etats-Unis est de toute façon déjà en baisse depuis 2015. Pour Trump, il ne s’agit pas de voitures, du moins pas uniquement. C’est une certitude.

Une succession de feintes 

Les Américains ont également causé des tracas lors de la Conférence de Munich sur la sécurité. Le vice-président américain Mike Pence n’a eu de cesse de critiquer et de rappeler à l’ordre les Européens à la demande de son patron. Il s’est emporté contre les Allemands, car ils persistent à vouloir construire le gazoduc Northstream 2 et a exigé des Européens qu’ils dénoncent l’accord sur le nucléaire iranien. Il a par ailleurs rappelé à l’Europe que les Etats-Unis insisteraient pour que l’objectif de dépenses de 2% du PIB pour l’OTAN soit respecté. On attendrait un plan crédible de chaque membre de l’OTAN à cet égard. Un nouveau cap a ensuite été franchi ce week-end. Trump a ainsi invité les Européens à rapatrier les combattants étrangers de l’Etat islamique. Pour être précis, sa demande s’apparentait plutôt à un chantage, l’alternative envisagée étant leur libération pure et simple. C’est grâce à de telles feintes que les Etats-Unis mettent sciemment la pression sur l’Europe.

Un pouvoir sans style 

Ce n’est pas sans raisons que l’industrie automobile est ciblée en priorité. L’Allemagne serait affectée pour les deux tiers et c’est sans doute le but de la manœuvre de s’en prendre en priorité à la première économie européenne. En réalité, Trump voudrait un nouveau deal avec l’Europe et il renforce à présent ses positions de négociation dans cette perspective. Pour l’instant, l’Europe s’en tire en effet encore à bon compte concernant les droits de douane spéciaux. Moins de 3% des exportations européennes sont frappés de tels droits de douane supplémentaires aux Etats-Unis. Au Canada, elles sont trois fois plus nombreuses (9%), tandis qu’elles sont massivement plus nombreuses en Russie (25%) et en Chine (50%). Trump s’imagine que les Etats-Unis pourront améliorer leur compétitivité grâce à des sanctions douanières. Or c’est précisément le contraire. Les économies protégées et cloisonnées n’ont jamais été vraiment compétitives. Les systèmes économiques ouverts et libéraux sont les gagnants de la compétition mondiale. Notre pays en est un bon exemple, seul l’occupant incorrigible de la Maison blanche est persuadé du contraire. L’Allemagne est désormais dans son viseur et comme celle-ci vient d’annoncer un excédent de la balance courante de près de 300 milliards de dollars, cela ne devrait que le conforter dans l’idée qu’il appuie sur le bon levier. Comme il a l’eau jusqu’au cou dans son propre pays en raison de l’urgence nationale et des actions collectives, il faut s’attendre à ce qu’il accentue la pression, au cours des semaines à venir. La discorde risque donc encore de se creuser. Il cherche désormais ouvertement le conflit après avoir instauré une manière de gouverner offensante et sans scrupules. Considéré comme un phénomène de société, le président américain a d’abord choqué avant que les consciences ne s’émoussent peu à peu. Sa pensée est certes confuse, mais il est extrêmement concentré au plan tactique. Seule la question du pouvoir importe à ses yeux. Il laisse les questions de style aux autres.

Prochain Point de vue de Martin Neff: le mercredi 13 mars

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