Pas de précipitation

Serge Ledermann, 1959 Advisors

6 minutes de lecture

Après un mois d’août historique avec des baisses de taux significatives, une certaine dose de rationalité est revenue.

Septembre 2019: début de rotation sectorielle?

Les marchés de taux prennent enfin une pause! Après un mois d’août historique avec des baisses de taux significatives, une certaine dose de rationalité est revenue. Certes la croissance poursuit sa phase de décélération, mais la peur extrême n’est certainement pas justifiée. Une nouvelle fois, le mois fut particulièrement animé, voire secoué, par les développements géopolitiques (attentats sur les installations pétrolières en Arabie Saoudite, procédure de destitution contre le Président américain, désaveu de la suspension du Parlement à Londres, poursuites des manifestations de rue à Hong Kong et incertitude totale sur les négociations tarifaires).

Dans ce contexte compliqué, mais moins anxiogène, les marchés des actions ont poursuivi cahin-caha leur progression. On dénote toutefois une rotation en faveur des secteurs/marchés délaissés jusque-là, à savoir les valeurs industrielles, financières et dans une certaine mesure le style «value». A l’inverse, les valeurs de croissance de la technologie, de la santé ou de la consommation marquent le pas.

Dans les actifs réels, les métaux précieux se replient, alors que l’immobilier fait du surplace. Enfin dans les devises, le franc suisse (tout comme le yen) rentre dans le rang après la fermeté des mois précédents. Le dollar est stable contre la monnaie helvétique.

L’environnement global des marchés montre quelques signes de changement. La rotation observée en septembre semble indiquer que les taux souverains et les actions de croissance ont – au moins temporairement – atteint des niveaux très «perchés». Continuer à les pousser plus haut présente donc des risques certains de déception. On observe un nombre croissant de signes de relance suffisamment convaincants (baisse de taux, baisses d’impôts comme en Inde ou initiatives de relance en Chine notamment) pour permettre de tabler sur une stabilisation prochaine des indicateurs de croissance sur le plan mondial.

Tableau des performances des principales classes d’actifs

(septembre et année 2019 en cours)

Source: XO Investments
La reprise reportée à 2020

Le dernier trimestre de l’année sera encore largement ponctué par les développements géopolitiques et la publication des indicateurs avancés de la conjoncture. Ces dernières semaines n’ont pas été en reste en matière de surprises:

Trump sous la menace d'une procédure de destitution. Nancy Pelosi, cheffe de file du parti démocrate, est (enfin) passée à l’offensive. Si tout le monde sait que les chances d'aboutir sont maigres, cette démarche ajoute un élément de diversion supplémentaire dans le contexte (déjà bien troublé) de la politique américaine. La montée de Elisabeth Warren dans les sondages se base sur une tonalité politique résolument différente (plus de réglementation, contrôle des GAFAs et de la finance, approches sociales plus égalitaires, santé pour tous, etc…), mais pas sans danger pour l’économie américaine. Nous reviendrons sur les conséquences envisageables en cas de validation de la candidature de Mme Warren.

Trump envisagerait d’imposer des mesures sur les flux financiers d’acteurs chinois aux Etats-Unis. Les informations du Financial Times et de Bloomberg ont toutefois été infirmées dans les 48 heures qui ont suivi leur publication… Ces hésitations confirment une fois de plus la cacophonie qui règne à la Maison-Blanche. Nous réaffirmons notre conviction que la guerre commerciale vise avant tout à restreindre le développement économique de la Chine. La «guerre froide» qui se met en place va toucher avant tout les secteurs de la technologie et probablement aussi ceux de la finance.

Trump menace à nouveau l’Iran, suspecté d’être à l’origine des attentats perpétrés contre les installations pétrolières en Arabie Saoudite. Beaucoup de bruit, peu d’action! Quelques jours plus tard, le prix du baril de pétrole revient presque à son niveau d'avant les frappes…

Nouvelle dégradation de l’industrie européenne: au mois de septembre, les enquêtes des directeurs d’achat de Markit (à 45,6 pour le secteur manufacturier et 50,4 pour le composite, au plus bas depuis 2012) ont ravivé les craintes d’une récession en zone euro. Par conséquent, les appels à une relance budgétaire en Allemagne se multiplient. Une première lance (modeste) est rompue dans le domaine des investissements durables. Pour l’heure, la propagation du ralentissement industriel allemand vers les autres pays et secteurs (services et construction) reste contenue, mais le consommateur européen pourrait commencer à percevoir les effets du tassement conjoncturel.

La Cour suprême britannique a finalement jugé que la décision du Premier ministre de suspendre le Parlement était illégale. Bien que démocratiquement rassurante, cette décision n'a pas de caractère contraignant pour repousser le Brexit au-delà du 31 octobre. Par ailleurs, le fossé reste important entre le Royaume-Uni et l'Europe. Une sortie sans accord reste sur la table et les incertitudes continuent donc de s'accumuler pour les dirigeants d'entreprises.

Septembre constituait un rendez-vous très attendu pour les principales banques centrales: la Réserve fédérale américaine (Fed) a comme prévu baissé ses taux directeurs de 0,25%. La Fed a insisté sur «l'impact des développements internationaux sur les perspectives économiques et la faiblesse de l'inflation», en rappelant que l’économie américaine restait robuste. Nous notons également les divisions marquées au sein du comité (3 membres contre et 7 pour), phénomène suffisamment rare pour être relevé. Baisse des taux de prise en pension par la Banque Centrale Européenne (-10pb à –50) et relance d’un programme d’achat d’obligations à partir de novembre. Beaucoup de divergences également au sein du conseil, Mme Lagarde prendra donc le relais avec une politique pour le moins très accommodante. Enfin en Suisse, la BNS a laissé son taux directeur inchangé à -0,75%, ainsi que le taux d’intérêt négatif appliqué aux avoirs à vue. En revanche, elle veut soulager les ponctions pour les banques, en assouplissant le système de calcul. Est-ce que la BNS estime (enfin) que l'effet marginal des mesures non-conventionnelles est devenu nul?

Les réactions sur les marchés de taux et des changes ont été très contenues, car ces décisions correspondaient largement aux attentes. Toutefois, la stabilité du franc contre l’euro suite à l’inaction de la BNS constitue un message fort des investisseurs face à l’ineptie des taux négatifs.

Inquiétude sur le marché interbancaire aux Etats-Unis durant le passage de fin de trimestre, démontrant le faible niveau de réserves au sein des banques. La Réserve Fédérale est immédiatement montée au front pour apporter les liquidités nécessaires et de manière récurente. On peut donc s’attendre à une augmentation (à nouveau) du bilan de la banque centrale.

Amélioration des indicateurs avancés de l’économie en Chine: les deux indicateurs Caixin et PMI manufacturier montrent des signes de reprise en septembre. En parallèle, les commandes à l’industrie se redressent. Les mesures de relance et le calme relatif sur le front des tensions tarifaires donnent un bon bol d’oxygène à la conjoncture chinoise. Les autorités sont particulièrement attentives à encadrer le mieux possible l’économie domestique afin de poursuivre les objectifs stratégiques de moyen terme.

L’indice manufacturier chinois

(et le modèle de CSM en pointillé)

Source: Cornerstone Macro

Début de défiance à l’égard les «licornes» et autres sociétés du segment «hyper growth»: face aux critiques des investisseurs, le «champion du co-working» WeWork a décidé de reporter sa mise en bourse. Les interrogations grandissantes sur la qualité des modèles d'affaires (financer la croissance à tout prix en creusant les pertes durablement) et l’usage de manœuvres financières semblent désormais inciter les investisseurs à faire preuve de retenue à l’égard de ce segment du marché. La fin du cycle se rapproche et ce regain de prudence indique à nos yeux une phase de consolidation à venir.

Les marchés sont-ils prêts à anticiper la reprise?

Les achats de panique d’obligations souveraines en août correspondent certainement au besoin de couverture de nombreux investisseurs. Désormais, la protection d’actifs chers (comme les actions de croissance) par un autre actif «cher» semble ne plus être à l’ordre du jour. Les investisseurs considèrent également que les politiques monétaires extrêmes n’exercent plus d’effet sur les moteurs de croissance. La conviction grandissante est que le relais doit être pris par la dépense publique. Les taux bas doivent inciter les gouvernants à être plus courageux et accompagner plus activement les mutations profondes de la société moderne (préserver l’environnement, améliorer la santé et la nutrition, encourager les nouvelles formations et s’engager pour des infrastructures modernes notamment).

L’absence durable d’inflation figure parmi les convictions les plus ancrées actuellement. Et si l’inflation prenait tranquillement le chemin de la hausse? Le contexte de «dé-globalisation» qui semble se dessiner, le relais de la dépense publique, la hausse du prix de l’énergie et une certaine pression sur les salaires en fin de cycle sont autant d’éléments qui pourraient assez rapidement mettre au défi cette conviction. Nous n’attendons toutefois pas de retour à l’hyper-inflation car les conditions structurelles exercent toujours un frein puissant dans ce domaine.

Nous pensons donc que la diversification (par rapport aux actions notamment) la plus appropriée en ce moment est une combinaison d’actifs réels comme les métaux précieux et l’énergie en réduisant progressivement l’exposition aux obligations souveraines longues (qui ont très bien fonctionnés jusque-là).

Quel est le risque d’une correction importante des marchés des actions avant d’atteindre le plancher des indicateurs avancés d’activité? Généralement, la dernière phase de détérioration de ces indicateurs peut être pénible pour les actifs risqués, comme les valeurs cycliques. Nous restons donc plutôt prudents (malgré la générosité monétaire toujours bien présente) et attendons que d’autres éléments de notre feuille de route (notamment aux Etats-Unis) se confirment: amélioration des nouvelles commandes par rapport aux inventaires, amélioration de l’amplitude des indicateurs des directeurs d’achat dans le monde, révisions positives des attentes bénéficiaires des entreprises, compression des spreads de crédit ou remontée durable des taux par exemple. Pour le moment, seul le secteur de l’immobilier (indicateurs de la National Association Of Home Builders NAHB) montre des signes clairs de stabilisation, voire de reprise. Cela confirme que la baisse des taux directeurs démarrée en début d’année commence à déployer ses effets.

Si on suit la «feuille de route» habituelle avant d’atteindre le bas du cycle, les prochains signes seront la détérioration du marché de l’emploi (comme indiqué dans la chronique précédente, le principal indicateur de fin de cycle) et finalement potentiellement une récession des bénéfices, voire une récession tout court (un ralentissement marqué, sans récession est aussi possible).

Demandes d’indemnités de chômage aux Etats-Unis (ligne verte) et taux directeurs décalés de 2,5 ans (ligne grise)

Source: Cornerstone Macro

Nous conservons notre conviction que la reprise cyclique commencera à se dessiner au début de 2020, période pendant laquelle le positionnement des portefeuilles devra évoluer vers plus de risques, plus de cyclicité et moins de duration obligataire.

Prudence reconduite, mais observation vigilante des signes de stabilisation

Le ralentissement conjoncturel se poursuit en septembre comme l’indique la dernière livraison de l’indice des directeurs d’achat aux Etats-Unis qui inscrit son plus bas niveau (à 47,4) depuis 10 ans. Dans ce contexte, la générosité des banques centrales n’a pas de raison de se tarir et les taux vont rester bas au cours des prochains trimestres. Pas d’amélioration notable dans le monde non plus. Nous continuons à prendre en compte les indicateurs manufacturiers (même si le monde est de plus en plus dirigé par les services) car ils anticipent encore parfaitement l’évolution de l’emploi et partant de la consommation.

Les indicateurs avancés d’activité restent orientés à la baisse dans le monde              

(Zone euro, Japon et Chine)

Source: Cornerstone Macro

En septembre, une rotation significative au sein des marchés des actions s’opérée à la faveur du rebond des taux longs (après une baisse abyssale en août certes). A cette occasion, les affaires de croissance ont subi des baisses importantes, les investisseurs choisissant de se repositionner sur les «perdants» de l’année (financières et industrielles).

Comme le démontre le graphique ci-dessous, l’écart de valorisation est à son extrême des 20 dernières années. Il est vrai que la tentation est grande de rééquilibrer son portefeuille en faveur des segments les moins onéreux. Nous pensons qu’il convient de ne rien entreprendre de significatif avant la stabilisation de indicateurs avancés. Les premiers jours du mois d’octobre nous rappellent une nouvelle fois que les cours de bourses «marchent» avec les indicateurs avancés (ils ne les anticipent pas).

Une fois que la stabilisation des indicateurs avancés de croissance sera avérée, la rotation sectorielle s’organisera et les écarts de performance pourraient rapidement être significatifs tant la sous-performance des secteurs cycliques s’est creusée au cours des dernières années.

% du temps pendant lequel le secteur a été moins cher en termes de valorisation (EV/EBITDA) au cours des 20 dernières années

Source: Decalia Asset Management

Pour l’heure, nous maintenons notre positionnement un peu plus prudent et notre diversification entre actions (en dessous du point neutre), obligations (sous-pondérées avec un mix crédit, dette émergente en dollar et souverain), et actifs réels (or et immobilier surpondérés). Sélectivement, nos stratégies asymétriques (obligations convertibles et equity long/short) restent en place. Nous entrons probablement dans la dernière phase de détérioration des indicateurs avancés de l’activité. Comme indiqué nous nous gardons d’anticiper la reprise, mais nous nous préparons à faire évoluer nos portefeuilles.

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