NN IP: est-ce la fin de la nouvelle normalité?

Cyril Gomez

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La progression des taux pourrait s’accompagner d’un changement de régime macroéconomique et des marchés financiers.

 

La hausse des taux d’intérêt continue d’ébranler les marchés, aussi bien celui des taux que celui des actifs risqués. En hausse de plus de 80% au cours des cinq derniers jours écoulés au 11 octobre, la volatilité (VIX) flirte avec les plus hauts observés en février et mars derniers. Mais cette volatilité traduit moins la certitude d’un avenir assombris des marchés financiers que l’incertitude liée à la direction probable des variables économiques telles que l’inflation et les taux d’intérêt dans la nouvelle normalité.

Caractérisée par un faible taux de croissance tendancielle des économies développées, la persistance d’un taux de chômage élevé, l’intensification de l’interventionnisme d’État et la réduction significative des prises de risque par les banques suite à la mise en place d’un nouveau cadre réglementaire, cette nouvelle normalité rend en effet caducs de nombreux modèles d’analyse traditionnels. Sa longévité – déjà dix ans – rend également dépendantes du sentier les résultats futurs attendus par les opérateurs de marché. Une situation où les mouvements passés dans une direction spécifique suscitent des mouvements futurs et plus appuyés dans la même direction.

Un changement important dans le comportement des détenteurs
de capitaux et des gestionnaires de fonds est à prévoir.

Or la hausse récente et brutale des taux introduit à nouveau le doute dans les esprits: le régime macroéconomique et celui des marchés financiers sont-ils en train de muter? L’inflation sortirait-elle enfin de sa bouteille? La politique monétaire est-elle devenue restrictive? Dans l’affirmative, le moment est-il alors venu pour les portefeuilles de s’adapter à une nouvelle donne, si ceux-ci entendent continuer à extraire des rendements à la fois attrayants et à l’épreuve du temps?

«Si, en effet, le régime est en train d’évoluer, alors un changement important dans le comportement des détenteurs de capitaux et des gestionnaires de fonds est à prévoir», envisage Valentijn van Nieuwenhuijzen, CIO de NN Investment Partners (NN IP). «Précisons, toutefois, qu’il est encore trop tôt pour se prononcer au stade actuel», poursuit le stratégiste. Les «faux départs» impliquant une brève intensification de la progression des prix et un maintien prolongé de plusieurs années de taux de rendement très bas se sont déjà illustrés par de nombreux exemples, dont le plus célèbre est le cas du Japon, «coincé à des niveaux proches de zéro depuis environ deux décennies».

Cependant, Valentijn van Nieuwenhuijzen insiste sur le fait qu’un jour où l’autre ce régime finira inévitablement par changer. Selon l’expert, l’exercice consiste pour l’heure à évaluer les scenarii possibles qui pourraient se développer au cours des prochaines années. Il s’agit d’abord d’examiner dans quelle mesure les taux d’intérêt augmentent pour les bonnes raisons. C’est-à-dire en réponse à une accélération de la croissance et de l’inflation. Or force est de constater que l’économie globale a progressé à un rythme solide au cours des deux dernières années et le marché du travail est devenu de plus en plus tendu.

Bien qu’une remontée rapide de l’inflation provoquerait une période temporaire
d’aversion au risque, celle-ci ne produirait pas pour autant de dommages durables.

«Si la croissance persiste, des goulets d’étranglement dans la chaîne de valeur globale pourraient émerger à un moment donné», prévient Valentijn van Nieuwenhuijzen. «D’ici là, nous pourrions avoir perdu notre capacité à identifier ce moment à l’avance, dès lors que de nombreux modèles mettant en relation l’utilisation des ressources et la dynamique des prix et des salaires sont tombés en désuétude.» Ceci étant dit, Valentijn van Nieuwenhuijzen souligne que la conviction selon laquelle un resserrement des marchés des produits et du travail suit la loi traditionnelle de l’offre et de la demande n’a pas fléchi.

«Bien qu’une remontée rapide de l’inflation provoquerait une période temporaire d’aversion au risque, celle-ci ne produirait pas pour autant de dommages durables, dès lors qu’elle se traduirait par une croissance structurellement plus élevée des revenus nominaux pour les ménages et les entreprises, ce qui soutiendrait par conséquent les cash-flows», explique l’expert de NN IP. Les valorisations des actifs trouveraient ainsi un soutien dans l’accélération des prix, tant que ceux-ci se stabiliseraient in fine vers la limite supérieure d’une fourchette correspondant à ce que les banques centrales qualifient de stabilité des prix.

«Dans un tel scenario, les banques centrales normaliseraient les taux d’intérêt à un nouveau niveau, sans forcément caractériser une politique restrictive. Une telle politique monétaire continuerait de stimuler une croissance saine et ne déclencherait donc pas un ralentissement conjoncturel. Pour le moment, c’est probablement notre scénario de base», indique le CIO.

Des taux d’intérêt élevés ne manqueraient pas d’inverser la tendance
des flux de capitaux au détriment des marchés émergents.

Un second scénario, plus risqué, décrirait non pas une accélération non contrôlée des niveaux des prix, mais une hausse jugée excessive des taux d’intérêt qui finirait par exposer les vulnérabilités du système financier global, telles que l’endettement de certaines économies émergentes. Ce qui créerait à son tour des boucles de rétroaction dans l’économie réelle. «Des taux d’intérêt plus élevés au sein des économies développées ne manqueraient pas d’inverser la tendance des flux de capitaux au détriment des marchés émergents, suscitant pour ces derniers une hausse significative du coût du capital», prévient Valentijn van Nieuwenhuijzen.

Si tel devait être le cas, il serait ainsi possible d’observer des errements ou des erreurs de jugement de politique macroéconomique dans des pays tels que la Turquie, le Brésil, l’Afrique du Sud, l’Argentine, l’Indonésie, voire la Chine. Enfin, un troisième scénario consisterait en un basculement séculaire du comportement des investisseurs, résultant d’une hausse graduelle des taux d’intérêt. Ce qui marquerait la fin à la fois de la recherche du rendement et des stratégies de faible volatilité, ces deux phénomènes ayant été particulièrement populaires au cours de la décennie écoulée.

Quel que soit le scénario envisagé, Valentijn van Nieuwenhuijzen estime qu’une approche plus tactique de l’investissement devrait s’accompagner d’une prudence supérieure à la normale, aussi bien eu égard au marché obligataire qu’à celui des actions.