Marchés émergents: le point sur les turbulences

Salima Barragan

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«La Turquie a creusé son propre trou», estime Kim Catechis de Martin Currie.

Conséquence de la guerre commerciale, les marchés émergents devraient connaître un trimestre quelque peu turbulent. La livre turque et le pesos argentin qui dégringolent sont d’autres facteurs inquiétants. Analyse de la situation avec Kim Catechis, responsable des marchés émergents chez Martin Currie, une filiale de Legg Mason.

L’obsession turque du court-terme

Depuis quelques années, Erdogan tente de remanier la constitution turque afin que le pays adopte un régime présidentiel. «Nous avons un cas classique où la politique domestique prime sur les priorités économiques et il n’y a pas d’évidence d’une réponse orthodoxe», déplore Kim Catechis. Pour parvenir à ses fins, Erdogan devait remporter référendums et élections à tout prix, quitte à plonger le pays dans un chaos économique. «Il maintient une politique de facilité sans la moindre vision stratégique à long terme. Et c’est précisément pour cette raison que la Turquie à creuser son propre trou», affirme ce spécialiste des marchés émergents.

Les risques ne s’arrêtent pas là. «Les échéances du remboursement de la dette pour ces 12 prochains mois se montent à presque 108 milliards de dollars. Assumons que la Turquie arrive à repayer sa dette, cela reste un montant très important du PIB et, n’oublions pas, la banque centrale turque ne dispose pas de réserves très importantes», explique Kim Catechis. Le déficit turc est très exposé au dollar, rendant le pays particulièrement vulnérable.

Rajoutons à cela un rally du prix du pétrole qui pénalise le pays et un président convaincu que les hausses de taux d’intérêt sont les sources du mal, la Turquie semble se trouver dans une impasse. Pour en sortir, deux alternatives se présentent à Ankara; à savoir le contrôle des mouvements de capitaux ou un accord avec le FMI. «Pour Erdogan, aucune de ces solutions n’est plaisante. Son obsession du court-terme va se solder par un échauffement économique et des poussées inflationnistes», souligne Kim Catechis. 

La demande en obligations turques est restée très forte.

Curieusement, les investisseurs étrangers, tant en obligations qu’en actions, n’avaient pas été très exigeants sur la prime de risque exigée malgré les développements politiques. La demande en obligations turques est d’ailleurs restée très forte. «C’est un bon moment pour re-calibrer et identifier certaines entreprises turques exportatrices qui supportent leurs coûts en livres turques mais dont le revenus sont libellés en euros ou en dollars», remarque Kim Catechis qui estime toutefois, qu’en l’absence de toute politique économique structurée et réaliste, il est trop tôt pour envisager d’investir sur ces sociétés.

Vers des risques de contagion?

Bien que par le passé, cette crise aurait pu se propager suite à un manque de confiance général des investisseurs, la situation actuelle est très différente. Les pays émergents ont, depuis la crise asiatique, réduit drastiquement leur dépendance au dollar. «L’année 1998 reste un point de référence. Un an après la crise asiatique, ces pays souffraient toujours de la correction car leurs monnaies étaient fixées au dollar. Le volume de la dette souveraine était certes conséquent, mais c’est sa dénomination en dollar qui a été le plus problématique», rappelle Kim Catechis. Aujourd’hui, ces pays ont réduit leur dépendance à approximativement 20%, empêchant ainsi tout risque de crise systémique. «Le volume actuel de la dette émergente représente environ 150% de celui de 1998, soit dans l’ordre de 30 à 40% du PIB mais presque 80% concerne des obligations émises en monnaie locale. Aussi, la dette souveraine s’est fortement réduite et ne représente plus qu'environ20% du total», souligne-t-il.

La résistance s’organise

Les effets d’une guerre tarifaire sur les marchés émergents sont un second sujet de préoccupation. Selon Kim Catechis, les tarifs commerciaux, qu’il assimile à des impôts, ont un effet inflationniste. «Personne ne sort gagnant d’une guerre tarifaire ou conventionnelle», déclare-il. Jusqu’à quel point ces pays tiendront-il le coup? «Trump a une contrainte de temps que Jinping n’a pas. Le président chinois pas d’élections régionales en Novembre! Alors que Trump doit démontrer prochainement quelque chose de positif à son électorat». Il estime que cette bataille peu glorieuse se terminera en érosion dans le temps, à l’instar de la première guerre mondiale.

Quant aux Chinois, ils poursuivent patiemment leur tactique défensive pour éviter tout escalade de guerre commerciale. La loi du Talion l’emporte. «A chaque nouvelle mesure, ils répliquent avec la même amplitude. Mais l’économie américaine étant très transparente, il leur est très facile de cibler leur secteur américain le plus vulnérable qui est l’agriculture», rajoute Kim Catechis. 

«Nous aimons le thématique de la consommation
selon une discipline de valorisation.»

De plus, les entreprises chinoises disposent d’alternatives à ces barrières tarifaires. Depuis une dizaine d’année, la Chine mène une politique de diversification. L’initiative «One Belt One road» a raccourci le temps de transport des marchandises pour le marché européen et permettra aussi aux sociétés chinoises d’accéder à de nouveaux marchés. La Chine a également ratifié un nouvel accord commercial multilatéral avec un ensemble de pays, partant de l’Inde à la Nouvelle-Zélande, pour rabaisser les tarifs. Ce bloc représente approximativement 45% du commerce mondial et cet accord va renforcer la croissance de leur échanges commerciaux. «Cette bataille fera souffrir les pays émergents encore un peu, mais je reste convaincu qu’elle ne va pas durer car les secteurs américains seront les premiers décimés», affirme Kim Catechis. 

La technologie en Asie et les valeurs bancaires en Amérique du Sud

Dans ce contexte, ce spécialiste des pays émergents voit tout de même des opportunités d’investissement dans certains secteurs. «Nous aimons le thématique de la consommation selon une discipline de valorisation. Nous favorisons les entreprises exposées au thème de la croissance inexorable de la classe moyenne. Cela nous a conduit au secteur technologique en Asie», explique Kim Catechis. Selon Martin Currie, la technologie restera un moteur important dans ces pays car le développement rapide de nouvelles applications va créer d'importantes opportunités commerciales. 

Les valeurs bancaires sud-américaines retiennent également l’attention du spécialiste. «Le marché bancaire est peu pénétré, les banques sont bien capitalisées et leur ROE et ROA sont satisfaisants. Au Pérou, dont la population est de 32 millions de personnes, environ 15 millions sont employées. Aussi, le pays offre une donne démographique favorable avec environ la moitié de la population âgée de plus de 25 ans» estime-il. Creditcorp semble la mieux positionnée sur un marché offrant un très grand potentiel pour la revente de produits financiers.