Les tensions commerciales se conjuguent aux risques de liquidité

Cédric Spahr, J. Safra Sarasin Asset Management

4 minutes de lecture

Les économies résistent tant bien que mal mais les perspectives bénéficiaires pour 2020 sont préoccupantes.

© Keystone

L’impact du durcissement qu’avait adopté la Fed par le passé est source de vents contraires pour les marchés boursiers. En outre, les analystes doivent encore réduire les prévisions bénéficiaires pour 2020 et la hausse des coûts salariaux érode lentement la rentabilité des entreprises américaines. La guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine risque de passer par des épisodes d’escalade et des phases d’accalmie. Les tensions entre les deux pays compromettent la conclusion d’un accord durable. Au niveau sectoriel, nous privilégions la santé, les biens de consommation courante et les sociétés immobilières. Nous conseillons de surpondérer les actions suisses et américaines dans un environnement appelé à devenir plus volatil.

Les perspectives bénéficiaires pour 2020 sont préoccupantes

Le taux de croissance du secteur manufacturier mondial a déjà culminé en 2018 et est en baisse depuis, ce qui se produit généralement au cours d’un cycle des stocks dans l’industrie. La montée des tensions commerciales amorcée en mai a eu jusqu’à présent un impact limité sur les données économiques réelles. Elle pénalise le secteur agricole américain et a réduit les flux commerciaux réciproques entre les États-Unis et la Chine. Cela étant, le ralentissement de l’activité manufacturière a eu des répercussions plus ou moins importantes sur les principales régions économiques. Le taux de croissance annuel des entrées de commandes dans l’industrie manufacturière américaine est resté positif en juin, ce qui témoigne de la vigueur de l’économie américaine. Le taux de croissance annuel de la production industrielle américaine est tombé à 0,5% en glissement annuel en juillet.

L’économie chinoise retrouvera progressivement
de la vigueur dans le courant de l’année.

La croissance du chiffre d’affaires des entreprises demeure positive, mais l’évolution récente des révisions des prévisions de bénéfices nets et des volumes de transport et de fret ferroviaire indique qu’elle devrait rester modérée jusque vers la fin du second semestre 2019. La stagnation des bénéfices des entreprises américaines et l’érosion des marges bénéficiaires signalées par le Bureau of Economic Analysis (BEA) sont un peu plus préoccupantes. Cela signifie que les mesures de relance budgétaire de 2017 ont eu un impact plus modéré que prévu sur les bénéfices et que la hausse des coûts salariaux commence à éroder les marges bénéficiaires. La baisse de la rentabilité pourrait pénaliser les investissements des entreprises au second semestre 2019.

En Asie, les indices PMI manufacturiers ont bien résisté, évoluant dans de nombreux cas autour de 50 points. C’est le cas du PMI Caixin pour la Chine. Nous prévoyons que l’économie chinoise retrouvera progressivement de la vigueur dans le courant de l’année. Les perspectives économiques semblent plus mitigées pour l’Europe, en particulier pour l’Allemagne. L’économie allemande s’est contractée de 0,1% en glissement trimestriel au deuxième trimestre 2019, son secteur manufacturier paraissant indéniablement à la peine.

Les prévisions de croissance bénéficiaire pour 2020 nous semblent généralement élevées. Les analystes actions devraient les ajuster à la baisse jusqu’à fin 2019.

Les prévisions de bénéfices pour 2020 devraient baisser jusqu’à la fin 2019

Sources: Datastream, J. Safra Sarasin, 15.08.2019
Les conditions monétaires restent l’élément moteur des marchés

En dépit des revirements de l’actualité relative à la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine et de l’attention minutieuse accordée aux indicateurs économiques, les conditions monétaires et de liquidité constituent les principaux moteurs des marchés boursiers mondiaux en 2019. Notre mesure du degré d’accommodation de la politique monétaire américaine montre indéniablement que les effets retardés de la politique de taux d’intérêt de la Fed continuent de dicter l’évolution des cours des actions américaines. Selon cet indicateur, les conditions monétaires continueront de peser sur les actions au cours des prochains mois. À cet égard, D. Trump a peut-être raison de reprocher à la Fed de s’être «laissé distancer par les événements» et nos économistes entrevoient la possibilité de deux autres baisses de taux en 2019.

La baisse des rendements des obligations d’État à travers le monde constitue un autre paramètre clé dans l’évaluation des perspectives de liquidité et de croissance. La décision du président américain d’introduire des droits de douane supplémentaires sur les importations chinoises encore exemptes de droits a relancé un mouvement de fuite vers la sécurité des obligations d’État. Si la faiblesse des rendements obligataires réels peut soutenir les marchés des actions en dopant les valorisations jusqu’à un certain point, il existe selon nous davantage de risques que l’extrême faiblesse des rendements obligataires réels commence également à refléter les incertitudes des investisseurs quant aux perspectives économiques.

La faiblesse des rendements réels américains reflète les inquiétudes conjoncturelles et ne soutient plus les valorisations

Sources: Datastream, J. Safra Sarasin, 23.08.2019
Guerre commerciale sino-américaine: distinguer entre émotions et réalité économique

Les relations sino-américaines se sont détériorées après la trêve conclue lors de la réunion du G-20 à Osaka. Le 1er août, D. Trump a imposé de nouveaux droits de douane sur les 300 milliards de dollars d’importations chinoises restants, qu’il a ensuite reportés au 15 décembre. Il craignait probablement de pénaliser les consommateurs américains et d’alimenter les pressions inflationnistes, ce qui réduirait la probabilité d’un assouplissement monétaire de la Fed. La Chine boycotte toujours les importations de produits agricoles américains, avec l’objectif à peine déguisé de nuire aux agriculteurs américains dans les principaux États-charnière et d’hypothéquer les chances de réélection de D. Trump en 2020.

D. Trump a fait marche arrière sur ces droits de douane, ce qui devrait encourager la Chine à rester intransigeante avec les États-Unis. Si D. Trump cède aussi facilement en raison de préoccupations électorales et par crainte de pénaliser le consommateur américain, Xi Jinping a de bonnes raisons d’adopter une stratégie de longue haleine et d’espérer l’élection d’un président américain plus malléable en novembre 2020. Paradoxalement, cette stratégie d’indifférence pourrait bien attiser la colère de D. Trump, si bien que la guerre commerciale devait connaître des épisodes d’escalade et des phases d’accalmie, sans aboutir à une solution satisfaisante pour les deux parties.

Les secteurs défensifs devraient surperformer les cycliques au S2 2019

Source: Datastream, J. Safra Sarasin, 23.08.2019
Stratégie sectorielle: les valeurs défensives surperforment les cycliques

La baisse rapide des rendements obligataires intervenue en août s’est traduite par une nette surperformance des secteurs défensifs par rapport aux secteurs cycliques. L’évaluation plus pessimiste de la croissance économique a semblé aller de paire avec une forte demande de valeurs refuge. Les indicateurs de conjoncture toucheront un plus bas d’ici la fin de l’année, mais la reprise devrait rester modérée. Avec des rendements obligataires faibles au cours des prochains mois, nous recommandons de ne pas renforcer trop tôt l’exposition aux secteurs cycliques. Nous penchons par conséquent pour la prudence et conseillons de surpondérer les entreprises du secteur de la santé, les biens de consommation courante et les sociétés immobilières. Nous adoptons une position neutre sur les technologies de l’information, car la dynamique de hausse de certains grands groupes technologiques s’essouffle. Nous recommandons de sous-pondérer les secteurs pour lesquels la demande devrait rester faible au cours des prochains mois, à savoir notamment les matériaux et l’industrie. Nous pensons également que les banques vont continuer de sous-performer, certaines banques centrales étant susceptibles de baisser leurs taux. Dans ce contexte, un positionnement en faveur des grandes capitalisations de croissance, des valeurs de qualité, des titres générant des rendements du dividende élevés et des actions peu volatiles devrait largement surperformer les titres « value » et les actions de petite capitalisation.

Les vents contraires seront plus violents, la volatilité devrait augmenter

La persistance de tensions commerciales ébranle manifestement la confiance des entreprises, une situation qui pourrait persister à moyen terme. Notre analyse des indicateurs monétaires nous met également en garde contre un éventuel trou d’air à l’approche de la fin de l’année. Ces conditions appellent un positionnement plus défensif. Nous recommandons de surpondérer les actions américaines et suisses et de sous-pondérer les actions de la zone euro et du Royaume-Uni. Nous sommes neutres sur les marchés émergents et le Japon. Les indicateurs monétaires laissent présager une hausse de la volatilité des actions. Nous prévoyons que l’indice S&P 500 américain évoluera dans une large fourchette comprise entre 2600 et 3000 points au cours des prochains mois.

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