Les conséquences économiques de la guerre commerciale

Barry Eichengreen, Université de Berkeley

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La guerre commerciale du Président des États-Unis Donald Trump, faite d'abord de pure façade et de vantardise, vient de devenir vraie.

 

Les droits de douane sur l'aluminium et l'acier (que l'administration Trump a imposés début juin), ont été importants principalement pour leur valeur symbolique, pas pour leur véritable impact économique. Tandis que les droits de douane signifiaient que les États-Unis ne jouaient plus selon les règles du régime des échanges mondiaux, ils ont ciblé seulement 45 milliards de dollars d'importations, soit moins de 0,25% du PIB dans une économie américaine de 18,5 mille milliards de dollars.

Toutefois le 6 juillet, un droit de douane supplémentaire de 25% sur 34 milliards de dollars d'exportations chinoises est entré en vigueur et la Chine a exercé des représailles contre un volume équivalent d'exportations américaines. Trump, fâché, a ordonné au Représentant des États-Unis pour le commerce de faire une liste de marchandises chinoises supplémentaires, d'une valeur de plus de 400 milliards de dollars, qui pourraient être taxées. La Chine a à nouveau promis d'exercer des représailles. Trump a également menacé d'imposer des droits de douane sur une valeur de 350 milliards de dollars de véhicules à moteur et de pièces d'importation. S'il passe à l'acte, l'Union européenne et d'autres pourraient exercer des représailles contre une quantité égale d'exportations américaines.

Un sondage montre que 66% des électeurs républicains
soutenaient les menaces de droits de douane envers la Chine.

Nous parlons maintenant vraiment argent: près de mille milliards de dollars d'importations américaines et une quantité équivalente d'exportations américaines et d'investissements étrangers.

Le mystère est de savoir pourquoi les retombées économiques et financières de cette escalade sont si limitées. L'économie américaine continue son bonhomme de chemin. L'indice PMI était reparti à la hausse en juin. Wall Street a vacillé, mais rien n'a ressemblé à sa réaction négative aigue des droits de douane Smoot-Hawley de 1930. Les marchés émergents ont souffert de sorties de capitaux et de faiblesse des devises, mais c'est plus une conséquence des hausses de taux d'intérêt de la Réserve fédérale que de toutes les annonces issues de la Maison Blanche.

Il y a trois explications possibles. Premièrement, les directeurs d'achats et les investisseurs du marché boursier peuvent parier que le bon sens va continuer à avoir le dessus. Ils peuvent espérer que les menaces de Trump ne sont que des paroles en l'air, ou que les objections de la Chambre de commerce américaine et d'autres groupes d'affaires vont finalement se réaliser.

Mais cela ne tient pas compte du fait que le discours de Trump sur les droits de douane est très populaire auprès de sa base. Un sondage récent a constaté que 66% des électeurs républicains soutenaient les menaces de droits de douane de Trump envers la Chine. Trump a fait en 2016 un vœu protectionniste selon lequel il ne laisserait plus d'autres pays «profiter» des États-Unis. Ses électeurs s'attendent à ce qu'il tienne parole – et il le sait.

Deuxièmement, les marchés parient peut-être que Trump a raison quand il dit qu'il est facile de gagner des guerres commerciales. D'autres pays qui dépendent des exportations vers les États-Unis peuvent conclure qu'il est dans leur intérêt de céder. Début juillet, la Commission européenne était censée envisager un accord de réduction des droits de douane pour répondre à la plainte de Trump d'après laquelle l'UE taxe les voitures américaines à un taux quatre fois plus élevé que celui que les États-Unis exercent sur les berlines européennes.

Il faudra environ une année pour que l'impact
de cette incertitude se matérialise.

Mais la Chine ne montre aucune volonté de céder sous la pression des États-Unis. Le Canada, le plus poli de tous les pays, est pareillement peu disposé à être intimidé: il a exercé des représailles avec des droits de douane de 25% sur 12 milliards de dollars de marchandises américaines. Et l'UE envisagera de faire des concessions seulement si les États-Unis en proposent en retour – comme éliminer leurs droits de douane prohibitifs sur les camions légers et les véhicules utilitaires importés – et seulement si d'autres exportateurs comme le Japon et la Corée du Sud jouent le jeu.

Troisièmement, il se pourrait que les effets macro-économiques de la panoplie complète de droits de douane américains, ainsi que de représailles étrangères, soient relativement réduits. Les principaux modèles de l'économie américaine, en particulier, impliquent qu'une augmentation de 10% en coût de marchandises importées mènera à une augmentation unique de l'inflation de tout au plus 0,7%.

Ceci est simplement la loi des fractions réitérées à l'œuvre. Les importations représentent 15% du PIB des États-Unis. Multipliez 0,15 par 0,10 (le taux présumé des droits de douane) et vous obtenez 1,5%. Si l'on tient compte d'une certaine substitution sur certaines marchandises importées plus chères, ce chiffre chute alors en-dessous de 1%. Et si la croissance ralentit en raison du coût plus élevé d'intrants intermédiaires importés, la Fed peut compenser cela en augmentant les taux d'intérêt plus lentement. Les banques centrales étrangères peuvent faire de même.

Pourtant certaines personnes s'inquiètent du fait que les modèles standards sont notoirement mauvais pour capturer les effets macro-économiques de l'incertitude, que suscitent les guerres commerciales. Les projets d'investissements sont faits à l'avance, il faudra donc environ une année pour que l'impact de cette incertitude se matérialise – comme cela a été le cas au Royaume-Uni suite au référendum du Brexit de 2016. Taxer les intrants intermédiaires va nuire à l'efficacité, alors que la déviation des ressources loin des secteurs de pointe dynamiques en faveur de l'industrie ancienne va réduire la croissance de productivité, avec encore de nouvelles implications négatives sur les investissements. Et ce sont des résultats que la Fed ne peut pas facilement compenser.

Ainsi, pour ceux qui observent que les retombées économiques et financières de la guerre commerciale de Trump ont été étonnamment réduites, la meilleure réponse est: attentez simplement de voir ce qui va se passer.

Copyright: Project Syndicate, 2018.

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