Le retour des oracles, pour le meilleur et pour le pire

Yves Hulmann

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Actions, pétrole, bitcoin: les paris reprennent de plus belle depuis que la volatilité est réapparue sur les marchés.

Depuis le début du deuxième trimestre, tout est presque revenu à la normale sur les marchés. Les indices boursiers ont repris leur mouvement de hausse, entrecoupé par de brèves rechutes bien vite oubliées. Et si la volatilité continue certes à faire du yoyo, les pics atteints par l’indice VIX en février n’ont toutefois plus été observés récemment. Discrètement, plusieurs indices de référence comme le DAX, ou le S&P 500 se rapprochent peu à peu de leur niveau de début janvier.

La correction de début février n’était-elle donc qu’une brève poussée de fièvre qui mérite d’être oubliée au plus vite? Un signe indiquant que la nervosité sur le marché n’a pas complètement disparue est l’attention accrue qui est à nouveau accordée quelques oiseaux de mauvais augure, qui avaient quelque peu disparu des radars ces dernières années.

Marc Faber est à nouveau régulièrement cité par différents sites et blogs.

Figure emblématique de ce type, Marc Faber, l’investisseur zurichois résidant depuis plus de trente ans en Asie, est à nouveau régulièrement cité par différents sites et blogs financiers spécialisés. Dans son dernier commentaire publié début mai, l’auteur du fameux «Gloom, Boom and Doom Report» se déclarait ainsi «de plus en plus confiant» que le niveau de 2872 points atteint par le S&P 500 le 26 janvier dernier (2714 points vendredi) était un «sommet majeur» dans le cycle boursier actuel.

A l’écoute des octogénaires

Autre signe qui reflète ce climat l’incertitude: l’attention accrue accordée aux investisseurs de légende, surtout octogénaires, qui retrouvent leur fonction de phare en pleine tempête. Si l’Américain Warren Buffet est surtout apprécié pour ses déclarations et son sens de la formule, son compatriote Carl Icahn, né en 1936, s’est fait remarquer pour son avertissement, formulé en novembre dernier, à propos d’une importante correction à attendre sur le marché des actions. Un pronostic qui s’est vérifié moins de trois mois plus tard.

L’or noir revient au cœur des paris

La hausse quasi continuelle des cours du pétrole a été accompagnée par des pronostics toujours plus enthousiastes à propos des futurs prix de l’or noir. Fin avril, Pierre Andurand, un gérant de hedge funds spécialisé dans les matières premières, s’est distingué en estimant qu’un cours du baril de brut situé à 300 dollars n’était «pas impossible» d’ici quelques années. Si le cours du Brent vient désormais de dépasser les 80 dollars le baril, son plus haut niveau depuis 2014, il faut toutefois se rappeler que des pronostics similaires avaient déjà été formulés lorsque les cours du pétrole avaient pris l’ascenseur dans la phase qui a précédé l’éclatement de la crise financière. Au début de 2008, Goldman Sachs, dirigée par Lloyd Blankfein, évoquait aussi un pic du baril de brut à 200 dollars comme un scénario possible. Après avoir frôlé les 150 dollars, les turbulences de la crise financière ont rapidement fait replonger le cours du brut dans les années qui ont suivi.

En se lançant dans les produits liés au bitcoin, Goldman Sachs
accorde une légitimité à la crypto-monnaie décriée par ses concurrents.
Crypto-sceptiques contre crypto-enthousiastes

Récemment, la banque d’affaires new-yorkaise n’a plus formulé de pronostics aussi spectaculaires sur une classe d’actif mais elle a diffusé un message qui a tout autant surpris la communauté financière. A contre-courant des autres grandes institutions financières américaines, elle indiquait vouloir se lancer dans le courtage de produits financiers liés au bitcoin, accordant ainsi une légitimité à cette crypto-monnaie décriée par ses principaux concurrents.

Un enthousiasme qui est loin d’être partagé par l’économiste Nouriel Roubini, un autre oiseau de mauvais augure qui était devenu plus discret ces dernières années. N’y allant pas par quatre chemins, le professeur, d’économie, aussi surnommé «Dr. Doom», déclarait à propos du bitcoin et des levées de fonds effectuée à l’aide de crypto-monnaies (ICO) qu’il ne s’agissait que rien d’autre d’une forme de charlatanisme. Il considère que cette forme de financement conduira à un «moyen-âge moderne». Selon lui, une économie où de multiples crypto-monnaies circuleraient en parallèle entraînerait une confusion en matière de prix et augmenterait les coûts de transactions pour les consommateurs, prédit-il.

La «nouvelle norme» de Bill Gross est bien oubliée.
La hausse des taux, l’événement clé de 2018 le plus mal anticipé

Face à cette inflation de prises de positions à propos de l’avenir des marchés et des monnaies, il est frappant de constater que l’un des événements clés survenu sur les marchés récemment, la hausse des rendements obligataires, n’a été que très mal anticipé. En effet, la hausse du rendement des bons du Trésor américain à dix ans à plus de 3% n’apparaît que rarement dans les prévisions de marchés publiées en 2017. En août dernier, le consensus des économistes sondés par Bloomberg prévoyait un taux de 2,58% à fin 2017 (2,46% au 31 décembre 2017) et anticipait un taux de 3,09% d’ici à fin 2018… soit exactement le niveau observé vendredi dernier. Dans une analyse publiée en octobre dernier, Pictet ne voyait pas de «catalyseur» susceptible d’amener ce taux au-delà de 2,5% d’ici à fin 2018. A propos des bons du Trésor américain à dix ans, Goldman Sachs, qui au début de 2017 avait prévu un taux de 3% pour la fin de la même année, avait correctement anticipé le mouvement – mais avec un peu trop d’avance cette fois. Quant à la «nouvelle norme» de Bill Gross (ex-Pimco) de 2016, soit un taux de croissance US à 2% et des taux d'intérêt stabilisés autour de 1%, on s'est hâté de l'oublier.