Le miracle bleu – Weekly Note de Credit Suisse

Burkhard Varnholt, Credit Suisse

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L’ivresse de la vitesse crée une atmosphère de «ruée vers l’or» dans la téléphonie mobile. La 5G connecte et modifie de nombreux aspects de notre vie – mais qui en seront les bénéficiaires?

Un défi herculéen: la pénurie d’eau à l’échelle planétaire est un problème difficile à gérer. Elle procure néanmoins des possibilités de placement défensif sur des marchés mouvementés. L’ivresse de la vitesse crée une atmosphère de «ruée vers l’or» dans le secteur de la téléphonie mobile. La 5G connecte et modifie de nombreux aspects de notre vie – mais qui en seront les bénéficiaires? Les récents orages boursiers devraient bientôt s’estomper eux aussi.

Le miracle bleu: l’eau se fait rare

Le sportif de l’extrême Ernst Bromeis, qui est l’un de mes amis, a déjà reçu plusieurs distinctions pour son projet «Le miracle bleu» (www.dasblauewunder.ch). L’objectif de son engagement passionné est de sensibiliser au problème grandissant de l’accès à l’eau potable dans le monde. Pour faire passer le message, Bromeis a traversé à la nage tous les lacs de montagne en Suisse et affronté les courants du Rhin, de sa source jusqu’à son embouchure dans la Mer du Nord. Nommé ambassadeur de l’eau par l’ONU, il oeuvre inlassablement pour promouvoir une utilisation plus durable de cette précieuse ressource. À présent, il a l’intention de traverser à la nage les quatre plus grandes mers du monde. Mais qu’avons-nous à voir avec tout cela? Bien plus qu’il n’y paraît a priori. La passion d’Ernst Bromeis pour le thème de l’eau s’inscrit au coeur de notre Supertrend «Infrastructure», auquel nous accordons une attention particulière. Savez-vous par exemple combien d’eau il faut pour une tasse de café? Dans la langue des juristes des directives de l’UE, on compte précisément 120 millilitres, auxquels s’ajoutent environ sept grammes de café moulu. En réalité, la quantité requise est bien supérieure si l’on tient compte de l’eau nécessaire pour produire le café, de sa plantation jusqu’à sa torréfaction, soit 140 litres au total pour une seule tasse!

Ce concept de «l’eau virtuelle» s’applique à tous les domaines de la vie. Il jette un nouvel éclairage sur de nombreuses choses banales du quotidien. Selon les chiffres publiés par l’UNESCO, un Européen consomme en moyenne quelque 4000 litres d’eau virtuelle par jour, dont plus de la moitié est importée. Sur la base de biens courants, le graphique ci-dessous montre pourquoi les modes de vie urbains de la classe moyenne en pleine expansion dans le monde mettent à mal les réserves d’eau de la planète.

Défi et opportunité

Le point fondamental est le suivant: comme les modes de vie urbains de la classe moyenne en pleine expansion, dans les grands centres en particulier, entraînent une surconsommation des réserves en eau douce qui s’y trouvent, il n’y a pas d’autre solution que d’étendre massivement les infrastructures de gestion de l’eau. Les États du G20 s’attendent même au plus grand développement d’infrastructures de l’histoire1. C’est surtout en Asie, en Amérique du Sud et du Nord, dans certaines parties d’Afrique et en Europe que les différents styles de vie se heurtent de plus en plus aux limites de capacité des installations existantes. Il en résulte un défi herculéen, mais aussi une extraordinaire opportunité. J’ai constaté ce phénomène par moi-même à plusieurs reprises: alors qu’il y a vingt ans à peine, on trouvait de l’eau après avoir brièvement foré, que ce soit en Chine, au Mexique ou en Asie centrale, il est parfois nécessaire de creuser sur 500 mètres et plus aujourd’hui. Or, il faudra des siècles pour que les nappes phréatiques se remplissent à nouveau. C’est ce qui explique pourquoi la Chine investit depuis plusieurs années dans l’agriculture industrielle et les infrastructures de transport dans la zone équatoriale particulièrement pluvieuse. La culture des denrées agricoles et leur acheminement de l’équateur vers la Chine n’est rien d’autre qu’un commerce d’eau virtuelle. Il devient donc évident qu’une chose en particulier fait défaut: une infrastructure plus intelligente.

À l’échelle planétaire, deux tiers environ de la demande d’eau émanent de l’agriculture. Lorsque les nappes phréatiques sont taries, le dessalement de l’eau de mer est bien souvent la seule véritable alternative. Au cours des dix dernières années, la Chine a mis en exploitation plus de 450 gigantesques usines de dessalement. Néanmoins, 400 des 668 grandes villes du pays souffrent toujours d’un grave manque d’eau. Et le procédé coûte cher. La consommation de courant compte pour plus de la moitié des frais d’exploitation. Elle s’élève annuellement à quelque 600 milliards de dollars américains, ce qui correspond environ à la croissance économique annuelle de la Chine ou au produit intérieur brut annuel de la Suisse. En d’autres termes, l’électricité et l’eau constituent un Supertrend «Infrastructure».

Une tâche pour plusieurs générations

À l’avenir, un nombre croissant de personnes constateront de plus en plus que trois facteurs sont étroitement liés. Premièrement, sans l’utilisation d’énergie (pour le dessalement ou le transport), l’eau potable manquera à proximité des zones habitées. Deuxièmement, l’eau douce est indispensable à l’agriculture. Troisièmement, l’électricité, l’eau et l’alimentation sont indissociables, surtout dans bon nombre des régions les plus peuplées du monde.

Le défi concerne plusieurs générations, mais il est possible de le relever. Le G20 estime à plus de 34 000 milliards de dollars américains le développement des infrastructures requises pour l’énergie et l’eau sur les vingt prochaines années. C’est un chiffre impressionnant, mais il ne représente «que» 1,3% de la puissance économique mondiale (par an)2.

Investir de manière intelligente dans ce Supertrend est donc judicieux à double titre. D’une part, une demande croissante souvent garantie à long terme, des rendements défensifs stables liés aux importantes barrières limitant l’accès aux marchés et enfin l’aide publique constituent des facteurs stratégiques en matière d’investissements. D’autre part, un choix approprié de positions a des retombées non seulement économiques, mais aussi sociales. En bref: j’investis dans ce Supertrend pour moi-même par l’intermédiaire d’un mandat de gestion de fortune, et pour mes fils au moyen de nos produits de placement soigneuse ment sélectionnés. Pour aujourd’hui et pour demain.

«Speed King»: les télécommunications en pleine mutation

Dans ma jeunesse, «Speed King», une chanson du groupe Deep Purple, était le titre le plus précieux de la collection de disques que je choyais avec passion. Aujourd’hui, les rois de la vitesse sont les fournisseurs de la nouvelle génération d’infrastructures de réseaux mobiles. C’est aussi sous le signe de la rapidité qu’a été placé le dernier Mobile World Congress3, la plus grande rencontre du secteur des télécommunications du monde. L’enjeu est de taille, car la branche subit une mutation rapide. Tous parlent de la 5G. Certaines entreprises disparaissent tandis que d’autres font leur apparition. La préparation de contenus complète désormais le transfert des données. La 5G, l’Internet des objets, de nouveaux modèles commerciaux et une réglementation dynamique y contribuent. En bref: le secteur subit des bouleversements qui pourraient finir par mener leurs bénéficiaires au fameux trésor caché au pied de l’arc-en-ciel. De quoi s’agit-il?

5G: de grands avantages

L’introduction de la technologie 5G dans les réseaux mobiles est un autre aspect du Supertrend «Infrastructure». Elle promet tous les avantages liés à la rapidité:

  • Plus puissante: la 5G peut transférer dix gigabytes par seconde, soit dix fois plus que la 4G.
  • Plus rapide: la 5G établit une connexion en l’espace d’une milliseconde, contre 50 pour la 4G.
  • Plus efficiente: une transmission plus puissante et plus rapide fait baisser la consommation d’énergie et l’usure des batteries.

La fiction devient réalité

De nombreux récits de fiction concernant «l’Internet des objets» ne pourront se concrétiser que si la transmission des données fonctionne. Une voiture autonome est en fait un serveur de données ambulant, qui envoie et reçoit plus de données à la minute qu’un film Netflix pendant une heure entière, mais elle resterait du domaine du rêve sans la puissance de la 5G. Or, l’introduction de celle-ci transformera le songe en réalité. Il en va de même pour les innombrables possibilités qu’offrent les objets intelligents connectés. Le téléchargement mobile d’un film de cinéma ne prendra plus que six secondes au lieu de sept minutes. L’utilisation de robots médicaux, en chirurgie par exemple, sera encore plus efficiente, et même possible en télémédecine. Bien sûr, le volume des données transmises va pratiquement exploser. Voici un exemple: VerizonWireless, une entreprise américaine de téléphonie mobile, transmet actuellement en une heure plus de données qu’il y a dix ans en une semaine! Soit une multiplication par 170 en seulement dix ans. Avec la 5G, cette croissance exponentielle sera encore plus exponentielle!

Et le gagnant est...

Reste à savoir qui profitera de cette évolution. Les tarifs forfaitaires et la suppression des redevances d’itinérance (roaming) au sein de l’UE ont réduit de moitié la capacité bénéficiaire des prestataires de téléphonie mobile. En outre, l’installation des infrastructures 5G sera onéreuse, voire extrêmement onéreuse. On l’estime à plus de 200 milliards d’euros dans l’UE et à 300 milliards de dollars aux États-Unis. Une bonne partie de ces montants atterriront dans les poches des sociétés d’infrastructure de téléphonie mobile et des États octroyant les licences de transmission. Mais attention: la réglementation européenne concernant l’interdiction des redevances d’itinérance arrive à échéance cette année. Les forfaits seront alors remplacés par des modèles tarifaires «More for more» nettement plus rentables. Ceux-ci sont déjà appliqués en Suisse et en Finlande (où le volume de données transférées est dix fois supérieur à la moyenne de l’UE). C’est pourquoi on estime que les recettes des fournisseurs de 5G devraient s’élever au double des investissements de départ au moins. Pour mettre la main sur ce trésor, des fournisseurs de contenus tels que Facebook, Netflix ou Disney soutiennent eux aussi des projets d’infrastructures. Et les États apportent également leur contribution, car ils souhaitent vendre au mieux leurs licences de transmission 5G. Est-ce une coïncidence si la réforme fiscale américaine favorise davantage les télécommunications que les autres secteurs?

Ne raccrochez pas: meilleures perspectives pour les (télé)communications

En résumé, après des années difficiles, la branche des télécommunications est aujourd’hui considérée comme défensive, rentable et attractive. Ce qui fait dire qu’elle est défensive, ce sont ses importants obstacles à l’entrée sur son marché, son potentiel de réduction des coûts et la fidélisation supérieure à la moyenne de sa clientèle. Le levier financier de la branche laisse envisager des rendements attractifs: d’après notre analyste du secteur Uwe Neumann, 1% de croissance du chiffre d’affaires pourrait déjà faire augmenter les bénéfices de 10%.

Cette année, le secteur devrait encore gagner en importance dans le cadre des indices S&P. En effet, la composition de ceux-ci sera remaniée en septembre 2018. Alors que l’indice S&P des télécommunications ne représente actuellement que 1,9% de la capitalisation boursière totale du S&P 500, il devrait intégrer, sous le nouveau nom de «S&P Communication Services Index», des entreprises soigneusement sélectionnées des secteurs de la technologie et des biens de consommation de base. Sa capitalisation pourrait alors dépasser 13% de l’ensemble du marché, selon les estimations des analystes4! Il est attendu que des entreprises telles que Facebook, Alphabet, Walt Disney et Netflix soient incorporées dans ce nouvel indice.

Enfin, on reconnaît la valorisation attractive de la branche à son rendement en dividende de 4,6% et à son faible ratio VE/EBITDA de 5,9, le niveau le plus bas atteint depuis 2009. Le moment est-il venu de réexaminer ses placements? Nous le pensons.

Décisions actuelles du Comité de placement du Credit Suisse

Semaine plutôt agitée sur les marchés boursiers, affectés très récemment par les annonces de mesures commerciales protectionnistes. En 2003 déjà, le président américain George Bush avait imposé unilatéralement des barrières douanières, mais les avait levées ultérieurement, surpris par la réaction de l’Europe, de l’Organisation mondiale du commerce et surtout des marchés financiers. À l’époque, comme aujourd’hui, ces derniers avaient rapidement confirmé la peur soulevée par la perspective d’une guerre commerciale. La chute des cours des actions et des taux d’intérêt avait servi d’extincteurs. Aujourd’hui aussi, une surenchère de barrières commerciales n’est souhaitée par personne et peut être évitée. Les marchés financiers sont tout à fait susceptibles de jouer un rôle pacificateur dans ce processus. Nous nous en tenons donc à notre scénario principal, à savoir que l’économie mondiale va surmonter les difficultés actuelles et que nous nous trouvons dans une phase avancée de la croissance dans un climat d’inflation modérée. Ce contexte sera favorable aux actions dès que les répliques du séisme boursier se seront tassées.

Nous réduisons les risques cycliques en adoptant une position neutre sur les obligations d’entreprise investment grade et en attendant une appréciation du cours Yen/USD. De plus, nous émettons également un avis positif sur le taux EUR/CHF.

 

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