Le cycle va reprendre le contrôle

Communiqué, Edmond de Rothschild

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Lle cycle économique aura rarement aussi peu expliqué les performances des actifs financiers en 2018, alors même qu’il est le principal déterminant.

Il faut remonter plusieurs décennies en arrière avant de trouver une part aussi élevée d’actifs ayant enregistré une performance négative durant l’année. Aucun des grands marchés d’actions ou indices obligataires n’a trouvé grâce aux yeux des investisseurs en 2018. Même l’once d’or (exprimée en dollars) n’a pas réussi à afficher une performance positive. Quant au bitcoin, il aura perdu près des trois quarts de sa valeur. Certes, l’économie a ralenti plus significativement que prévu par les investisseurs, essentiellement en Europe et en Chine. Certes, le niveau d’incertitude politique est particulièrement élevé (aux Etats-Unis, sur le risque protectionniste, le Brexit, le budget italien, la situation politique française, au Moyen-Orient, etc.). Mais la somme de tous ces risques ne peut à elle seule justifier ces performances.

Certains ont évoqué l’imminence d’une récession, confortés par le début d’une inversion de quelques segments de courbe aux Etats-Unis: nous ne partageons absolument pas cette vision. C’est d’abord le grand reflux des liquidités des banques centrales dont l’impact, puisqu’inconnu, a été rétrospectivement largement sous-estimé par les investisseurs qui a motivé cette configuration. En effet, les politiques de quantitative easing avaient de fait «inflaté» dans une certaine mesure les actifs.

Face à l’incertitude, les investisseurs américains sont les seuls
au sein du monde développé à être désormais rémunérés.

Le changement d’orientation des grandes banques centrales (contraction du bilan de la Réserve fédérale, ralentissement du bilan de la BCE et de la Banque du Japon) aura manifestement lourdement pesé. Par ailleurs, le retour d’une rémunération attractive pour l’actif sans risque aux Etats-Unis (2,33% pour un bon du trésor américain à trois mois) a aussi changé la donne: face à l’incertitude, les investisseurs américains sont les seuls au sein du monde développé à être désormais rémunérés. Autant dire que le comportement des banques centrales jouera un rôle déterminant pour la suite.

LES FONDAMENTAUX DE RETOUR EN 2019

La liquidité des banques centrales devrait continuer de se dégrader en 2019 mais cette fois-ci nettement plus marginalement. L’essentiel du tassement ayant eu lieu en 2018.

Par ailleurs, si nous prévoyons une poursuite du resserrement monétaire américain, la Fed se réserve désormais une optionnalité dans sa politique rendant plus incertaine la certitude antérieure que la rémunération de l’actif sans risque ne pouvait que s’accroître davantage.

Ainsi, s’il ne faut pas attendre le moindre réconfort du côté des conditions financières, elles ne devraient plus grever significativement les performances comme en 2018. Sachant que les perspectives économiques demeurent assez favorables et que nous écartons le risque de récession, l’environnement redevient plus porteur. A ce titre, nous restons investis, notamment sur les marchés d’actions. Il est difficile de prédire la fin de cette période de fortes turbulences amorcée au quatrième trimestre, mais ne doutons pas que ces phases de déconnexion des marchés avec les fondamentaux ne peuvent être que ponctuelles. Il s’agit donc d’être patient.

UNE ALLOCATION D'ACTIFS CLAIRE

Dans la sélection du risque actif dans les portefeuilles, nous préférons les actions aux obligations d’entreprises pour plusieurs raisons:

  • Les actions bénéficieront le mieux de la poursuite du cycle. Nous privilégions les actions émergentes, particulièrement décotées, mais également les actions américaines et européennes.
  • Le reflux des liquidités des banques centrales, même si ce facteur sera beaucoup moins pénalisant en 2019, a plus de chances d’impacter davantage les obligations d’entreprises et la dette émergente qui ont été les premières à bénéficier des politiques de quantitative easing, que les actions.
  • Au cas où la récession devait survenir plus rapidement que prévu du fait d’événements externes, il convient de commencer dès maintenant à faire plus attention au risque de liquidité des portefeuilles. En effet, le marché obligataire n’a jamais connu de crise économique sous le régime des nouvelles réglementations bancaires, ce qui signifie que le fonctionnement du marché obligataire pourrait être différent que lors des récessions précédentes. Avant la faillite de Lehman Brothers, les banques d’investissement pouvaient fournir de la liquidité aux marchés en période de stress vu la taille de leurs bilans. Elles ne peuvent pratiquement plus assurer cette fonction aujourd’hui. Or les acteurs qui ont remplacé les banques d’investissement, essentiellement les gestionnaires d’actifs, ont un comportement beaucoup plus pro-cyclique: celui de leurs clients.
  • Historiquement, dans les phases de cycle mature, les obligations d’entreprises sous-performent le plus souvent les actions, à risque ajusté.
  • L’endettement des entreprises américaines est historiquement très élevé, même si la charge de la dette est soutenable. Il peut justifier une tension sur les rendements des obligations d’entreprises américaines, avec des répercussions sur les autres marchés à spreads.

Toutefois, les obligations ont toute leur place dans un portefeuille. D’une part, le risque encouru est à nouveau convenablement rémunéré, ce qui n’était pas le cas l’an dernier. D’autre part, elles ne devraient pas se faire bousculer par les fondamentaux.

Enfin, les obligations devraient mieux diversifier les risques qu’en 2018. En effet, l’approche désormais plus pragmatique de la Réserve fédérale dans son resserrement monétaire redonne des vertus contracycliques à la duration. Un choc économique ou financier conduirait les marchés à revoir leurs anticipations de taux directeurs de la Réserve fédérale, engendrant une baisse des taux gouvernementaux.

La dette financière subordonnée représente
une opportunité d’investissement.

Les obligations indexées à l’inflation américaine sont devenues très attractives, au vu notamment du niveau des taux réels. Nous conservons nos investissements en obligations souveraines portugaises et grecques. Ces deux marchés obligataires bénéficient de facteurs de soutien qui justifient leur place dans une allocation obligataire. La normalisation de leur situation, avec notamment la sortie des programmes d’aide européens, mais aussi des fondamentaux économiques en nette amélioration, permettent une détente forte et durable des taux d’intérêt gouvernementaux dans ces pays.

Notre conviction n’est pas uniforme sur tous les segments de la dette d’entreprises et toutes les zones géographiques. Nous avons une préférence pour l’Europe. Plus spécifiquement, la dette financière subordonnée représente aujourd’hui, selon nous, une opportunité d’investissement. Après une année 2018 de sous-performance, les valorisations nous semblent attractives dans un contexte où la profitabilité et la solvabilité des émetteurs s’est améliorée. Au sein des marchés émergents, le segment de la dette d’entreprises est particulièrement décoté et représente un outil de diversification des véhicules permettant de s’exposer à un cycle mondial que nous jugeons encore favorable. Nous privilégions les entreprises qui ont une activité les exposant à des facteurs domestiques mais aussi à des facteurs globaux. Concernant la dette souveraine des pays émergents, nous considérons la classe d’actifs comme attractive à condition de se montrer sélectif sur les émetteurs.

DE LA CONVEXITÉ ET DE LA TRÉSORERIE

Nous avions annoncé une année 2018 plus volatile et nous l’avons gérée tactiquement. Le contexte ne sera pas différent en 2019 et nous entendons utiliser significativement les options pour bien encadrer les risques, aussi bien pour se prémunir du risque de baisse que pour financer le coût de ces assurances. Par ailleurs, nous gardons aussi une gestion active de la trésorerie pour pouvoir profiter des excès de volatilité. En 2019, la gestion sera flexible.

QUELS SONT LES PLUS GROS RISQUES À NOTRE SCÉNARIO?

Les risques politiques

La forte dégradation de l’environnement politique mondial, avec un risque d’ingouvernabilité à la clé, est un facteur négatif et de volatilité pour les marchés. Bien sûr, les marchés intègrent déjà beaucoup de ces éléments. Mais la politique n’ayant cessé de surprendre, il convient de rester prudent. En Europe, la montée de mouvements populistes ou l’irruption d’importants mouvements sociaux fragilisent les gouvernements (Allemagne, Espagne, France) ou les font tomber (Belgique). En Italie, la coalition populiste au pouvoir est forte, l’ambiguïté de sa politique aussi.

Au Royaume-Uni, l’incapacité de forger un consensus autour du Brexit alors même que l’échéance s’approche à grand pas a ôté toute visibilité sur ce pays. Une chose est certaine: le renforcement annoncé des mécanismes européens a pris un sérieux plomb dans l’aile en l’espace d’un semestre, affaissement du contexte politique en France comme en Allemagne oblige, ce qui laisserait le modèle hybride européen avec ses fragilités. Les élections européennes seront scrutées attentivement cette année pour prendre la mesure de ce nouvel environnement politique.

Le pétrole se comporte de plus en plus
comme une variable politique.

Aux Etats-Unis, la crise politique n’est dans les mains que d’une seule personne. L’impression de chaos donnée par les démissions régulières de ministres et du personnel de la Maison Blanche ainsi que les condamnations judiciaires de proches de Donald Trump passeraient presque pour une distraction au regard des enjeux. Elle a un impact domestique majeur, comme en ont attesté le shutdown ou la supposée réflexion de Donald Trump visant à remplacer le Gouverneur de la Réserve fédérale après avoir tant critiqué sa politique (relayée par Bloomberg). Elle a aussi un impact international exceptionnel: la guerre commerciale avec la Chine, la menace de taxer les automobiles européennes, les sanctions sur l’Iran et le retrait des troupes américaines de Syrie sont autant d’éléments d’incertitudes à risques élevés.

Le pétrole: variable politique

Le pétrole se comporte de plus en plus comme une variable politique, surtout depuis que Donald Trump a décidé de peser plus directement sur les cours de l’or noir dans une optique de régulation du pouvoir d’achat des ménages américains. Ce nouveau processus dépend beaucoup des relations avec l’Arabie Saoudite mais aussi en partie avec la Russie dans un contexte où la géopolitique au Moyen-Orient se complique, comme en atteste le retour de sanctions sur l’Iran ou le retrait des troupes américaines en Syrie. Le pétrole devrait donc rester très sensible à cette nouvelle donne et atteindre par ricochets les autres marchés.

Et si l’inflation devait redémarrer?

Ce risque nous semble franchement modeste. Mais on ne peut complètement l’exclure car l’inflation tend à réapparaître quand le cycle est mature. Une tension sur les prix aurait des conséquences particulièrement néfastes car elle conduirait à anticiper davantage de durcissement monétaire, un sujet ayant été très sensible en 2018.

2019 UNE ANNÉE DE TRANSITION?

2019 commence donc avec beaucoup de zones d’ombres. Mais vu l’ampleur du plongeon des marchés au quatrième trimestre, la plus grande prudence de la Réserve fédérale dans sa politique, notre conviction que la récession n’apparaîtra pas ces prochains mois et l’éventualité d’une issue convenable aux discussions sino-américaines (face à des marchés sceptiques), il existe un potentiel de rebond qui nous invite à conserver un niveau équilibré d’actifs risqués dans les portefeuilles, en privilégiant plutôt les actions par rapport au crédit.

Viendra un temps où il faudra préparer les portefeuilles à la fin du cycle, peut-être même en cours d’année. Nous n’y sommes pas encore. En attendant, restons investis, il n’y a aucune fatalité à ce niveau du cycle.

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