La taille du marché intérieur, un atout clé pour la tech chinoise

Yves Hulmann

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La Chine offre un cadre propice pour une expansion rapide, selon GAM. Les sociétés américaines restent, elles, leader dans les logiciels, juge UBP.

©Keystone

Les Etats-Unis, et la Silicon Valley en particulier, symbolisent toujours l’innovation technologique à travers le monde. La Chine rattrape néanmoins son retard à grands pas dans le domaine de la tech. Qui réussira à l’emporter au final? Deux experts du secteur technologique ont échangé leurs points de vue lors d’une discussion organisée par la CFA Society Switzerland dans le cadre du salon de la finance Finanz’20 qui s’est tenu la semaine dernière à Zurich. Le débat réunissait d’un côté Jian Shi Cortesi, responsable des investissements et experte des actions asiatiques, hors Japon, chez GAM Investments, et, de l’autre, Julien Leegenhoek, spécialiste des actions technologiques chez UBP.

«La Silicon Valley a déjà été marquée
par quatre grandes vagues d’innovation successives.»

Pour ce dernier, il n’y a pas de doute que les Etats-Unis continueront à jouer un rôle clé en matière d’innovation technologique au cours des prochaines années. La Silicon Valley a déjà été marquée par quatre grandes vagues d’innovation successives, rappelle le spécialiste de la banque genevoise. Dans les années 1970, cela a d’abord été le cas des semi-conducteurs avec la montée en force d’acteurs comme Intel, Qualcomm ou Applied Materials, qui dominent encore aujourd’hui ce marché. Puis, les fabricants de hardware, tels que HP, Apple et Microsoft, ont pris le relais dans les années 1980 et 1990, suivis à la fin de cette même décennie et au début des années 2000 par l’apparition de géants de l’Internet comme Amazon, Google (Alphabet) ou Netflix qui constituent encore les leaders actuels de la «Big Tech».

Les SaaS, quatrième vague d’innovation de la Silicon Valley

Quant à la quatrième vague d’innovation en cours actuellement, il s’agit des sociétés qui proposent des logiciels en tant que service, ou «software as a service» (SaaS). Il s’agit notamment de Salesforce, ServiceNow ou Workday, toutes américaines. «Les nouveaux SaaS sont les géants de l’Internet de demain», est convaincu Julien Leegenhoek. Et plusieurs autres sociétés actives dans ce domaine, à l’exemple de Slack, une plateforme de communication collaborative, se profilent déjà à l’horizon, cite le spécialiste d’UBP. Pour l’expert, le marché des logiciels proposés en tant que services reste «massivement dominé par les Etats-Unis» et il sera difficile pour d’autres sociétés de rattraper ensuite les entreprises qui sont actuellement déjà leader sur ce marché.

La Chine compte plus de «licornes»
que ce que l’on perçoit en Occident.

Quelle est la carte à jouer de la Chine dans les technologies? Pour Jian Shi Cortesi, la technologie sera placée au cœur des rivalités entre les deux pays au cours de la prochaine décennie. Selon la gestionnaire de fonds de GAM, la Chine dispose d’avantages sur plusieurs plans. A commencer par le nombre d’utilisateurs d’Internet, estimé à plus de 770 millions d’individus, qui dépasse largement les quelque 250 millions d’internautes répertoriés aux Etats-Unis. Dans le domaine de la robotique, la Chine compte aussi beaucoup plus d’équipements qu’outre-Atlantique. Par ailleurs, il ne faut pas regarder que le haut du panier du secteur des technologies: les sociétés américaines Apple, Microsoft, Alphabet, Amazon et Facebook pèsent certes le plus lourd en termes de capitalisation boursière dans la tech, alors que la première société chinoise, soit Tencent, n’apparaît qu’en sixième position d’après ce critère. Toutefois, à partir du septième rang de ce classement, on trouve un grand nombre de société chinoises qui croissent désormais très rapidement. Et de souligner par exemple que trois des cinq plus grands fabricants de smartphones sont chinois.

Les grandes villes chinoises concentrent le plus de «licornes»

Autre argument évoqué par la gérante de GAM: le nombre de «licornes», soit des sociétés valorisées à plus d’un milliard de dollars et encore en mains privées, serait légèrement supérieur en Chine (206 sociétés) qu’aux Etats-Unis (203 entreprises). En outre, si l’on s’intéresse aux villes plutôt qu’aux seuls pays, ce classement est dominé dans l’ordre par Pékin, suivie par San Francisco, puis Shanghai. Les estimations du nombre de licornes répertoriées par UBP diffèrent toutefois de celles-ci: en effet, près de la moitié (49%) des licornes recensées à travers le monde sont basées aux Etats-Unis (151 unités), soit bien avant la Chine avec 26,5% (82 unités) et très loin devant l’Europe avec 11% (34 unités). «Les Etats-Unis restent clairement en tête de ce classement», conclut Julien Leegenhoek au sujet du nombre de sociétés non cotées valorisées à plus d’un milliard de dollars.

Un climat propice aux affaires
pour les firmes technologiques.

Plus généralement, Jian Shi Cortesi souligne, elle, que la dimension du marché intérieur chinois constitue en soi un avantage important pour les entreprises technologiques de l’Empire du Milieu. L’économie numérique en Chine affiche désormais une taille un cinquième plus élevée qu’aux Etats-Unis. La Chine dispose aussi d’une infrastructure de bonne qualité et offre des accès à Internet à très bas prix aux utilisateurs. De plus, les participants au marché font preuve «d’un grand esprit entrepreneurial». Surtout, le marché chinois est le plus grand au monde qui est constitué d’une même population. Un atout clé pour les entreprises qui veulent proposer de nouveaux services en Chine avant de s’essayer ailleurs. Et de citer l’exemple de TikTok qui est désormais l’application la plus téléchargée, aussi bien sur l’Apple Store que sur Google Play. Selon elle, beaucoup de sociétés chinoises savent désormais développer un modèle d’affaires réellement innovants plutôt que de copier ceux déjà existants. En outre, la Chine offre un cadre réglementaire plus propice aux affaires pour de nombreuses sociétés technologiques qu’en Occident. Par exemple, il est plus facile de tester des véhicules autonomes en Chine qu’en Europe ou aux Etats-Unis.

La croissance du marché chinois peut offrir des opportunités aussi pour les entreprises américaines, rappelle toutefois Julien Leegenhoek. A ses yeux, les Etats-Unis conservent ainsi un net avantage compétitif aussi bien dans les logiciels (SaaS) que dans les semi-conducteurs les plus sophistiqués. S’agissant d’Internet, les Etats-Unis restent en tête, estime-t-il, tout en reconnaissant que la Chine a ici des arguments à faire valoir. L’Empire du Milieu est en revanche leader dans le hardware.

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