La réponse bienvenue de l’Europe face à la pandémie

Sylvain Broyer, S&P Global Ratings

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Le plan de relance de l'UE pourrait aider les économies européennes à devenir plus durables, compétitives et soudées sur le long terme.

©Keystone

La pandémie de COVID-19 a frappé durement les pays membres de l'UE et continuera de poser au bloc des défis économiques majeurs. Pourtant, d'un point de vue macroéconomique, la réponse politique de l'Europe a, jusqu'à présent, été encourageante, car elle comprend de fortes incitations en faveur d’une croissance durable, la solidarité et la stabilité économique. 

Les gouvernements européens se sont engagés à mettre en œuvre des mesures fiscales sans précédent en réponse à la crise et – de manière tout aussi importante – les marchés semblent avoir jugé que ces mesures étaient appropriées. Les dernières offres de dette souveraine, par le Portugal et l'Italie, proposaient des taux très bas et ont été largement sursouscrites. A travers l'Europe, les rendements des obligations souveraines sont semblables à ce qu'ils étaient à la fin de 2019. Bien que les spreads et le prix des dérivés sur évènement de crédit (CDS) liés à la dette de certains gouvernements européens se soient élargis, ils sont loin des niveaux observés lors des chocs précédents. En d'autres termes, la fragmentation des marchés financiers européens est beaucoup plus contenue que ce n’était le cas en 2009 ou 2012. 

Il y a de bonnes raisons de croire que la réponse politique au COVID-19
aura des effets différents par rapport à l’épisode de la crise financière de 2008.

De plus, il y a de bonnes raisons de croire que la réponse politique au COVID-19 aura des effets différents par rapport à l’épisode de la crise financière de 2008, même si la récession pourrait être plus profonde cette fois-ci. S&P prévoit que le PIB se contractera de 6% en Allemagne, 8% en France et 10% en Italie cette année, et que les ratios de la dette sur le PIB vont monter en flèche en raison de la récession et la réponse budgétaire sans précédent. 

Cependant, d'un point de vue macroéconomique, les niveaux de la dette par rapport au PIB ne disent pas grand-chose sur la viabilité de la dette, s’ils sont pris hors contexte et traités de manière statique. Un indicateur plus révélateur et dynamique, souvent négligé, est le jeu à trois bandes entre l'équilibre budgétaire primaire d'un pays, sa charge d'intérêts et son taux de croissance économique. 

Bien que les niveaux de dette publique sur le PIB augmenteront en 2020, ces augmentations reflètent une réponse financière unique face à un choc non économique unique. Contrairement aux événements qui ont conduit à la crise de 2008, qui a commencé dans le secteur financier, la pandémie de COVID-19 est d'abord et avant tout une crise sanitaire, quoiqu’avec des implications économiques considérables, dont la hausse du chômage, la chute des prix des actifs, et l’augmentation des taux de défaut et des prêts non performants. 

Les perspectives pour le cas de base actuellement envisagées par S&P pour le troisième trimestre de 2020 jusqu'en 2021 prévoient que, lorsque les mesures de confinement prendront fin, la croissance reprendra et dépassera de nouveau les taux d'intérêt réels. Par conséquent, nous nous attendons à des rebonds économiques de plus de 4% en Allemagne, et de plus de 6% en France et en Italie. Dans ce scénario, les soldes budgétaires primaires s’amélioreraient et les niveaux de dette sur le PIB diminueraient dans la plupart des pays européens. Fait tout aussi prometteur pour la reprise de l’Europe, les taux d'intérêt sur la dette publique européenne ont chuté de quelques 400 points de base depuis la crise financière mondiale, alors que le PIB par habitant a augmenté de 5%. 

L'UE doit encore connaitre son «moment Hamilton»
à propos des transferts fiscaux.

Un autre signe positif est la composition et le séquençage de la réponse politique actuelle, qui sont tout à fait différents des crises précédentes. Comme certains commentateurs l'ont noté, au cours de la crise de 2008, un temps précieux a été perdu à débattre des questions telles que l’isolement des risques au niveau européen et les détails des nouveaux instruments de politique. Alors que la Réserve fédérale américaine a lancé son premier programme d'assouplissement quantitatif en 2008, il a fallu à la Banque centrale européenne encore sept ans avant d’enfin élargir son bilan et commencer son propre programme d'assouplissement quantitatif. 

Cette fois, la réponse politique a été beaucoup plus rapide, généreuse et cohérente avec la meilleure théorie économique. Moins d'un mois après le début de la plupart des confinements nationaux, le bilan de la BCE avait déjà augmenté de 500 milliards d’euros (540 milliards de dollars), équivalant à 4% du PIB de la zone euro. Et, bien que beaucoup reste à faire, la trajectoire et l'échelle actuelles des expansions budgétaire et monétaire permettent d’espérer que le coût de la pandémie au PIB ne sera qu’un phénomène de court terme. 

Certes, certains diront que l'UE ne fait pas assez pour aider les gouvernements en difficulté, ou pour combler le fossé entre les Etats membres de l'UE. L'UE doit encore connaitre son «moment Hamilton» à propos des transferts fiscaux, et un trésor commun ne viendra probablement pas de sitôt. Pourtant, ce n’est pas comme si l'UE avait passé la crise actuelle à examiner les comptes publics nationaux ou chicaner sur le respect du Pacte de stabilité et de croissance. Au contraire, elle a très rapidement assoupli ses règles et directives budgétaires sur les aides d'État, permettant ainsi aux Etats membres de soutenir leurs économies et systèmes de santé autant que nécessaire. 

L'UE envisage l'utilisation du Mécanisme européen de stabilité
pour financer les dépenses de soins de santé des Etats membres.

En outre, les ministres des Finances de l'UE ont mis au point un mécanisme de filet de sécurité à travers lequel le budget de l'UE sera mis à disposition pour financer les prestations d'emploi à temps partiel, permettant d'adoucir le choc pour les finances publiques au niveau national. Enfin, l'UE envisage l'utilisation du Mécanisme européen de stabilité pour financer les dépenses de soins de santé des Etats membres, ce qui soulagerait encore plus les budgets nationaux à court terme. 

Prises dans leur ensemble, ces mesures politiques rapides indiquent que la réponse de l'UE a déjà des kilomètres d'avance sur sa réaction aux crises précédentes. De plus, au Conseil européen, les chefs d'Etat et de gouvernement ont convenu de travailler à l'établissement d'un fonds de relance européen pour consolider les perspectives économiques des Etats membres. Les enseignements tirés de ce qui a été appelé le plan Juncker établissant un Fonds européen pour les investissements stratégiques seront utiles pour jeter les bases d'un fonds dédié à la récupération post-pandémie. 

Le COVID-19 marquera sans aucun doute durablement les économies européennes. Les PIB nationaux ne reviendront pas à leur niveau de fin 2019 avant au moins deux ans, ce qui pourrait avoir des répercussions sur le crédit. Mais, si le plan de relance de l'UE qui est actuellement en cours de discussion se révèle audacieux, tourné vers l’avenir et correctement aligné sur les autres programmes favorables à la croissance tels que le Green Deal européen, il pourrait aider les économies européennes à devenir plus durables, compétitives et soudées sur le long terme. 

 

Les opinions exprimées dans ce commentaire n’engagent que leur auteur, ne sont pas des recommandations politiques et ne préjugent pas des actions de notation de S&P Global Ratings.

Traduit de l’anglais par Timothée Demont

Copyright: Project Syndicate, 2020.
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