La prime géopolitique sur le pétrole va augmenter

Yves Hulmann

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Selon les experts de WisdomTree, les sanctions contre l’Iran conduisent à doubler l’effet de la réduction de la production par les pays de l’OPEP.

© Keystone

Le pétrole et l’or font l’objet de beaucoup d’attention depuis le début de cette année. Avec la montée récente des tensions entre les Etats-Unis et l’Iran ainsi les attaques sur des pétroliers survenues à proximité du détroit d’Ormouz, l’or noir est aujourd’hui soudainement placé au cœur de l’actualité. Nitesh Shah, directeur de la recherche et stratège en matières premières chez WisdomTree, replace toutefois le rebond des prix du pétrole au cours des quatre premiers mois de 2019 dans le contexte de deux phases distinctes observées depuis l’an dernier. Au cours du quatrième trimestre 2018, les cours ont d’abord chuté d’un sommet d’environ 85 dollars le baril (Brent) début octobre à quelque 50 dollars à fin décembre dans un contexte d’offre excessive. «Au premier trimestre de cette année, les cours du brut ont pu rebondir au fur et à mesure que les investisseurs ont constaté, d’une part, que les mesures mises en place par les pays membres de l’OPEP pour réduire l’offre portaient leurs fruits, et que, d’autre part, l’évolution de la situation au Venezuela et en Iran a encore renforcé cet effet de réduction», analyse-t-il lors d’un entretien avec Allnews.ch.

OPEP et Iran: un double effet

Ne faut-il pas chercher plus en amont les raisons de la hausse récente des cours du pétrole, notamment la crise au Venezuela et les sanctions déjà mises en place à l’encontre de l’Iran? Les sanctions prises à l’encontre de l’Iran ont d’autant plus d’impact du fait qu’elles interviennent simultanément aux mesures de réduction de l’offre mises en place par les pays de OPEP. «Il y a un doublement de l’effet prévu initialement : d’un côté, les pays de l’OPEP ont annoncé la mise en place d’une réduction de la production à hauteur de 1,2 million de barils par jour à partir de l’automne dernier. De l’autre, l’impact des mesures à l’encontre de l’Iran auraient dû à leur tour réduire les exportations de l’Iran à hauteur de 1,3 million de barils par jour. Au final, l’impact de ces mesures a certes été plus faible – se limitant à environ un demi-million au lieu de 1,3 million de barils pour les exportations de l’Iran. Néanmoins, même si ce volume a été beaucoup moins important que prévu, l’effet de cette deuxième mesure a été tout à fait substantiel», analyse Nitesh Shah. Selon lui, la concomitance de ces mesures – soit la réduction de la production de l’OPEP, plus les sanctions à l’encontre de l’Iran – a conduit à doubler l’effet des mesures mises en place par l’OPEP.

Ce que l’Arabie saoudite décrit comme un «acte de sabotage» est largement
considéré comme une action ayant été conduite par l’Iran ou ses intermédiaires.
L’Iran est acculé dos au mur

Faudra-t-il intégrer à l’avenir une nouvelle prime de risque géopolitique dans les prix du pétrole? Nitesh Shah observe une réaction distincte entre les cours du pétrole par rapport à ceux des autres matières premières: «Alors que les prix de la plupart des matières premières chutent en raison de la montée du protectionnisme entre les Etats-Unis et la Chine, le pétrole, lui, s’apprécie en raison des craintes de tensions du côté de l’offre. Ce que l’Arabie saoudite décrit comme un «acte de sabotage» est largement considéré comme une action ayant été conduite par l’Iran ou ses intermédiaires», analyse-t-il. «Les bateaux étaient proches du Détroit d’Ormuz – l’un des plus importants «goulets d’étranglement» au monde – un endroit par lequel passe près de 30% du pétrole transporté par la mer. Les sanctions supplémentaires de la part des Etats-Unis semblent avoir incité l’Iran à agir en représailles. La semaine dernière, l’Iran avait menacé l’Union européenne que le pays pourrait suspendre ses engagements pris dans le cadre du Plan d’action global commun (PAGC). Mais les pouvoirs européens ont dit qu’ils rejetteraient tout ultimatum. Avec l’Iran acculé dos au mur, nous pensons que le pays pourrait continuer de se déchaîner, menaçant les mouvements de pétrole mondiaux».

Avec quels effets à attendre sur les cours du brut? «Notre hypothèse de travail était que l’Iran ne bloquerait pas le Détroit, car cela reviendrait presque à faire une déclaration de guerre aux Etats-Unis. C’est une guerre que l’Iran ne peut pas gagner. C’est pourquoi l’Iran (ou ses intermédiaires) n’a pas confirmé – avoir réalisé cette attaque. Nous pensons que la prime géopolitique sur le pétrole va augmenter à la suite des événements du week-end dernier – et que cela va contrecarrer la pression à la baisse sur les prix résultant de l’augmentation de l’offre de pétrole américaine et des craintes d’une réduction de la demande à cause des guerres tarifaires en cours», anticipe Nitesh Shah.

L’or retrouve son rôle de valeur défensive

Dans ce contexte d’incertitude, l’or va-t-il retrouver son rôle de valeur? «Le prix de l’or évolue souvent en corrélation inverse avec les cours d’autres actifs – les actions en particulier», poursuit Nitesh Shah. «Lorsque les actions gagnent en valeur, le cours de l’or chute le plus souvent et inversement. L’or est avant tout un actif très défensif», rappelle-t-il. A l’horizon du premier trimestre 2020, WisdomTree anticipe un cours de l’or de 1385 dollars l’once (contre environ 1296 dollars l’once actuellement). «En général, l’or est corrélé principalement avec quatre ou cinq facteurs. Lorsque l’inflation s’accélère, le prix de l’or monte généralement. S’agissant des taux obligataires, une hausse des rendements des bons du Trésor américains s’accompagne d’une baisse du cours de l’or. Quant au dollar, le renforcement du billet vert se traduit par une baisse du cours de métal jaune. Enfin, il faut aussi tenir compte des positions spéculatives des futures sur l’or», énumère le spécialiste.

Le risque d’une correction en cours d’année
doit être pris en compte.
La Fed a changé de ton, les autres problèmes restent inchangés

Après leur rebond entre janvier et avril, les marchés des actions ont entamé phase de correction en mai. Qu’attend WisdomTree pour la suite? Pour Christopher Gannatti, responsable de la recherche pour l’Europe chez WisdomTree, si l’on compare la situation économique globale qui prévalait au cours du quatrième trimestre 2018 avec celle du premier trimestre de 2019, «force est de constater que la principale variation survenue est le changement d’attitude de la Fed entre la fin de 2018 et le tout début de 2019». Pour le reste, il n’y a pas eu beaucoup de changement. «En Europe, la question du Brexit est toujours là, l’Italie est toujours trop endettée, etc. Tous ces problèmes sont inchangés par rapport à l’an dernier. Au niveau macroéconomique, le principal point positif cette année est que la croissance économique chinoise semble s’accélérer un peu et que l’économie croît toujours à un rythme soutenu aux Etats-Unis», analyse-t-il.

Actions: prendre en compte le risque de correction

Dès lors, on peut s’interroger dans quelle mesure cet environnement de marché peut continuer à alimenter la hausse des marchés actions durant le reste de 2019.

A cet égard, Christopher Gannatti estime qu’il vaut la peine de prendre un peu de recul historique: «En temps normal, une progression des indices actions de 10, 11 voir 12% sur un an constitue une bonne performance boursière». Or, de janvier à fin avril, plusieurs indices comme le S&P 500 aux Etats-Unis, le DAX allemand ou le SMI en Suisse ont déjà rebondi de plus de 15% en seulement quatre mois. «C’est pourquoi le risque d’une correction en cours d’année doit être pris en compte. Après une hausse de 15% durant quatre mois, il est difficile d’envisager que l’on puisse à nouveau assister encore à une progression supplémentaire de 10 à 15% jusqu’à fin 2019. Sinon, cela porterait cette hausse à un total de 25 à 30% sur un an», met-il en perspective. A l’heure actuelle, l’expert ne voit pas ce qui pourrait entraîner un tel «boost» supplémentaire sur les marchés des actions. «Certes, une résolution du différend commercial entre les Etats-Unis et la Chine aurait un effet de soulagement des marchés, qui profiterait aux valeurs cycliques notamment. Une détente de la situation entre la Chine et les Etats-Unis semble tout sauf certaine actuellement», nuance-t-il.

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