La Norvège à contre-courant

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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La Banque centrale est intervenue par trois fois déjà cette année pour relever le taux directeur et le porter à 1,5% lors de sa réunion de septembre.

Que se passe-t-il au Royaume des Fjords? La couronne norvégienne ne cesse de se déprécier. A 10,24 NOK environ pour un euro, elle se retrouve plus affaiblie qu’aux plus rudes heures de la crise, en janvier 2009.  Cette tendance n’est pas tout à fait nouvelle, car perceptible depuis 2014. Mais elle perdure et s’est accentuée ces derniers mois, la devise perdant près de 7% face à l’euro depuis juillet dernier.

C’est dans ce contexte que la Banque centrale de Norvège (Norges Bank) est intervenue par trois fois déjà cette année pour relever son taux directeur et le porter à 1,5% lors de sa réunion de septembre. Ainsi, la courbe des rendements s’est-elle inversée, notamment sur les maturités comprises entre 3 mois et 5 ans.

A l’image de l’Allemagne, le pays subit le contrecoup du repli de l’activité manufacturière et du commerce mondial. Il continue néanmoins de bénéficier d’un niveau remarquable de plein-emploi, le taux de chômage s’établissant à 3,4%. Si l’inflation totale tend à ralentir, la tendance sous-jacente des prix est légèrement supérieure à 2% l’an, ce qui a conforté la Banque centrale dans sa décision. Ainsi, la consommation domestique compense le ralentissement de la production. De même, à l’aune de la baisse des rendements obligataires, la bourse d’Oslo a continué de progresser cette année, en hausse de près de 12%, soit une progression encore honorable de 7,5% mesurée en euros.

Depuis un an, le prix du Brent a baissé de plus de 20%,
ce qui explique en partie le repli de la devise.

La Norvège serait-elle le canari dans la mine de charbon? Rappelons que le pays est le premier producteur de pétrole et de gaz de l’Europe de l’Ouest. Son destin économique y est fortement lié, puisque ces ressources représentent près de la moitié des exportations du pays. Depuis un an, le prix du Brent a baissé de plus de 20%, ce qui explique en partie le repli de la devise. A la faiblesse des prix du pétrole, s’ajoute la montée des tensions commerciales mondiales qui pèsent durement sur l’économie du pays. 80% des exportations norvégiennes vont vers l’UE, qui compte pour près de 60% de ses importations. Une sortie brutale du Royaume Uni de l’Union Européenne pourrait entraver le commerce extérieur du pays, car c’est l’un de ses premiers clients.

Face à ces risques, la décision de la Norges Bank s’inscrit à contre-courant de la tendance générale à la détente monétaire. De plus, ne risque-t-elle pas de freiner par trop l’activité domestique, alors que le crédit aux particuliers tend déjà à ralentir? Son comité exécutif s’en tient pourtant à la doxa monétaire: l’économie du pays est assez solide pour une normalisation. En fait, la Banque centrale considère désormais la dépréciation de la couronne comme un handicap, et non plus comme un avantage pour l’économie du pays.

Le décrochage de la devise n’est plus tout à fait corrélé à la fluctuation des prix du pétrole. Une récente étude publiée par les économistes de la Banque centrale apporte un éclairage nouveau sur ce point. Elle confirme bien que la devise du pays suit l’évolution des prix de l’énergie, surtout lorsqu’ils sont déterminés par l’évolution de l’offre et de la demande. En revanche, cette corrélation semble voler en éclats lorsqu’apparaissent des tensions géopolitiques autour du brut. Dans ce cas, la hausse des prix du pétrole, ne s’accompagnerait pas forcément d’un renchérissement de la devise. Ces derniers mois le regain de tensions dans la région du Golfe et dans le détroit d’Ormuz semble avoir accentué la baisse de la devise. Bien que la Norvège soit éloignée des théâtres des tensions géopolitiques, la couronne en subirait le contrecoup sur les marchés, sommes toute sans grand discernement de la part des investisseurs.

Le contexte conjoncturel paraît favorable à la recherche
d’opportunités d’investissement dans le pays.

La dépréciation de la couronne, lorsqu’elle accompagne la baisse des prix du brut, permet de préserver les recettes d’exportation – libellées en dollars – tandis qu’elle soutient la compétitivité-prix des autres industries du pays. Mais à mesure que perdure ce phénomène, des effets plus négatifs apparaissent: le coût des importations augmente au point d’annuler les effets bénéfiques de la baisse des prix des exportations. Les entreprises locales peuvent constituer des proies faciles pour des acquéreurs non-résidents.

La Norvège serait-elle également victime du grégarisme accru des marchés et des investisseurs? Dans les périodes de tensions et d’incertitudes, la tendance générale est au repli vers les grandes valeurs et les grands marchés, qui offrent une garantie de liquidité suffisante au regard des fonds à placer. La présence croissante des fonds d’investissement dits passifs – de type ETF – et la gestion automatisée et robotisée, combinées à des règles de gestion prudentielles renforcées, concourent à éloigner les investisseurs des marchés considérés comme plus marginaux.

Cette préférence n’est-elle pas excessive? Après tout, quel risque représente vraiment la Norvège? Le contexte conjoncturel paraît au contraire favorable à la recherche d’opportunités d’investissement dans le pays.  Au-delà du pétrole et du saumon,  la Norvège est aussi un producteur d’électricité hydraulique. Le pays engrange un surplus budgétaire important qui lui permettrait d’activer des politiques d’investissement majeures. Le taux d’intérêt à 10 ans s’établit à 1,25% et pourrait monter encore si la Banque centrale – comme nous le pensons – relève une nouvelle fois son taux directeur, peut-être d’ici la fin de l’année.

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