La crise italienne: simple vague ou raz-de-marée?

Léon Cornelissen, Robeco

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Si l'on peut être tenté de suivre le mouvement qui consiste à penser que l'Italie prend le chemin de la Grèce, plusieurs facteurs contribuent à rejeter cette idée.

 

Vague ou raz-de-marée? C'est à cela que la situation se résume en matière de décision d'investissement: savoir si les événements ne seront qu'une perturbation passagère sur les marchés financiers ou s'ils auront un impact majeur à long terme. Si cela devient ou non un raz-de-marée dépendra finalement de la capacité de ce nouveau gouvernement improbable à rester en place, ce qui semble très peu probable actuellement.

Les différences politiques entre ces deux partis
ne sont que trop évidentes.

Cette crise a été lente à venir. Au départ, les marchés financiers ont réagi aux élections législatives en Italie comme s'il s'agissait d'un non-évènement. S'il est vrai que l'issue a été décevante, les populistes se situant aux deux extrémités du spectre politique remportant plus de voix que prévu, les répercussions ont néanmoins été minimes. Après les élections, le spread des obligations d'État italiennes à 10 ans s'est élargi de seulement 4 points de base par rapport aux Bunds allemands, et les actions italiennes n'ont cédé que 0,3%. Les marchés étaient donc loin d'être ébranlés. Ce n'était en fait qu'une simple vague en surface. Et les pertes ont vite été compensées dans les semaines qui ont suivi, les obligations et les actions italiennes surperformant même l'ensemble de la zone euro.

Toutefois, la situation s'est soudainement détériorée fin mai. C'est en effet à ce moment-là qu'il est apparu que, contre toute attente, les négociations entre le Mouvement Cinq Étoiles et la Ligue – les deux grands gagnants des élections – pourraient bien aboutir. Les différences politiques entre ces deux partis ne sont que trop évidentes et il est difficile d'imaginer sur quels sujets ils peuvent trouver un terrain d'entente. Ceci explique la surprise et la réaction négative qui s’en est suivie.

La Ligue est considérée comme un parti d'extrême droite, qui prône une plus grande autonomie pour la partie riche du nord de l'Italie et est favorable à une réduction d'impôts et à moins d'ingérence du gouvernement central. Le Mouvement Cinq Étoiles, pour sa part, a fait campagne sur des questions telles que le revenu universel de base et l'augmentation des dépenses publiques, des politiques plus susceptibles de conquérir le cœur des électeurs du sud moins prospère. Leurs visions anti-immigration et eurosceptique sont à peu près tout ce qui rassemble ces deux partis.

Rides ou vagues?

Contrairement à la faible réponse qui a suivi le résultat initial des élections, la réaction a, cette fois, été démesurée. Les rendements sur les obligations d'État italiennes à 2 ans ont augmenté de plus de 180 points de base en l'espace d'une journée, atteignant un niveau de 2,8%. Le spread par rapport aux Bunds allemands s'est quant à lui élargi de près de 300 points de base et les actions italiennes ont chuté de 12,5% par rapport à début mai. La vague serait-elle devenue un raz-de-marée? Cela va déprendre de la manière dont les choses vont évoluer à partir de maintenant.

L'Italie occupe la troisième position au niveau mondial
en matière de dette (130% du PIB), après les États-Unis et le Japon.

Si l'on peut être tenté de suivre le mouvement qui consiste à penser que l'Italie prend le chemin de la Grèce, plusieurs facteurs contribuent à rejeter cette idée. Tout d'abord, l'économie italienne est beaucoup plus importante. Elle représente environ 15% de l'activité économique enregistrée dans la zone euro, par rapport à seulement 1,6% pour la Grèce. De plus, son économie et son système bancaire sont traditionnellement bien plus intégrés au reste de la zone euro. L'Italie occupe la troisième position au niveau mondial en matière de dette (130% du PIB), après les États-Unis et le Japon. D'après les chiffres de la Deutsche Bank, seulement quelque 40% de cette dette sont détenus par des investisseurs locaux, les investisseurs étrangers représentant environ 20% et la majorité du reste étant détenue par le système européen (environ 18%).

Une tragédie grecque 2.0?

Alors que la Grèce s'est retrouvée au pied du mur et confrontée à un ultimatum (se conformer ou faire défaut), en tant que l'un des pays fondateurs de l'UE, l'Italie est en meilleure position pour négocier avec les autres membres de la zone euro. L'Italie est tout simplement trop grande pour faire défaut.

En outre, il y a une autre différence importante. Alors que la crise grecque était purement le résultat d'une politique gouvernementale insoutenable, il s'agit en Italie d'une question essentiellement d'ordre politique. Malgré le niveau très élevé de sa dette, l'Italie a réussi à respecter l'objectif de déficit de 3% depuis 2012 et dégage d'un excédent courant assez important (2,5% du PIB). Et si le pays est structurellement à la traîne au sein de la zone euro, la dynamique économique s'est toutefois améliorée ces dernières années.

Ce tout nouveau gouvernement pourrait ne pas durer
assez longtemps pour faire des dégâts importants.
Une coalition qui va vers une collision

L'enchaînement des évènements va-t-il donner lieu à une crise généralisée? D'un point de vue plus pessimiste, un contrôle exercé conjointement par les deux partis populistes rend peu probable tout progrès en matière de réforme du système bancaire ou d'amélioration sur le plan économique. Par ailleurs, le nouveau gouvernement pourrait bien commencer à tenir ses promesses électorales avec des plans budgétaires susceptibles de le mettre sur une trajectoire de collision avec le Pacte de stabilité de l'Union européenne. Une telle situation pourrait provoquer une confrontation plus tard cette année. Il est difficile de prévoir si les marchés financiers se contenteraient d'assister à un tel scénario sans réagir.

Sur une note plus positive, ce tout nouveau gouvernement pourrait ne pas durer assez longtemps pour faire des dégâts importants. Le clivage nord-sud de l'Italie ressemble plus à un gouffre, et tenter de réunir ces deux éléments dans un gouvernement unique relève d'un véritable exploit, même dans des circonstances normales. Le fait que ces deux partis soient issus des extrémités opposées du spectre politique rend la tâche quasiment impossible. Les chances de discorde entre ces formations politiques rivales augmentent de jour en jour, à mesure qu'elles doivent assumer de manière collective la responsabilité gouvernementale.

Ce dernier scénario semble actuellement être l'un des plus privilégiés par les marchés financiers, comme l'indique l'apaisement des tensions après la prise de fonctions du nouveau gouvernement. À mesure que le calme revient, le mieux est donc d'attendre de voir si l'Italie continue de faire des vagues ou si tout n'aura en fait été qu'une simple tempête dans un verre d'eau.