La complexité de l’investissement climatique

Robin Rouger, Banque J. Safra Sarasin

3 minutes de lecture

L’UE travaille sur un label climatique avec un cadre précis afin de pouvoir classifier sur une base commune chaque véhicule d’investissement.

La nécessité de traiter la problématique du réchauffement climatique n’est plus à débattre. L’augmentation généralisée de la température cet hiver, les incendies en Australie, … sont autant d’éléments qui nous rappellent la nécessité de traiter le problème de manière active. Dans son rapport de 2020, le WEF a d’ailleurs évalué que les risques principaux aux-quels la société est confrontée sont d’ordre environnemental. Parmi ces menaces, le climat apparait en première ligne avec l’échec de la transition énergétique, l’occurrence des catastrophes météorologique extrêmes et la dégradation de la biodiversité. Les institutions financières se sont positionnées sur ce thème en proposant des véhicules d’investissements liés à la thématique de la transition énergétique. Même si des processus sont actuellement en discussion à l’échelle internationale (TCFD, Taxonomie…) pour quantifier l’impact de ces investissements, il n’existe pas encore de consensus précis qui évalue l’incidence de toutes ces solutions. Chacun a donc sa propre approche et sa propre perception du sujet. Ce manque de référentiel commun prouve bien la complexité du sujet.

Pour prendre la température…

La communauté scientifique tire la sonnette d’alarme vis-à-vis du réchauffement climatique. Nous savons également que l’augmentation sensible des températures aurait des conséquences dramatiques sur nos écosystèmes et nos économies avec notamment, la prolifération de virus, l’aridification des terres agricoles, la multiplication des catastrophes naturelles, l’immigration des populations due aux chaleurs extrêmes, la raréfaction de l’eau potable … Le modèle actuel repose sur la croissance économique, elle-même largement dopée par la politique des banques centrales. Il existe un lien fort entre la croissance du PIB mondial et les émissions de gaz à effet de serre. Il en découle que limiter nos émissions pour rentrer dans le cadre fixé par l’Accord de Paris est incompatible avec notre modèle économique actuel. 

Tous les acteurs doivent converger vers une politique climatique
commune afin de pouvoir proposer une solution adaptée.

La résolution de l’équation climatique passe donc par un changement profond de notre système. Les relais de croissance devront venir de nouvelles activités en accord avec le soutien de nouvelles politiques réellement décidées à participer à la résolution du problème du réchauffement climatique. Tous les acteurs doivent évidemment converger vers une politique climatique commune afin de pouvoir proposer une solution adaptée. Tous les secteurs doivent également participer à ce mouvement. A ce titre, l’industrie bancaire à un rôle à jouer en mettant à disposition des capitaux aux entreprises ayant la volonté d’intégrer le climat dans leurs décisions stratégiques. 

Le problème actuel

Comme la plupart des industries, le secteur bancaire repose ses analyses sur les données mises à disposition par des organismes spécialisés pour évaluer la rigueur des entreprises par rapport à leur émission carbone.  La définition des émissions de gaz à effet de serre est elle-même complexe et peut se diviser en 3 sous-catégories. Afin de mieux comprendre les subtilités des différentes strates, nous illustrons nos propos avec un exemple issu d’une compagnie aérienne.  

  • Le scope 1 rassemble les émissions directes liées à l’utilisation d’énergie fossile. Par exemple la quantité de gaz à effet de serre émise par la combustion du kérosène lors du vol d’un avion.
  • Le scope 2 regroupe l’ensemble des émissions indirectes en particulier l’électricité utilisée. Par exemple, la quantité de gaz à effet de serre émise par l’utilisation des ordinateurs des employés de la compagnie. 
  • Le scope 3 reprend toutes les autres émissions indirectes. Par exemple, la quantité de gaz à effet de serre émise par les camions ayant transporté le kérosène jusqu’aux avions stationnés aux terminaux. 

Définir avec exactitude l’agrégat de ces 3 catégories est très compliqué surtout pour le scope 3 où le niveau de granularité peut être extrême. De plus, les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas soumises au contrôle d’un organisme externe. Elles diffèrent donc d’un fournisseur de données à l’autre. 

Il est plus constructif de composer avec les éléments
que nous avons à notre disposition.

Les objectifs de réduction d’émission carbone annoncés par les entreprises sont à analyser. En effet, il pourrait être tentant pour le management de publier des ambitions fortes à 2050 – sans pour autant avoir de stratégie précise pour atteindre ces objectifs – dans l’intention d’attirer des capitaux et/ou redorer leur image. Les modèles scientifiques, qui nous dressent le cadre climatique à respecter pour contenir le réchauffement climatique, reposent sur des hypothèses complexes et les projections faites pourraient évoluer au cours du temps. Réfuter ces hypothèses est bien évidemment beaucoup plus facile que d’agir. Cependant, nous estimons qu’il est plus constructif de composer avec les éléments que nous avons à notre disposition plutôt que de démonter les modèles actuellement proposés, quitte à réévaluer notre méthodologie dans le futur.

Comment naviguer dans cet océan instable?

Conscientes de la gravité du réchauffement climatique, de plus en plus de sociétés publient des objectifs de réduction de gaz à effet de serre et les intègrent dans leurs décisions stratégiques. Selon le pays et le secteur d’activité dans lesquels elle opère, une compagnie va devoir faire plus ou moins d’efforts pour être en ligne avec l’Accord de Paris. Evidemment, une société productrice de pétrole aura plus de contraintes qu’une entreprise d’hydroélectricité. Connaissant le volume de carbone maximum à émettre pour être en ligne avec une augmentation de 1,5°C, comme préconisé par l’Accord de Paris, et connaissant la contribution de chaque industrie et de chaque pays aux émissions totales, des organismes spécialisés peuvent mesurer les efforts de réduction nécessaires pour chaque société afin d’honorer sa part de responsabilité climatique. Nous pouvons facilement les comparer avec les résolutions prises par l’entreprise afin d’évaluer son positionnement par rapport à un scenario de 1,5°C. Nous pensons qu’avoir des objectifs de réduction d’émission carbone est une condition nécessaire mais pas suffisante. Pour illustrer notre pensée, nous prendrons l’exemple d’un fumeur régulier qui vous promet qu’il va arrêter de fumer. Comment pouvoir juger s’il va pouvoir tenir sa promesse?

Le secteur bancaire prend ses responsabilités
en proposant des solutions innovantes.

Une façon d’évaluer si les ambitions fixées par le mangement sont raisonnables est de regarder comment ses émissions de gaz à effet de serre ont évolué par le passé. Cette analyse nous permet d’identifier le rythme de croisière carbonique de chaque société. Si cette tendance nous semble trop lente par rapport au plan fixé par le management, nous jugeons ses objectifs comme peu crédibles. Ce processus nous permet de positionner chaque compagnie sur un scénario climatique. Cette analyse doit évidemment être complétée par une recherche plus qualitative sur le positionnement stratégique de chaque société qui semble satisfaire une trajectoire de température en ligne avec l’Accord de Paris.   

Vers un consensus?

L’Union européenne travaille sur un label climatique en proposant un cadre climatique précis afin de pouvoir classifier sur une base commune chaque véhicule d’investissement. Les règles à appliquer pour recevoir cette distinction sont encore au stade de la réflexion. L’UE a récemment mis en ligne l’ébauche d’une deuxième proposition qui doit encore être approfondie. La complexité de la problématique rend un consensus difficile. En attendant des avancées sur ce point, le secteur bancaire prend ses responsabilités en proposant des solutions innovantes permettant de répondre à la problématique du climat en donnant un nouveau sens à l’épargne.

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