La Chine comme elle se doit

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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La crise du coronavirus marquera peut-être un tournant pour la Chine en mal d’un modèle de développement plus en phase avec sa population.

La crise du coronavirus n’a pas encore dit son dernier mot. Alors que les autorités chinoises renforcent les mesures de confinement, on s’inquiète désormais d’un risque de propagation à des régions moins équipées pour détecter et parer à l’épidémie. Vu de l’étranger, on ne peut qu’éprouver compassion et admiration pour une population qui nous renvoie l’image de son désarroi, de sa colère mais encore plus de sa résilience dans cette épreuve.  

Au cours des dernières années, il y a eu d’autres crises et pandémies sérieuses. Toutes abattent le mythe du non franchissement de la barrière des espèces, et remettent en cause la mondialisation des échanges et l’urbanisation galopante. Cette nouvelle épidémie fait ressurgir des réflexes anciens de peur et de relative impuissance. Les malades sont stigmatisés, des communautés sont prises pour boucs-émissaires, on coupe les communications terrestres, aériennes maritimes. Théories du complot (le virus a été «cultivé» à Wuhan), dénonciations des coupables (c’est la faute des chauves-souris), remèdes miracle, fleurissent aujourd’hui comme hier. La peur de la contamination vide les étals et provoque des pénuries d’approvisionnements. Cette fois, la rumeur et la colère sont relayées et amplifiées sur les réseaux sociaux dont le pouvoir peine à contenir le flot.

L’image de la Chine et de ses dirigeants
est durablement altérée dans l’inconscient collectif.

Cette nouvelle épidémie renvoie la Chine à ses propres démons sanitaires, et le monde au souvenir de la peste qui hante toujours les esprits. C’est à Hong Kong en 1894 qu’Alexandre Yersin vainquit le dernier grand foyer de peste. Les recherches récentes montrent que la Chine comme l’Europe furent ravagées par la grande peste de 1348, à  partir d’un foyer d’Asie Centrale. Mais la légende noire a la vie dure qui fait de l’Empire du Milieu le foyer originel. S’il semble avéré que le virus de la grippe espagnole venait bien de Chine (une forme virulente de H1N1), c’est aux Etats-Unis qu’il aurait muté avant d’atteindre l’Europe, transporté par le contingent. On retrouve en Europe la trace d’épidémies de grippes aviaires en provenance de Chine à la fin des années 1950 et 1960. La campagne de lutte contre les «quatre nuisibles» lancée par Mao Zedong à la fin des années 1950, au lieu d’éradiquer les risques de pandémie, provoqua une grande famine, laissant l’image d’un pouvoir impuissant, pour ne pas dire assassin de sa population.

Les moyens de prévention et de lutte comme le nombre de victimes ont beau être sans commune mesure avec le passé, l’image de la Chine et de ses dirigeants – soupçonnés de s’équiper dans la guerre bactériologique – est durablement altérée dans l’inconscient collectif.

Comme nous l’avons signalé précédemment1, le pouvoir central est d’autant plus affecté par la crise actuelle que les seules mesures auxquelles il puisse recourir pour contenir le virus (c’est-à-dire la mise à l’arrêt des activités), touchent durement l’économie déjà affaiblie. On se demande déjà ouvertement qui de «l’empereur Xi» ou du Parti verra sa légitimité le plus durement remise en cause.

Le gouvernement central ne s’en tirera pas uniquement
par le limogeage de quelques responsables locaux.

La crise actuelle, quelle que soit sa durée touche un pays à la croisée des chemins et qui cherche un nouveau souffle dans son développement économique. Les objectifs que le pouvoir se fixe ne sont pas sans contradiction, on l’a déjà vu. Ainsi comment internationaliser la monnaie – voire même s’affranchir du dollar – tout en contrôlant les flux de capitaux? Comment inverser la baisse tendancielle de la productivité tout en gardant la haute main sur les politiques industrielles et de financement au travers des entreprises et des banques d’Etat? Comment permettre à la population de s’installer librement dans le pays (levée du passeport intérieur), procéder à la privatisation des terres,  tout en contrôlant les migrations intérieures et l’opinion publique.

L’intégration croissante de la Chine dans les réseaux mondiaux et dans les  organisations internationales lui confèrent une influence croissante. Elle l’enjoint également de faire preuve de plus de transparence et de coopération. Sur le plan domestique, le gouvernement se recentrera certainement sur le bien-être de la population qui passe par le développement des infrastructures de santé, parallèlement au renforcement des mesures autoritaires d’hygiène. Confronté à une opinion publique qu’il ne peut totalement museler, le gouvernement central ne s’en tirera pas uniquement par le limogeage de quelques responsables locaux. Ce sont les objectifs même du plan «Made in China 2025» qu’il lui faut reconsidérer.

Dans cette crise, le malheur des uns ne fera pas le bonheur des autres. Le pouvoir central, pris en défaut, y trouvera peut-être le chemin d’une nouvelle étape dans le développement du pays plus en phase avec les aspirations de sa population.

 

1 Voir l’article «Un mal qui répand la terreur»… économique», 5 février 2020.

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