L’orthodoxie monétaire est plus pertinente dans les pays émergents

Cyril Gomez

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Si le ciblage de l’inflation perd de son efficacité dans les pays développés, il assure une plus grande crédibilité aux pays à revenu intermédiaire.

Face à des forces déflationnistes persistantes maintenant les niveaux généraux des prix en-deçà des objectifs fixés par les banques centrales, l’ensemble de la communauté financière des pays développés s’interroge sur l’efficacité du ciblage d’inflation. L’une des alternatives consiste à modifier légèrement le cadre opérationnel de la politique monétaire en substituant au ciblage explicite de l’inflation ce que les experts appellent le ciblage moyen. Approche consistant à susciter une inflation supérieure à la cible officielle pendant un certain temps, afin de compenser les périodes où celle-ci est ressortie en-deçà.

«Le temps révolu ne le serait plus», remarque David Wessel, économiste monétaire du Brookings Institute. «En effet, alors que la politique monétaire se focalise presque exclusivement sur l’avenir, cette approche conduirait les banques centrales à également prendre en compte le passé», insiste David Wessel. «Ainsi, les périodes d’inflation dépassant l’objectif seraient suivies de périodes où les prix ressortiraient en-dessous des 2% actuellement fixés comme cible. Aucune banque centrale n’emploie pour l’heure ce type de ciblage temporaire du niveau général des prix, quoique la Suède en ait déjà fait l’expérience durant les années 30», observe David Wessel.

«Plutôt qu’un abandon du ciblage de l’inflation, nous pourrions imaginer que les banques centrales se dirigent vers un élargissement et/ou un assouplissement des objectifs», suggère de son côté Stéphanie de Torquat, macro-stratégiste chez Lombard Odier Private Bank, à Genève. «La Réserve Fédérale américaine a d’ailleurs déjà un double mandat de ciblage de l’inflation et du taux de chômage», poursuit la spécialiste.

 «Le grand défi sera alors probablement
de préserver la confiance de l’ensemble du système».

«Il est légitime de se poser la question de savoir si la maîtrise de l’inflation incarne en elle seule une garantie de succès. En effet, la croissance, le taux de chômage et la réglementation constituent autant de moyens supplémentaires pour y parvenir», souligne Stéphanie de Torquat. Qui ajoute que «le grand défi sera alors probablement de préserver la confiance de l’ensemble du système et du pays dans la capacité des banques centrales à assurer leur rôle de stabilisateur financier et économique».

Dans les pays émergents, toutefois, l’approche orthodoxe du ciblage de l’inflation semble toujours appropriée. Voire souhaitable, dans la mesure où il parvient à solidement ancrer les anticipations des agents. Dans les économies à revenu moyen, plus cet ancrage est élevé, plus l’impact de chocs externes est limité sur les perspectives de croissance, limitant l’ampleur du mécanisme de transmission des chocs à partir des taux de change (dépréciation) sur la consommation et les dépenses d’investissement. C’est ce qui ressort d’une étude empirique du Fonds Monétaire International (FMI) récemment publiée1.

Ce phénomène fut assez bien illustré durant le taper tantrum de 2013. À l’automne de cette année, en effet, les pays émergents subirent des fuites massives de capitaux, des dépréciations de leurs devises et la baisse générale des prévisions de croissance, suite à l’annonce de l’ancien prédisent de la Fed, Ben Bernanke, de son intention de réduire ses achats d’actifs dans le cadre du quantitative easing (QE) de la banque centrale américaine.

 Le Chili, le Mexique, la Hongrie, la Pologne, soit les pays où l’ancrage des anticipations d’inflation est le plus significatif, sont ceux qui ont été les moins affectés par le taper tantrum. Alors que des économies telles que l’Argentine, la Turquie et la Russie demeurent les plus sensibles aux chocs externes dû à un ancrage relativement faible.

«Les plus grands pays émergents font
globalement preuve d’une orthodoxie croissante».
De fait, au moment de l’instauration des cibles d’inflation dans les pays émergents dès le début des années 1990, visant à asseoir la crédibilité des banques centrales de ces régions, la plupart d’entre eux connaissaient des taux d’inflation supérieurs à 5%. Le taux d’inflation se situait en moyenne entre 5% et 10% en Pologne, au Brésil, en Turquie, en Afrique du Sud, en Thaïlande, en Arménie ou encore en Inde, lorsque les banques centrales de ces pays instaurèrent tour à tour des ciblages explicites de l’inflation.

En dehors du cas extrême de l’Argentine, où le taux d’inflation annuel oscille toujours entre 20% et 35%, le ciblage d’inflation y fut un échec, principalement en raison d’une mauvaise conception de la politique monétaire. La banque centrale y a en effet mis en place un système consistant à émettre des obligations d’État afin de stériliser l’augmentation de la masse monétaire (ce qui revient, in fine, à susciter cette même expansion monétaire), alors que ses réserves et ses liquidités sont en trop faibles quantités.

 Mais, globalement, le ciblage traditionnel demeure plus approprié pour les économies à forte croissance ou à revenu intermédiaire, où la stabilité des prix y est naturellement plus difficile à atteindre. «Les plus grands pays émergents font globalement preuve d’une orthodoxie croissante en termes de politique aussi bien fiscale que monétaire, ce qui leur confère de plus en plus de crédibilité dans leur capacité à assurer leur stabilité économique et financière», observe Stéphanie de Torquat.

 «Au-delà des avantages évidents que cela procure – meilleure qualité de vie, pouvoir d’achat plus stable, meilleure prévisibilité de l’avenir – cela permet également d’attirer plus d’investissements directs étrangers et de se financer plus facilement aussi bien en dollar qu’en devise locale auprès des étrangers, qui auront plus confiance dans la capacité du pays à défendre sa devise.»

 


1 Gains from Anchoring Inflation Expectations: Evidence from the Taper Tantrum Shock, IMF Working Paper, 19/75 2019.

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