L’ombre du Taper tantrum

Salima Barragan

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Selon Daryl Liew, de Reyl, l’Asie est dans une position bien plus forte qu’en 2013.

 

Les flux sortent perceptiblement des marchés asiatiques: les investisseurs sont bel et bien en mode «risk-off». Ce mouvement de retour vers les places boursières dites sûres,  telles que les États-Unis, a été alimenté en partie par les rhétoriques de guerre commerciale et par la reprise récente du dollar contre un panier de devises (DXY). Mais c’est le risque d’une envolée agressive du rendement de bon du trésor américain qui pourrait s’avérer être la menace principale. L’ombre du Taper tantrum de 2013 – qui avait provoqué l’assèchement des liquidités sur les marchés émergents – semble planer au-dessus des économies les plus vulnérables. Mais ce risque a diminué. Selon Daryl Liew, responsable de la gestion des portefeuilles chez Reyl à Singapour, l’Asie est dans une position bien plus forte qu’en 2013.

Chine: ralentissement en ligne avec les attentes

Suite à la baisse de -13% des actions A (côté sur la bourse chinoise continentale), Daryl Liew les considère attractives. «Le risque de ralentissement n’a pas encore été matérialisé. Les résultats des entreprises chinoises au 1er semestre sont solides mais seront plus modérés pour le deuxième semestre», explique-t-il en excluant toute correction. «La croissance de PIB sera en ligne avec les objectifs. Un accord commercial pourrait être le déclencheur d’un mouvement haussier», estime cet expert sur les marchés asiatiques.

La Chine a toujours besoin
d’acquérir du savoir-faire occidental.

Est-ce que les divergences commerciales entre les deux plus grandes puissances économiques vont rapidement aboutir à un accord? Reste à connaître l’objectif réel de Donald Trump. S’il s’agit d’un différend sur le déficit commercial, celui-ci pourra être résolu rapidement car la Chine est prête à faire des concessions. Deux possibilités s’offrent à la Chine: importer davantage de produits américains, chose à laquelle le gouvernement chinois consent, ou, exporter moins de biens envers les États-Unis. «En revanche, s’il s’agit d’une rivalité compétitive où la technologie chinoise est perçue comme une menace, le problème sera plus ardu à régler», explique Daryl Liew. «La chaine de valeur chinoise a évoluée et ce pays fabrique aussi des semi-conducteurs. Mais la Chine a toujours besoin d’acquérir du savoir-faire occidental. D’ailleurs, elle a investi dans des sociétés telles que Volvo et IBM pour le transfert des technologies», poursuit-il.

En marge de ces préoccupations géoéconomiques, un second combat politique se joue. D’un côté, Donald Trump doit bientôt prouver à son électorat qu’il a remporté une victoire. De l’autre côté, la Chine doit affirmer sa force. Daryl Liew s’attend donc à une intensification du bruit des marchés jusqu’aux élections «midterm» américaines en novembre.

L’Indonésie, Vietnam et Coré du sud: les trois perles asiatiques

Daryl Liew concède que les investisseurs asiatiques ont une mentalité des parieurs, ce qui amplifie les mouvements de volatilité. Mais les valorisations sont généralement intéressantes surtout au sein de certains pays asiatiques injustement pénalisés tels que l’Indonésie. Sa notation vient d’être relevée à «investment grade», mais malgré cela, l’indice indonésien (JCI) a corrigé de près de 6% depuis le début de l’année. Face à cette divergence, il a renforcé son allocation sur ce pays. «L’Indonésie était effectivement le pays le plus durement impacté par le Taper tantrum de 2013. Néanmoins, aujourd’hui le marché à tort, car le pays est en bonne santé. En 2013, son déficit commercial représentait 6% du PIB. Depuis, il est descendu à 2%», argumente-t-il.

«Nous avons aussi relevé nos perspectives sur le Vietnam, qui est considéré comme une Chine miniature sur pleins d’aspects. L’économie vietnamienne, également centralisée, s’approprie les secteurs manufacturiers – à faible valeur ajoutée – abandonnés par la Chine lors de son recalibrage économique. «Une mentalité orientée IPO émerge», explique Daryl Liew. A titre d’exemple, la compagnie Vietnam Airline, a été privatisée en 2017 suite à une IPO. «Le gouvernement maintient toujours des parts au sein de cette compagnie, mais il se désinvestit graduellement», poursuit-il.

La stratégie nord-coréenne s’apparente à une menace
de surenchère mise en place par Kim Jung-un.

Reyl a aussi revue ses prévisions à la hausse sur les Philippines qui a le plus souffert des sorties de flux. Pourtant la dynamique de développement y est la plus forte et les valorisations sont raisonnables. «Ayala Corporation est un excellent proxy pour jouer les Philippines car ce groupe, dont les titres sont liquides, offre un portefeuille varié qui va des services financiers et télécoms aux fournisseurs d’énergie», détaille Daryl Liew.

Enfin, il estime que la Coré du Sud va bientôt être réévaluée par le marché. Son P/E prévisionnel de 8,7x correspond à important discount géopolitique. De plus, il rajoute que le tissu économique souffre des conglomérats et, à l’instar du Japon, des actions locales visent l’abolition des participations croisées afin de générer de meilleurs ROE.

Le cas nord-coréen

«Le gouvernement nord-coréen n’jamais tenu aucune promesse et la réunification est improbable» explique Daryl Liew qui est très sceptique face au sommet de Singapour. La Corée du Nord souhaite ouvrir son économie comme l’a fait le Vietnam il y a 20 ans, mais aussi comme le Myanmar et la Chine dont les économies centralisées ont récolté les fruits de l’ouverture aux marchés mondiaux. Selon lui, la stratégie nord-coréenne s’apparente à une menace de surenchère mise en place par Kim Jung-un qui souhaite être perçu comme une menace mondiale. «Maintenant qu’il occupe cette position, il va se concentrer sur le développement de son économie exportatrice de charbon et de matières premières», poursuit Daryl Liew qui présume que cette transition économique pourrait prendre entre 10 à 20 ans. Reste encore que les sanctions économiques à son encontre soient levées.

Pour Daryl Liew, le risque asiatique est déjà intégré dans les prix. Dans son meilleur scénario, les flux étrangers pourraient revenir en force suite à un affaiblissement du dollar US et une stabilisation de l’or noir. Enfin, les entreprises asiatiques sont devenues assez robustes pour s’adapter à une hausse graduelle du taux d’intérêt américain. «Elles se sont efforcées de réduire leurs ratios d’endettement et depuis 2013, beaucoup de fonds ont été levés en monnaies locales, ce qui signifie que le risque d’un retour du Taper tantrum a fortement diminué», conclut-il.

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