L’investissement factoriel

Fabio Trojani et Cyril Pasche, Swiss Finance Institute

3 minutes de lecture

L’investissement factoriel se démocratise grâce au big data et au machine learning.

Le panorama de placements est composé de millions de titres négociables dans des centaines de bourses et appartenant à des dizaines de classes d’actifs. Identifier ce que les investisseurs souhaitent voir dans leurs portefeuilles et les variables qui pourraient amener à changer sa valeur est non trivial. Ces variables, qui sont appelées des «facteurs» dans le jargon professionnel, sont au cœur des modèles d’investissement factoriel. L’industrie financière distingue deux catégories de facteurs: les facteurs macro tels que la croissance économique, la liquidité ou l’inflation, et les facteurs de style, tels que la valeur, le momentum ou la taille. L’identification de ces facteurs permet aux investisseurs de constituer des portefeuilles de manière plus transparente et leur permet de mieux atteindre leurs objectifs de placement. Les facteurs sont généralement peu corrélés entre eux et chacun d’entre eux peut être impacté différemment par les cycles économiques, ce qui nécessite des ajustements de portefeuille au cours du temps.

Est-ce que l’investissement factoriel est une nouvelle forme d’investissement?

Le premier modèle développé pour décrire la relation entre le risque et le rendement financier est le modèle d’évaluation des actifs financiers (MEDAF). Selon le MEDAF, les investisseurs sont rémunérés en fonction de leur exposition au risque, qui est mesuré uniquement par le risque du marché. Tout modèle comporte des faiblesses et le MEDAF n’est évidemment pas une exception à cette règle. A cause d’un certain nombre de faiblesses au niveau empirique, plusieurs modèles ont été développés depuis afin de prendre en compte la multiplicité possible des facteurs de risque. La littérature académique a récemment développé des modèles dans lesquels les primes de risque et d’expositions aux facteurs peuvent varier dans le temps. Les lacunes théoriques et les limitations informatiques rendaient toutefois jusqu’alors impossible l’estimation précise des primes de risque et d’expositions aux facteurs. Les récents progrès en capacité de calcul informatique et en recherche académique ont ainsi permis, en exploitant les informations contenues dans de larges bases de données, d’analyser les rendements au niveau des actions mêmes, et non pas des indices, et d’estimer précisément les primes de risques et d’expositions aux facteurs.

Des actions de faible taille ont des primes de risque
plus importantes durant les phases de récession.
En quoi l’augmentation de la capacité de calcul informatique a-t-elle modifié les décisions d’investissement?

Les précédentes limitations informatiques ont rendu nécessaire la compression d’informations existantes au niveau des actions dans des indices. Une telle compression réduit la qualité des estimations des primes de risques et d’expositions aux facteurs. Une étude, portant sur des dizaines de milliers d’actions américaines échangées durant les 45 dernières années, montre que les primes de risque sont à la fois importantes et volatiles en période de crise. De plus, en accord avec l’intuition économique, les primes de risque varient en fonction des cycles macroéconomiques. Par exemple, des actions de faible taille ont des primes de risque plus importantes durant les phases de récession.

Quelle est la performance de l’investissement factoriel par rapport à une stratégie de type 1/N?

S’il est vrai que les stratégies d’investissement de type 1/N sont étonnamment difficiles à surperformer, une étude récente montre que les portefeuilles générés grâce à la méthodologie d’investissements factoriels et les données d’actions individuelles sont significativement plus performants que ceux des stratégies 1/N. En effet, les portefeuilles factoriels produisent des ratios de Sharpe plus élevés et sont également caractérisés par des taux de rotation des titres plus faibles, ce qui réduit en conséquence les coûts de transactions.

Près de 300 facteurs ont été formellement identifiés
comme ayant un impact.
Quels facteurs sont particulièrement performants dans un contexte international?

Une récente analyse, qui prend en compte un total de 58’674 actions négociées dans plus de 46 pays durant une période de 30 ans, a permis d’identifier les différents facteurs de risque au niveau international. Sur les marchés développés, les données montrent que les primes de risque nationales sont inférieures aux primes de risque mondiales ou régionales et que les gains à la diversification au sein d’un marché développé sont limités. Les résultats diffèrent pour les marchés émergents, vu que les primes de risque nationales sont relativement élevées par rapport aux primes de risque mondiales ou régionales, ce qui permet aux investisseurs de tirer davantage parti de la diversification au sein d’un marché émergent. De plus, les primes de risque pour les actions internationales évoluent différemment dans le temps. Par exemple, les primes relatives à la valeur et au momentum sont plus volatiles que celles relatives à la profitabilité et aux investissements.

Quels sont les prochains développements prévus en matière de recherche en investissement factoriel?

L’abondance de recherche empirique sur le sujet de l’investissement factoriel a généré une prolifération du nombre de facteurs ayant un potentiel impact sur le prix et les rendements des actifs. A ce jour, près de 300 facteurs ont été formellement identifiés comme ayant un impact. De nouvelles méthodes basées sur des techniques d’apprentissage automatique sont capables d’extraire efficacement la combinaison optimale de ces caractéristiques d’actions pour prédire les rendements des actions à un niveau individuel. De telles approches, utilisant une quinzaine de facteurs différents, permettent de prendre en compte les non-linéarités et les interactions complexes entre les actions et fournissent des ratios de Sharpe trois fois supérieurs à ceux obtenus à l’aide de modèles linéaires.

 

Rédigé par le Dr Cyril Pasche sur la base des travaux du Pr Fabio Trojani.

Publié en janvier 2019 dans le Practioner Roundup du Swiss Financial Institute.

Copyright: Swiss Finance Institute, 2019

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