L’éveil du printemps – Weekly Note de Credit Suisse

Burkhard Varnholt, Credit Suisse

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Dix bonnes raisons pour lesquelles la tempête commerciale devrait se calmer et céder la place au printemps.

Orages boursiers ou éveil du printemps? Voilà la grande question. En effet, en dépit des bons présages, la politique commerciale traverse une forte tourmente. Mais cela n’a rien de nouveau. Nous donnons dix bonnes raisons pour lesquelles cette tempête devrait se calmer elle aussi et céder la place au printemps.

1. Le printemps est propice à la croissance

«Ce que le printemps n’a pas semé, l’été ne saurait le faire mûrir, l’automne ne peut le récolter, et l’hiver n’en jouira pas», a écrit Johann Gottfried von Herder il y a plus de 200 ans. Le printemps, avec toute la magnificence de sa floraison, est une saison particulièrement appréciée, car tout grandit et s’épanouit. Or ce qui est valable pour la nature s’applique également, d’une certaine manière, à l’économie: les magasins de mode proposent leurs nouvelles collections, et la clémence de la météo stimule l’activité de construction. N’oublions pas non plus toutes les entreprises qui distribuent leurs bénéfices au printemps pour s’attirer les faveurs des investisseurs. D’après une analyse citée par Bloomberg, la somme totale des dividendes qui seront versés à l’échelle planétaire en ce mois d’avril devrait atteindre un montant allant jusqu’à 400 milliards de dollars américains(!), et ce parce que les bénéfices des entreprises progressent partout dans le monde. En outre, les rachats d’actions augmentent eux aussi. Néanmoins, nous constatons également que les bonnes nouvelles n’ont guère d’impact actuellement, car les tensions commerciales et géopolitiques font la loi sur les marchés. 

Le fait que l’éveil du printemps stimule également la croissance économique est démontré par Peter Sellers dans la tragi-comédie intitulée «Bienvenue Mister Chance», dans laquelle il joue le rôle d’un jardinier analphabète et naïf «Mister Chance». Celui-ci a travaillé toute sa vie à Washington D.C., dans le calme de la propriété de son employeur. Lorsque ce dernier décède, Chance quitte pour la première fois ce havre de paix et peine à s’adapter à la vie trépidante de la grande capitale. 

Il tente notamment de chasser une bande de jeunes délinquants au moyen d’une télécommande de télévision, sans succès bien sûr. Plus tard, il trébuche dans la rue et se fait renverser par la voiture de Mme Rand, la femme d’un conseiller du président des États-Unis. Celle-ci le recueille chez elle pour le faire soigner. Son mari, le croyant entrepreneur en faillite, le présente ultérieurement au président. Lorsque celui-ci lui demande comment relancer la conjoncture, le jardinier, fort de son expérience en botanique, lui répond: «On obtient la croissance en soignant les plantes sans endommager les racines. Elles grandissent alors, en particulier au printemps. Oui, le printemps est propice à la croissance». 

Le président américain est enthousiasmé par une telle clarté. Il considère les réponses extrêmement simples de Chance comme l’expression d’une grande sagesse et souhaite même en faire son nouveau conseiller économique. Mais tout cela laisse le jardinier indifférent. À la fin du film, après avoir soigné son arbre préféré une dernière fois, il s’en va, tel Jésus Christ, sur l’eau d’un lac. 

La croissance sera-t-elle au rendez-vous ce printemps également? Bien des facteurs le laissent penser en dépit de toutes les inquiétudes: par exemple la confiance et les moyens financiers des CEO et des consommateurs, mais aussi toutes les bonnes raisons qui, dans le cadre du différend commercial, parlent en faveur d’une coopération plutôt que d’une confrontation. Permettez-moi de m’expliquer brièvement. 

Décideurs confiants

Une enquête récente menée par PriceWaterhouseCoopers à l’échelle mondiale montre qu’actuellement, 57% des CEO s’attendent à une nouvelle amélioration de la croissance économique dans leur domaine d’activité. Ils sont donc deux fois plus nombreux à partager cette opinion qu’il y a douze mois. Seuls 5% – soit un chiffre plus de moitié moindre que l’année dernière – anticipent une détérioration. 

Les attentes de croissance sont les plus élevées en Amérique latine et aux États-Unis, suivis par l’Asie et l’Europe. Elles sont inférieures, tout en restant positives, au Moyen Orient et en Europe de l’est. 

Les consommateurs eux aussi sentent l’arrivée du printemps. Leur indice de confiance établi par l’OCDE confirme ce que notre étude sur les consommateurs des pays émergents avait déjà mis en évidence:

Sources: OCDE, Credit Suisse
2. La concurrence met des bâtons dans les roues

Le fait que la concurrence mette des bâtons dans les roues n’a rien de nouveau non plus. C’est ce que l’industrie horlogère helvétique a expérimenté en 1954. Comme ses chronomètres supplantaient à l’époque des marques américaines telles que Bulova ou Waltham, le comité des douanes du président Dwight D. Eisenhower avait proclamé haut et fort que le «cartel de l’horlogerie suisse menaçait la sécurité nationale des États-Unis». Les arguments avancés par le président américain pour étayer de tels propos étaient les suivants: «Les montres américaines ne sont pas seulement des biens civils mais aussi des instruments de précision militaires qui équipent les avions et les torpilles.». Et d’ajouter: «La précision, la complexité de fabrication et le savoir-faire hautement spécialisé requis ne se rencontrent guère à un tel niveau dans d’autres secteurs.» Et enfin: «Comme les horlogers suisses paient des salaires inférieurs à ceux de leurs homologues américains tout en travaillant de manière indéniablement plus efficace, les États-Unis doivent se protéger du cartel horloger helvétique dans l’intérêt de leur sécurité nationale». 

C’est ainsi que le 27 juillet 1954, le président Eisenhower a introduit un droit de douane de 53% sur les importations de montres suisses, faisant la sourde oreille aux protestations de Berne. Suite à cette mesure, les exportations helvétiques dans ce domaine ont chuté de deux tiers. Ce n’est qu’en 1966, lorsque la Suisse a adhéré au GATT (prédécesseur de l’Organisation mondiale du commerce) que les États-Unis ont réduit leurs taxes sur ces montres. Du déjà vu?

3. Une guerre commerciale reste improbable

Dix bonnes raisons laissent penser qu’une escalade incontrôlée des tensions commerciales actuelles sera évitée:

1. Les téléphones mobiles et les ordinateurs constituent la majeure partie des importations américaines en provenance de Chine. Des droits de douane sur ces articles équivaudraient presque sans exception à des impôts pour les consommateurs américains. C’est pourquoi la possible introduction de telles taxes sur ces produits intermédiaires a déclenché une levée de boucliers au sein du lobby influent de la technologie aux États-Unis, car il en est dépendant. Le graphique 2 présente en détail la répartition des importations:

Sources: Credit Suisse

2. Les entreprises américaines ont investi plus de cinq fois plus en Chine que celle-ci aux États-Unis. Si, soudainement, la république populaire ne pouvait plus y introduire ses produits intermédiaires sans payer de droits de douane, les entreprises américaines auraient nettement plus à y perdre que les siennes.

3. Les États agricoles votent à droite. Ce n’est pas un hasard si l’UE et la Chine, aujourd’hui comme en 2003, relèvent en premier lieu les droits de douane grevant les exportations américaines de produits agricoles, car les Républicains qui gouvernent le «cœur» rural des États-Unis ne peuvent guère s’en réjouir. Leurs voix, qui appellent Washington à la modération dans le différend commercial naissant, comptent parmi les plus influentes.

4. «Aboyer au lieu de mordre». Les États-Unis entendent réduire d’environ 100 milliards de dollars leur déficit commercial avec la Chine, qui s’élève actuellement à quelque 370 milliards. Pourtant, les importations grevées de nouveaux droits de douane correspondent à 50 milliards «seulement», soit 2,7% environ de l’ensemble des échanges de marchandises entre les deux pays. Cela explique pourquoi le risque de glissement d’une guerre «froide» vers une guerre «chaude» doit certes être pris en compte, bien qu’une telle évolution ne soit pas souhaitée. Le ministre américain des finances, Steven Mnuchin, a souligné à nouveau, lors du dernier sommet du G20, que les États-Unis soutenaient le libre-échange et l’Organisation mondiale du commerce. Ce faisant, il a clairement expliqué que son pays recherchait avant tout des échanges «équitables» et réciproques, et certainement pas un retour au protectionnisme, qui n’est dans l’intérêt de personne. Ce n’est probablement pas un hasard si son ministère n’a pas, jusqu’ici, qualifié la Chine de «manipulatrice des taux de change», une menace proférée pendant la campagne électorale américaine.

5. Les États-Unis souhaitent renégocier l’Accord de Libre-Échange Nord-Américain (ALÉNA) mais pas le quitter. S’ils avaient voulu se libérer de cet accord, ils auraient pu le faire à tout moment au moyen d’un décret présidentiel. Mais une telle démarche ne semble visiblement pas être dans l’intérêt de la Maison Blanche. En revanche, il faut craindre davantage que le gouvernement américain sorte de la zone de libre-échange pour pouvoir négocier dans de meilleures conditions, de son point de vue.

6. La Chine vise une désescalade. Les premières mesures de rétorsion de Pékin portent uniquement sur des importations d’un montant de trois milliards de dollars, ce qui est relativement modeste mais revêt une valeur symbolique. Elles indiquent clairement que la Chine est consciente de ses atouts mais qu’elle ne souhaite pas les abattre pour l’instant. Sur le plan diplomatique, Pékin mise sur la tactique de «la carotte et du bâton»:

a. «Carotte»: la Chine a conclu avec les États-Unis en novembre dernier des achats de produits américains à hauteur de 250 milliards de dollars. Les deux pays ont également convenu d’une ouverture des marchés chinois aux entreprises américaines. En cas de rapprochement, la Chine pourrait accélérer la mise en œuvre de ces mesures.
b. «Bâton»: en cas d’escalade non souhaitée, la Chine a dans sa manche nettement plus de possibilités qu’elle n’en a exploitées jusqu’ici. Elle finance 8% de la dette publique des États-Unis, elle pourrait rendre la vie dure aux entreprises américaines en introduisant de nouvelles réglementations, et elle possède d’importants atouts géopolitiques, notamment en ce qui concerne une solution aux relations tendues entre les États-Unis et la Corée du Nord.

7. Les intérêts chinois en matière de politique économique ont changé.

Sources: Credit Suisse

Ces dix dernières années, la république populaire a déjà réduit l’excédent de sa balance commerciale de 10% à moins de 2% de son propre produit économique. Alors qu’auparavant, elle misait avant tout sur les exportations, elle encourage aujourd’hui la consommation et les importations de capitaux.

8. Des conseillers économiques «modérés». Larry Kudlow, ex-économiste en chef de Bear Stearns et journaliste économique de la presse télévisée, compte parmi les champions du libre-échange au sein de l’administration américaine. Guo Shuqing, son homologue chinois, qui a bénéficié d’une formation anglo-saxonne, est considéré comme un défenseur pragmatique d’une position modérée.

9. Les barrières commerciales concernent les biens, pas les services. Les biens représentent 80% du commerce international, mais seulement 12%de la performance économique mondiale. Or il se trouve que les services, les piliers de cette dernière, ne sont pas affectés par le différend commercial.

10. La coopération a remporté la victoire sur la confrontation en 2003 également. Cette année-là, lorsque George W. Bush a introduit des droits de douane sur l’acier et l’aluminium, son administration a été surprise par la violente réaction des marchés boursiers, des partenaires commerciaux, de l’Organisation mondiale du commerce, ainsi que des groupes lobbyistes américains, souvent républicains. C’est notamment grâce à cette riposte qu’une guerre «chaude» a été évitée, et que la conjoncture et les marchés des actions ont pu se redresser.

En résumé: nous restons fidèles à notre stratégie de placement à moyen terme. Notre surpondération des actions, notamment des titres des pays émergents et de la zone euro, nous a permis de très bien surmonter les récents orages boursiers. La rigueur, la diversification et l’expérience mises en œuvre dans notre processus de placement restent les meilleurs atouts pour profiter de l’éveil du printemps, avec un mandat de gestion de fortune également.

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