Jouer la guerre commerciale sur la dette émergente en monnaies locales

Carl Vermassen & Thierry Larose, Vontobel Asset Management

2 minutes de lecture

La sélection adéquate des devises offre des rendements intéressants sur la dette émergente en devises locales.

© Keystone

Depuis le début du conflit commercial avec la Chine, les marchés émergents sont à la merci des «tweets» de Donald Trump et ce sont les actifs en monnaies locales qui ont le plus souffert de cette situation. Les investisseurs ont réduit leurs expositions à ces actifs, cherchant à se repositionner sur ceux qui étaient susceptibles de bénéficier des frictions commerciales. Mais les véritables «gagnants» sont difficiles à identifier.

Investir avec succès dans la dette émergente en monnaies locales ne peut se limiter à éviter le risque de change. Il convient de se positionner correctement sur la courbe des taux de manière à pouvoir tirer parti des mesures de politique monétaire qu'un pays est susceptible de mettre en œuvre pour réduire l’impact de la hausse des droits de douane.

Les tarifs imposés de façon unilatérale ne fonctionnent pas

Si l’on en croit les manuels d’économie, les barrières douanières sont généralement peu efficaces. À long terme, le protectionnisme nuit à ceux qu'il est censé protéger parce qu’il ralentit la croissance économique, pousse les prix à la hausse et, par conséquent, diminue le pouvoir d'achat.  

Les restrictions commerciales font l’objet d’un consensus
entre les différents pays, même s’il n’est pas optimal sur le plan économique.

Sur le terrain, les choses sont cependant souvent plus complexes. Par exemple, un pays peut souhaiter protéger ses industries naissantes ou nationales contre le dumping pratiqué par d'autres pays. De plus, chaque pays a ses propres «lignes rouges» qui vont de l'exception culturelle française au riz japonais en passant par le bœuf suisse. Dans tous ces cas, les restrictions commerciales font l’objet d’un consensus entre les différents pays, même s’il n’est pas optimal sur le plan économique.

Une deuxième raison à l’échec fréquent de la mise en place des barrières douanières imposées de manière unilatérale et pour des motifs politiques, tient au comportement des marchés financiers. Prenons l’exemple du Mexique: le 31 mai dernier, Donald Trump annonçait par un tweet sa volonté d’imposer un droit de douane de 5% (voire davantage) sur toutes les exportations mexicaines jusqu'à ce qu'il obtienne satisfaction sur la limitation des flux migratoires du Mexique vers les Etats-Unis. La réaction quasi immédiate du marché a été une dépréciation de 3% de la devise mexicaine. Ce mouvement a donc presque annulé l'effet tarifaire qui visait à rendre les exportations mexicaines plus onéreuses!

Jouer le risque de change contre la duration

Même si la politique commerciale du président américain peut être considérée comme transitoire et dans l’ensemble vouée à l’échec, il n’en reste pas moins vrai que, sur le court terme, elle induit des mouvements violents sur les marchés émergents. Cette réalité ne peut être ignorée, si bien que de nombreux investisseurs se sont retirés des marchés en attendant que la situation se stabilise. Une telle approche est sous-optimale puisqu’elle implique de renoncer aux opportunités de rendements très intéressants qu’offrent les marchés de la dette émergente en devises locales.

Les marchés frontières sont généralement moins touchés
par les problèmes tarifaires que les grands marchés émergents.

Les craintes vis-à-vis des fluctuations de change font souvent oublier aux investisseurs les gains qui peuvent être obtenus grâce à un positionnement optimisé sur la courbe des taux. Lorsqu’un pays est menacé d’une hausse des droits de douanes, il cherche en général à amortir le choc par le biais de sa politique monétaire: il réduit ses taux d’intérêt et accepte une légère dépréciation de sa devise. Pour compenser cette dernière, il s’agit donc de se positionner sur la courbe des taux de manière à maximiser la sensibilité des obligations aux variations de taux.

En mai dernier, les tweets menaçant d’augmenter les droits de douane suite à l’échec des négociations avec la Chine ainsi que l’incapacité apparente du Mexique à limiter l’immigration illégale, ont eu pour conséquence la dépréciation quasi généralisée des devises émergentes. A l’inverse, les obligations ont presque toutes réagi positivement. Aussi, lorsqu’on additionne les performances des facteurs change et duration, le mois de mai s’est avéré positif avec un rendement moyen compris entre 0,1 et 0,8% selon l’indice retenu (cf. graphique).

Autre facteur fréquemment négligé, les marchés frontières sont généralement moins touchés par les problèmes tarifaires que les grands marchés émergents. Même un Donald Trump sera peu enclin à chercher la bagarre avec la Namibie, le Kenya ou le Sri Lanka. Par conséquent, les marchés de ce type sont beaucoup moins affectés par les revirements des investisseurs face au risque.

Il importe enfin de ne pas se laisser aveugler par la volatilité à court terme. Car en dépit de fluctuations de change qui peuvent être violentes, le profil risque/rendement de la dette émergente en monnaies locales reste très intéressant. Pour bénéficier de ce gisement de performance, il n’existe qu’une seule solution: rester investi, envers et contre tout, sur ces devises.  

Le rendement des obligations compense les pertes de change

Performances des indices (du 30 avril 2019 au 31 mai 2019)

Performance totale / Performance devises (nominale + portage) / Rendement obligataire

A lire aussi...