Incertitudes à l’italienne

Alan Mudie, Société Générale Private Banking

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Il est surprenant de constater que les actions italiennes continuent de surperformer les indices boursiers mondiaux depuis le début de l’année.

 

Les élections législatives italiennes de mars dernier ont vu un bouleversement radical du paysage politique, les partis qui ont dominé le gouvernement ces dernières décennies, notamment Forza Italia (centre-droit) et le Partito Democratico (centre-gauche), ayant été relégués au deuxième plan.

De tous les scénarii évoqués avant le scrutin, la domination par les forces eurosceptiques était le plus redouté par les investisseurs. Or ce sont les leaders des deux partis en question – La Lega (droite nationaliste, très populaire dans le nord industriel) et le Mouvement 5 Etoiles (M5S – populistes «anti-establishment», dont la base électorale se situe dans le sud défavorisé) – qui sont en train de tenter de former un gouvernement de coalition.

«Les politiques esquissées dans les deux manifestes
pourraient coûter 100 milliards d’euros, soit environ 5,5% du PIB.»

Il est donc surprenant de constater que les actions italiennes (malgré la baisse de ces derniers jours) continuent de surperformer les indices boursiers mondiaux depuis le début de l’année. Et que l’élargissement de l’écart de rendement des obligations d’état italiennes par rapport à celles de l’Allemagne ait été relativement contenu. Certes, cet écart est passé de 114 à 175 points de base (pb) en quelques semaines, mais ce niveau n’est que marginalement supérieur à la moyenne de 171pb enregistrée l’an dernier, et ce malgré l’évocation – aujourd’hui abandonnée – par les deux partis antisystème d’une annulation de dette à hauteur de 250 milliards d’euros.

Comment expliquer la relative sérénité des investisseurs? Est-elle justifiée?

Les programmes présentés par ces forces politiques que tout semble opposer sont effectivement de conception radicalement différente. D’après des comparaisons effectuées à la demande du M5S, le seul véritable point de convergence serait leur volonté d’offrir une politique de changement. Tant que ce changement ne sera pas mieux défini, difficile d’en faire un programme commun. Et les politiques esquissées dans les deux manifestes (revenu universel pour aider les plus démunis, impôt forfaitaire de 15% sur les bénéfices, retour en arrière sur la réforme des retraites) pourraient coûter 100 milliards d’euros, soit environ 5,5% du PIB.

«Ces dernières décennies ont démontré que le système politique italien
rend la mise en œuvre de réformes très aléatoire.»

Toutefois, ces dernières décennies ont démontré que le système politique italien rend la mise en œuvre de réformes très aléatoire. D’autre part, l’article 81 de la Constitution de 2012 dote le Président d’un droit de véto si l’équilibre budgétaire est menacé. Par ailleurs, les règles européennes de discipline budgétaire représentent une contrainte forte. Enfin, il y a la vigilance des marchés financiers: une hausse importante des rendements obligataires rendrait très difficile le financement de la dette italienne, parmi les plus importantes en Europe à 132% du PIB.

Par ailleurs, les deux partis sont plus habitués à l’opposition qu’à l’exercice du pouvoir, rendant difficile la recherche d’un terrain d’entente. Les négociations pour nommer un premier ministre issu de leurs rangs ont échoué et c’est finalement le néophyte Giuseppe Conte qui est proposé à l’approbation du Président Matterella. Si cette candidature est refusée, ce dernier sera peut-être tenté de nommer un gouvernement «technocrate», sinon d’appeler de nouvelles élections cet été.

En conclusion, les problèmes structurels de l’Italie restent intacts (immobilisme politique, poids écrasant de la dette, fragilité des banques, déclin démographique et faiblesse du potentiel de croissance). Toutefois, la reprise économique en cours en zone euro a permis à l’Italie d’afficher un rebond du PIB, un recul du chômage, un surplus de la balance des paiements ainsi qu’une balance primaire budgétaire positive. Et la Banque centrale européenne devrait poursuivre son programme d’achat de titres tout au long de cette année, ce qui contribue à maintenir les taux très bas en zone euro. Si la vigilance envers la situation politique en Italie reste de mise compte tenu des éléments ci-dessus, notre scénario central reste la poursuite d’un niveau de croissance au-dessus du potentiel, en zone euro et en Italie, cette année et l’année prochaine.

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