Haut rendement européen: le point sur la stratégie

Roman Gaiser, Columbia Threadneedle Investments

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Les obligations d’entreprises déchues de leur statut Investment Grade méritent qu’on y regarde de plus près.

Le marché du crédit high yield européen (HYE) a enregistré des performances largement négatives et les spreads se sont sensiblement creusés au cours du premier trimestre, mais les valorisations du marché sont désormais bien plus intéressantes qu'en début d'année. Nous avions positionné les portefeuilles HYE de manière prudente début 2020. A mesure que nous analysons les valorisations et la réaction des politiques publiques face au COVID-19, nous maintenons ce positionnement prudent, tout en cherchant à nous positionner sur des titres de meilleure qualité et à renforcer notre exposition à des obligations qui nous paraissaient chères auparavant, mais dont le prix est devenu attractif.

Revue de marché pour le T1

La probabilité d'une récession économique dans de nombreux marchés développés dans le sillage des fermetures économiques et mesures de confinement liées au COVID-19 s’est traduite par un regain d'aversion au risque et des marchés moins liquides, avec à la clé une hausse considérable des rendements et des spreads de crédit, jusqu'à des niveaux inédits depuis 2011-2012.

Les performances hétérogènes des marchés attestent d’une dislocation. Les spreads se sont particulièrement creusés sur le marché du haut rendement en dollars, où ils se sont accrus de plus de 600 pb pour s'établir à un pic de presque 1100 pb. Lorsque le marché est entré dans une phase uniformément baissière, nous avons souvent constaté que les meilleures signatures étaient vendues davantage que les titres de moindre qualité, car ces ventes étaient largement dictées par la liquidité des obligations en question. Ce mouvement a contribué à accélérer le repli des prix des obligations, les ETF voyant la chute de leur valeur nette d'inventaire (VNI) aller parfois jusqu'à 8%.

Cet environnement s'est caractérisé par la prédominance des vendeurs, alors que les achats réels étaient souvent conclus à des prix inférieurs aux cours officiels. La négociation a été possible, mais non sans prime de liquidité. Parallèlement, quelle que soit la taille des transactions, toutes ont été rendues difficiles par des temps d'exécution beaucoup plus longs que dans des conditions normales. Cette problématique n'a pas concerné uniquement le haut rendement: il en a été de même sur le marché investment grade, en particulier au niveau des titres à courte échéance.

Sur le plan sectoriel, les segments plus cycliques comme l'automobile, l'énergie, le transport et les loisirs ainsi que les détaillants hors alimentation ont été particulièrement affectés. Les moins sensibles au cycle économique, tels que la santé, les services aux collectivités et les télécommunications, ont pour leur part enregistré de relativement meilleures performances. Malgré la liquidité toujours restreinte du marché et les dislocations continues de l'activité de négociation, quelques améliorations ont pu être observées fin mars. Avec le soutien affiché des banques centrales comme la Banque centrale européenne, la Banque d'Angleterre et la Réserve fédérale américaine, ainsi que la relance budgétaire massive lancée par les gouvernements, la situation a connu un mieux et la liquidité des titres de meilleure qualité s'est accrue. Adoptant un comportement plus rationnel, le marché a commencé à distinguer les titres de plus grande qualité, plus défensifs, des obligations plus cycliques et plus affaiblies, au détriment de ces dernières.

Certains signes indiquent également que les titres de meilleure qualité retrouvent plus facilement un mode de négociation bilatéral. Il est aujourd'hui relativement plus facile de vendre, bien que l'achat demeure plus compliqué, certains titres s'étant quelque peu appréciés. En revanche, la vente des titres plus cycliques ou plus affaiblis demeure très difficile. L'activité du marché primaire s'est interrompue, à la différence de ce qui s'est produit sur le segment investment grade.

Nous nous situons toujours dans cette deuxième phase d'amélioration relative du marché et nous observons d'importantes dispersions entre les niveaux de qualité des titres: les obligations de bonne qualité présentent une prime significative, tandis que celles de moindre qualité se négocient bien moins cher, voire avec une forte décote.

Activité et perspectives

Les spreads du haut rendement européen se situent désormais à quelque 0,6 écarts types de la moyenne à long terme (20 ans), contre un niveau proche de zéro fin 2019.

Les importantes mesures annoncées en matière de politique monétaire et budgétaire permettront d'atténuer l'impact des interruptions majeures (quoique temporaires) qui paralysent la production économique et l'emploi. Plus précisément, une grande partie de ces mesures visent à maintenir les possibilités de crédit ouvertes. Les décideurs politiques souhaitent éviter un choc économique qui se muerait en crise financière. Des mesures telles que les achats directs d'obligations d'entreprises IG par la Réserve fédérale américaine sont pensées pour les spreads de crédit et doivent aider à stabiliser le marché obligataire en général, ce qui commence d'ailleurs à porter ses fruits.

Les agences de notation de crédit ont réagi rapidement, et le spectre de possibles nouvelles dégradations hantera le marché durant les mois à venir. On entend beaucoup parler des «Anges déchus» ces derniers temps. Depuis le début de l'année, quelque 30 milliards EUR et 3,5 milliards GBP d'obligations sont déjà tombés dans la catégorie des Anges déchus en Europe, soit plus que le total cumulé de 2018 et 2019, ou près de 10% de l'encours de crédit du haut rendement européen. Les rétrogradations de notations de crédit s'accélèrent à mesure que les ramifications du choc du COVID-19 s'étendent, et partout dans le monde, les gouvernements s'empressent de mettre en oeuvre des politiques budgétaires et monétaires pour endiguer cette détérioration.

Dans son tout dernier communiqué, JP Morgan estime que 100 milliards EUR d'obligations, soit 4,3% de l'univers investment grade, pourraient rejoindre le segment du haut rendement européen. Ce dernier représentant actuellement 350 milliards EUR de notionnel et 300 milliards EUR de valeur de marché, un tel scénario pourrait augmenter sa taille de quasiment 30%, créant un risque d'encombrement des nouvelles émissions sur un univers de taille somme toute assez réduite. L'impact des rétrogradations peut s'observer actuellement, par exemple avec Ford. Les répercussions sont vastes et devraient durer. Un nombre important de ces nouveaux Anges déchus dispose de fondamentaux relativement robustes et pourrait représenter des opportunités d'investissement. En bref, nous estimons actuellement que les spreads offrent une rémunération généreuse face à la montée du risque de crédit.

Depuis le début de l'année, notre stratégie HYE maintient un positionnement défensif, caractérisé par une légère sous-pondération du bêta du marché (tout en conservant un certain niveau de liquidités) et par une sous-exposition aux secteurs cycliques comme l'automobile, les transports et les industries de base, ainsi que par la surpondération de la santé (avec notamment IQVIA), de la technologie (SFR et Netflix), des médias et des services financiers.

Début 2020, l'un de nos thèmes d'investissement consistait à privilégier les titres de qualité, et nous tenons à garder ce point de vue. Les titres de moindre qualité devraient être pénalisés par une hausse des taux de défaut dans les secteurs cycliques, notamment s'ils entretiennent des liens avec les cours du pétrole brut et le confinement mondial (par exemple l'énergie, les transports et l'automobile). Compte tenu des dislocations du marché, nous cherchons autant que possible à rehausser la qualité de crédit globale de la stratégie en privilégiant des titres bien notés, en particulier BB et senior.

Nous cherchons également à inclure certains Anges déchus et des obligations mieux notées à la suite de l'effondrement récent des prix, dans le sillage des ventes pêle-mêle intervenues en mars. Il nous semble que les rendements potentiels compensent bien le risque d'investissement. Aux niveaux de spreads actuels, la rémunération offerte par les marchés aux investisseurs est notamment plusieurs fois égale aux niveaux observés lorsque les taux de défaut atteignaient des plus hauts historiques.

Synthèse de la performance

De façon générale, notre stratégie HYE s'est bien comportée au premier trimestre 2020, pour les raisons exposées ci-dessus.

 

Remarque: toutes les données proviennent de Bloomberg et s'entendent au 31 mars 2020, sauf indication contraire.

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