Guerre commerciale: premiers vainqueurs, premières victimes

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

2 minutes de lecture

La politique douanière américaine se fait sentir. Le paysage productif et commercial de la région Asie-Pacifique se recompose.

Les premiers rounds tarifaires entre les Etats-Unis et la Chine semblent bien avoir tourné à l’avantage des premiers. Depuis le début de l’année, l’indice de la bourse de Shanghai a perdu plus de 20%. La devise, sous pression, a reculé de près de 7%; un repli contenu par l’intervention des autorités chinoises. Ces tensions reflètent les interrogations des investisseurs sur la solidité de la croissance du pays dont le niveau d’endettement n’a cessé de progresser ces dernières années. D’autant que dans cette partie, la Chine ne trouve pas forcément tout l’écho ni le soutien qu’elle souhaiterait. Il faut dire que malgré les proclamations de son Président, les pratiques commerciales de la Chine ont soulevé des griefs largement partagés par tous ses partenaires commerciaux. Et c’est un euphémisme de dire que sa crédibilité, en ce domaine, est plus que discutable.

Ces tensions coïncident aussi avec la remise en question par certains pays partenaires de la politique de déploiement de la «Route de la Soie» chinoise, consistant à semer des «perles» portuaires, et à construire des infrastructures qui s’avèrent au final très coûteuses pour les pays récipiendaires, du fait des emprunts qu’ils doivent contracter pour financer ces opérations. Ceux-ci - Sri Lanka, Pakistan et Malaisie entre autres – dénoncent désormais les conditions léonines de ces accords.

A court terme, les pays de l’ASEAN profitent d’une
accélération de la délocalisation de certaines productions.

Sur le plan économique, la Chine se sent menacée car elle exporte cinq fois plus de produits vers les Etats-Unis qu’elle n’en importe. Elle est encore  technologiquement dépendante des Etats-Unis dans certains secteurs, notamment celui des hautes technologies, désormais déclarées sensibles. Ces dernières années ont été marquées par la hausse constante des salaires dans le pays, amorçant une recomposition du paysage productif, au profit de zones économiques à coûts plus réduits, en Asie mais également en Europe de l’Est par exemple. La hausse des tarifs douaniers américains, loin d’être compensée par la baisse des changes, devrait donc accélérer ce processus de délocalisation.

Ces sanctions mettront-elles à mal la montée en gamme de l’industrie chinoise? C’est peu probable à long terme. A court terme en revanche, les pays de l’ASEAN tels que le Cambodge, profitent d’une accélération de la délocalisation de certaines productions – notamment textiles. D’autres –Taiwan, Corée du Sud – pourraient voir certains de leurs grands groupes revenir au bercail.

En Chine même, cette contrainte extérieure pourrait permettre un regroupement et une concentration de certains secteurs d’activité. Il semble que de grands groupes publics soient en mesure de profiter de la fragilisation d'entreprises privées plus petites pour les racheter et renforcer ainsi leur position mais aussi le contrôle sur l’économie.

La Corée du  Sud vient d’accepter de revoir son
accord commercial. Le Japon est entré en négociation.

Dans ce contexte tendu, la Chine semble bien avoir jusqu’ici «retenu ses coups».  Les produits agricoles américains sont les plus touchés, tandis que certains compartiments de l’électronique ont été épargnés. La Chine pourrait aussi activer un plan de relance intérieur. Dans ce cas, certains pays de la région comme l’Australie espèrent bénéficier d’un regain d’activité qui stimulerait leurs exportations vers la Chine. Au-delà, les grands exportateurs agricoles – le Brésil pour n’en citer qu’un – pourraient profiter d’une réorientation de la demande chinoise.

La Chine n’est pas la seule visée dans la région. La Corée du  Sud vient d’accepter de revoir son accord commercial avec les Etats-Unis, portant notamment sur le secteur automobile. Le Japon de son côté est entré en négociation. Si le Premier Ministre Abe accepte le principe d’un accord commercial bilatéral, il s’attache toujours à protéger le secteur agricole du pays et n’entend pas aller au-delà des conditions du traité Trans Pacifique, dont les Etats-Unis se sont retirés.

Plus généralement, les gagnants seront bien ceux qui, à court terme, pourront passer la plus grande partie des hausses tarifaires dans leurs prix finaux et, à moyen terme, ceux qui pourront reconstruire leurs chaînes de production. En attendant, ce sont les consommateurs qui paieront tout ou partie de la note.

A lire aussi...