Gestion quantitative: la place de l’humain

Salima Barragan

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Selon Jérôme Paganini de SILEX, l'homme doit rester au centre des processus.

 

Lors de l’apparition de la gestion quantitative, les gestionnaires d’actifs y étaient réticents. Par peur d'être dépossédés de leurs compétences par des ordinateurs ou par peur d’une dépréciation de la valeur de l’humain dans les décisions d’investissement. Nous avions découvert, lors d’un précédent article dédié à notre série sur le sujet, qu’une convergence entre les deux approches (quantitative et fondamentale) est possible et créerait des synergies. Avec Jérôme Paganini, Partner chez Silex, nous verrons que les processus quantitatifs ne déshumaniseront pas la gestion du futur.

Qui sont ces «data scientists», qui travaillent sur les plateformes quantitatives?

Les data scientists sont des professionnels responsables de collecter, d’analyser et d’interpréter de larges quantités de données. Dans notre centre de Recherche et Développement, ils ont pour la plupart des backgrounds d’ingénieurs avec des spécialisations dans le data mining et le machine learning. Ils sont capables de coder dans les langages informatiques les plus sophistiqués comme R, Python et C++. Ces chercheurs ont le rôle essentiel de construire et d'alimenter nos bases de données propriétaires. Ils vont donc recueillir une grande quantité de données (plusieurs millions par jour), les harmoniser, mais aussi les vérifier pour en faire la Golden Copy fiable et robuste qu’ils rendront disponible dans notre plateforme digitale SPARK. C’est sur cette base très puissante, monitorée par nos équipes que nous pouvons construire nos modèles d’allocation et de gestion sur toutes les classes d’actifs.Dans un métier parfois énigmatique et difficile à définir, les data scientists sont désormais devenus omniprésents et permettent à nos ingénieurs quantitatifs et à nos chercheurs de disposer d’une palette de données extrêmement large et robuste afin de déployer leurs algorithmes et mettre en œuvre le fruit de leurs recherches.

Sans l’implication humaine, ces outils d’analyses et ces modèles
d’optimisation nous semblent incomplets.
Quelles sont les failles actuelles de la gestion systématique?

Avant de parler de ses failles, il est important de comprendre que la gestion systématique désigne un ensemble d’approches souvent très hétérogènes. Le niveau d’implication des algorithmes peut varier de la délégation totale à leur usage en tant qu’outils d’aide à la prise de décision. De même, la sophistication et la robustesse des technologies mises en œuvre sont souvent disparates avec un effet significatif sur la qualité des approches. Dans une période où le mot fintech est dans toutes les bouches, un vrai avantage technologique est souvent couteux et long à déployer. Nous sommes prudents sur l’approche qui consiste à déléguer totalement les prises de décisions à des algorithmes aussi bien construits soient-ils. Il est en effet rare de voir ce type de modèles capables de débrayer quand ils se trompent de manière significative. Pour nous, la gestion systématique et le recours aux modèles mathématiques servent avant tout à pouvoir analyser un plus grand nombre de données de manière plus fine, pertinente et sans biais cognitif. La gestion «quantamentale» que nous mettons en œuvre associe recherche fondamentale et recherche quantitative. Notre approche analyse de manière systématique des données fondamentales permettant ainsi une très large et profonde couverture de nos univers d’investissements avec des données robustes et harmonisées. Cependant, sans l’implication humaine, ces outils d’analyses et ces modèles d’optimisation nous semblent incomplets.

Pourquoi l'humain doit-il conserver sa place au cœur des processus?

Une bonne manière de créer de la valeur en gestion d’actifs est de combiner données fondamentales, expertises humaines et technologie. Ainsi, on peut amener robustesse et consistance dans les processus de gestion. Nous prenons nos distances avec le dogme quantitatif et gardons l’humain au centre de notre processus. Ce sont nos ingénieurs qui vont définir les postulats de base de nos algorithmes, ce sont encore nos analystes qui vont définir les meilleures métriques d’évaluation d’un titre dans un secteur précis et ce sont nos gérants qui passeront à la loupe un portefeuille optimisé par notre plateforme afin de procéder à un «sanity check» que les machines ne peuvent pas faire. Appréhender les limites de la gestion systématique, c’est en éviter certains écueils. L’humain est, et restera, éclairé par la technologie, le pilote de notre gestion en étant intégré à chaque étape de notre processus quantamental: de la définition de l’univers d’investissement à la sélection de titres en passant par la validation d’un portefeuille optimisé.

 Comment avez-vous intégré ce facteur dans vos processus?

C’est la technologie qui nous permet d’intégrer l’humain à chaque étape de notre processus. En effet, notre plateforme digitale de construction et d’optimisation de portefeuille fournit à nos gérants, des outils d’aide à la prise de décision très puissants. Notre technologie libère ainsi le gérant afin qu’il puisse se concentrer là où il est générateur de valeur. Prenons le cas de l’un de nos modules, le «stockallocator». Cet outil, permet à nos gérants de définir un univers de titres afin de mettre en avant une thématique par exemple sectorielle ou encore factorielle. Notre plateforme digitale lui permettra de rapidement définir un univers et de composer un portefeuille sous contraintes. C’est ensuite qu’il pourra discriminer son univers, inclure d’autres titres ou influencer la taille des positions. De même, lorsque nous parlons de gestion cross-asset, notre plateforme nous permet d’intégrer les rendements attendus dans les allocations d’actifs afin de vérifier que les portefeuilles soient construits de manière cohérente et robuste. La théorie de Markovitz, souvent complexe à appliquer dans tous les détails de modélisation, bénéficie désormais de l’apport de solutions technologiques afin de mieux appliquer la théorie moderne du portefeuille. L’ADN de notre approche réside dans la volonté de construire les portefeuilles les plus robustes et stables possibles en gérant les risques préalablement définis.

Pour vous, quel sera le futur de la gestion quantitative?

Dans un proche futur, la gestion quantitative et de manière plus générale, l’approche quantitative en asset management vont prendre une place de plus en plus importante. Nous allons naturellement sous-traiter aux algorithmes les fonctions pour lesquelles l’humain n’a pas d’avantage comparatif. Il s’agira ici, de traiter un nombre croissant de données brutes, de réduire les bruits, d’identifier des tendances dans un monde où la multiplication des données va imposer l’usage des modèles mathématiques. L’homme, quant à lui, devra se concentrer sur les tâches où il apporte de la valeur dans un environnement où le support technologique pourrait être vecteur de complexité. En effet, dans ces interactions, hommes – modèles, hommes – machines, de nombreux progrès restent à faire. Après avoir énormément travaillé sur nos modèles mathématiques, nous travaillons désormais de manière intensive sur l’ergonomie de notre plateforme digitale. Sans simplicité et intuitivité, la technologie demeure peu efficace. Il est donc essentiel de simplifier les processus et de rendre intelligible les modèles afin que leurs utilisateurs en aient une bonne appréhension et que leur utilisation soit didactique. Le futur de la gestion quantitative est certainement d’accompagner l’humain et de se mettre à sa disposition de manière innovante et simple. La gestion quantitative passera donc par une phase d’expansion qui ne pourra durer que grâce à sa simplification et son accès facilité. C’est la technologie qui rendra la gestion quantitative omniprésente, accessible, et transparente.

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