G7 et Jackson Hole: attentes limitées et prudence

Gilles Prince, Edmond de Rothschild (Suisse)

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Les risques tant économiques que politiques sont accrus et l’allocation tactique des portefeuilles se doit de refléter cette situation.

Le traditionnel symposium économique de Jackson Hole dans le Wyoming a eu lieu ce weekend avec pour sujet principal «Les Défis pour la Politique Monétaire». Le discours de J. Powell était très attendu par les marchés, sachant qu’historiquement de nombreuses annonces ont été faites à cette occasion et que les anticipations d’accommodation supplémentaire de la Fed étaient, et restent grandes. Pas de grandes annonces cette fois-ci pourtant. J. Powell est resté prudent en soulignant la difficulté de définir la politique monétaire dans un tel climat d’incertitude. Il a néanmoins laissé la porte ouverte à plus d’accommodation sans s’engager toutefois sur des mesures concrètes. L’économie se porte bien, mais les défis sont importants, a-t-il dit en substance. La réaction des marchés financiers dans les minutes qui ont suivi son discours a été positive, partant du fait que plus de souplesse monétaire est possible et que la santé de l’économie américaine n’est pas si préoccupante... 

Mais l’optimisme initial des investisseurs aura été de très courte durée, une nouvelle escalade de la guerre commerciale ayant été annoncée. La Chine a en effet annoncé la réintroduction des tarifs sur les importations d’automobiles ainsi que des tarifs sur les importations de soja, engendrant une réponse américaine quasi immédiate de relèvement des tarifs qui portent désormais sur la totalité des biens chinois. Cela aura eu raison des gains boursiers de ces derniers jours précipitant les marchés dans une baisse atteignant les -2.5% à la clôture de vendredi pour le S&P 500. Le taux d’intérêt à 10 ans a chuté de près de 15 points de base pour toucher les 1.51%, l’or a atteint les $1525 l’once vendredi soir et les monnaies de refuge comme le  franc suisse et le yen ont été très demandées. Le yuan chinois s’ajuste également en se dépréciant pour atteindre les 7.15 contre le dollar. Les marchés financiers sont donc repassés en mode «risk-off» en l’espace de quelques heures et quelques tweets, démontrant une fois plus le côté imprévisible des négociations commerciales. La volatilité des marchés reste élevée et la prudence est de mise.  

Les nouvelles encourageantes véhiculées par Donald Trump
au sujet des négociations commerciales avec la Chine sont caduques.

Au-delà de la sanction immédiate des marchés financiers, plusieurs points sont à relever. Tout d’abord, les nouvelles encourageantes véhiculées par Donald Trump au sujet des négociations commerciales avec la Chine sont caduques. En l’espace de quelques heures, nous sommes passé à une guerre commerciale totale faisant fi des négociations en cours. Les discussions redémarrées après le G20 d’Osaka sont donc en danger. Cela dit, Donald Trump nous a montré qu’il peut faire volte-face rapidement et pourrait donc maintenir le dialogue. A l’inverse, rien n’empêche les deux protagonistes d’instaurer d’autres augmentations de tarifs pour autant que les deux pays soient prêts à en payer le coût économique, à le faire payer au reste du monde et peut-être à en subir les conséquences politiques pour le président américain. La situation reste fluide, mais notre compréhension de la situation est que les tensions actuelles s’inscrivent dans la durée et vont au-delà des aspects commerciaux. 

Du point de vue macroéconomique, notre scénario du pire était l’application de tarifs douaniers sur l’intégralité des biens chinois. Nous prévoyions alors un ralentissement économique marqué, principalement en Chine, qui aurait eu le potentiel de précipiter la croissance économique mondiale en récession. Nous sommes aujourd’hui très proches de ce scénario si les tarifs annoncés devaient être appliqués tel quel. Le climat d’incertitude et les tarifs douaniers ont affecté les chaînes de production globales ainsi que les décisions d’investissement des entreprises. Ce sont des décisions de moyen long terme qui au vu des événements récents vont continuer de se développer. Jusqu’ici le moral des consommateurs n’a pas été affecté, ce qui a maintenu l’économie américaine à flot. Aujourd’hui, la question se pose d’un impact sur la consommation des ménages, puisque le nouveau cycle de tarifs affecte également les biens de consommation courante. Les marchés financiers seront donc particulièrement sensibles aux publications de données économiques en lien avec les dépenses des ménages. Le choc politique est devenu un choc économique. 

Les acteurs financiers renforcent leurs anticipations de récession.

En ce qui concerne les marchés, les acteurs financiers renforcent leurs anticipations de récession et maintiennent la pression à la baisse sur les taux d’intérêt longs et de facto sur la Fed. Dès lors, les attentes d’une réaction des banques centrales grandissent en les mettant dans la situation inconfortable de devoir agir pour ne pas décevoir. Si un assouplissement de la politique monétaire devrait apporter un soutien aux marchés, un manque de détermination pourrait laisser croire que la Fed en fait trop peu et trop tard. Elle pourrait donc être dans l’obligation d’agir de manière significative. En Europe, la BCE a indiqué qu’elle se tenait prête à agir pour contrer une situation économique plus compliquée, notamment en Allemagne. En Chine, la PBoC dispose de la marge de manœuvre nécessaire pour agir également. Des actions concomitantes sinon coordonnées pourraient fournir un plancher aux actifs financiers. Les réunions des banques centrales en septembre seront plus suivies que jamais. 

Finalement, et non des moindres, le G7 se réunit à Biarritz jusqu’à aujourd’hui lundi. Au-delà de discours d’intention, les dissensions ressenties entre les différents membres laissent peu d’espoir pour des décisions concrètes sur les sujets d’actualité comme le nucléaire iranien, les feux de forêt en Amazonie, ou sur la guerre commerciale. En bilatéral, des avancées sur quelques sujets spécifiques sont peut-être plus probables lors de ce sommet. Nos attentes sont toutefois limitées. Le climat d’apparence peu sereine dû aux nombreuses incertitudes et développements internationaux ne peut que soutenir la demande pour les actifs-refuge.   

En conclusion, les risques tant économiques que politiques sont accrus et l’allocation tactique des portefeuilles se doit de refléter cette situation. Les événements récents démontrent que notre positionnement prudent et diversifié est adapté. Nous avons en effet réduit l’allocation aux actions à deux reprises depuis la fin juillet et gardons nos protections optionnelles. Cela étant, beaucoup de bruits et volatilité entourent les fondamentaux macro- et micro-économiques, il est donc primordial de prendre du recul, de rester patient et d’appliquer notre scénario d’investissement. Notre comité d’investissement se réunit cette semaine pour discuter et adapter notre scénario d’investissement.

LA SITUATION ACTUELLE EN QUELQUES MOTS
  • Les marchés anticipent une politique monétaire plus accommodante de la part de la Fed d’ici à la fin de l’année pour contrer une économie en ralentissement souffrant des incertitudes politiques et économiques globales. Ainsi, les taux d’intérêt ont fortement baissé ces dernières semaines et la courbe de taux d’intérêt s’est inversée, faisant craindre une récession dans les mois qui viennent. Ces craintes sont renforcées par la récente escalade de la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis.
  • La croissance de l’économie américaine ralentit, les indicateurs avancés d’activité ont baissé principalement du côté manufacturier. L’investissement des entreprises et la production industrielle ralentissent, alors que l’inflation reste en dessous des objectifs de 2% et que les attentes d’inflation futures s’inscrivent en baisse marquée. D’un autre côté, les dépenses privées restent bien orientées et les indices de confiance des consommateurs sont proches de leur plus haut. Les salaires sont en croissance et le chômage au plus bas. Sur cette base, il nous apparaît difficile de prévoir une récession aux USA dans les mois qui viennent, même s’il est vrai que les incertitudes liées au commerce mondial augmentent.
  • Les incertitudes internationales politiques et économiques sont élevées. L’escalade des tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine ont un impact sur le climat des affaires, décisions d’investissement, chaînes de production et perspectives de croissance mondiale. Les perspectives de croissance européennes souffrent des tensions commerciales et l’activité commerciale ralentit à tel point que l’Allemagne flirte avec la récession. La situation politique en Italie, désormais sans Premier ministre, la probabilité plus forte d’un Brexit sans accord, ou les troubles publics à Hong Kong sont autant d’éléments qui participent au climat incertain. Ces éléments militent en faveur d’un assouplissement de la politique monétaire des banques centrales. 
  • Il apparaît dans les minutes du dernier FOMC que la décision de baisse de taux de 25bps à titre préventif n’était pas unanime. Les membres du comité étaient divisés quant à la nécessité d’un assouplissement au vu de la santé de l’économie américaine. Cela laisse supposer que la Fed n’est pas alignée sur les attentes du marché et pourrait décevoir. Le relèvement des tarifs pourrait laisser penser que la Fed en fait trop peu et trop tard. 
  • Les mouvements importants de ces derniers mois comme la baisse du taux 10 ans d’amplitude récessionniste ou la forte performance des indices boursiers ont rendu les investisseurs très attentistes à tout changement de politique de la Fed. Les récents commentaires hawkish des présidents de la Fed de Philadelphie et du Kansas City ont montré que les marchés restaient volatils et bel et bien vulnérables à un changement de ton. 
  • Donald Trump estime que la Fed n’est pas assez accommodante. Il s’est exprimé à maintes reprises sur le besoin d’abaisser les taux directeurs et a récemment estimé qu’une baisse de 100 bps était nécessaire. Il tient aussi la Fed responsable de l’inversion de la courbe et estime que l’institut fait un mauvais travail. Il met donc une forte pression sur la Fed remettant en question l’indépendance de celle-ci. Ses motivations sont toutefois essentiellement politiques, notamment en raison du besoin de levier supplémentaire dans la guerre commerciale avec la Chine et des élections à venir. 
  • La réunion du G7 a eu lieu à Biarritz. Un certain nombre de sujets étaient à l’agenda comme les développements économiques globaux, le commerce mondial ou le climat. Les sujets contentieux entre les états présents sont importants par exemple sur le dossier du nucléaire iranien, la guerre commerciale ou le Brexit. Beaucoup de sujets ont été discutés et les points de discorde étaient potentiellement nombreux. Au-delà des discours d’intention sur le nucléaire iranien, nous notons peu d’actions concrètes au moment d’écrire ces lignes.  
  • Boris Johnson a rencontré ses contreparties européennes au sujet du Brexit. Les dernières nouvelles laissent entendre que des discussions pourraient avoir lieu alors que l’Europe ne désirait pas entre en matière jusqu’ici. La probabilité d’un Brexit sans accord reste toutefois élevée.
  • La situation économique en ralentissement des pays du G7, en particulier en Europe et surtout en Allemagne sera un sujet de discussion important. Une politique fiscale allemande plus large pourrait en effet venir soutenir un secteur manufacturier en ralentissement. Ce serait surtout un message fort vers une plus grande souplesse fiscale notamment pour les états du sud de l’Europe. Des promesses de plus grands déficits budgétaires et dépenses en infrastructure pourraient être faites. 
  • Un autre sujet de discussion est le commerce mondial et les augmentations de tarifs douaniers demandés par les États-Unis et la Chine. L’impact économique ne doit pas être négligé et va au-delà de tweets contradictoires aux motivations éminemment politiques. La «tech tax» française reste un sujet de contentieux entre la France et les États-Unis.

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