Et si Trump avait raison?

Serge Ledermann, 1959 Advisors

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Sur quel modèle ce président et son administration se basent-t-ils? Apparemment aucun, c’est bien ce qui fait son originalité.

 

Tout d’abord, je déclare sans ambages que tout m’insupporte chez l’actuel président des Etats-Unis. Son personnage n’a rien de présidentiel, il démontre une absence totale d’exemplarité, de respect, d’humanisme et de vision. Bon nombre de ses initiatives sont guidées par des intérêts sectoriels et par le clientélisme, sans parler de la méthode qui est le plus souvent brutale. Son élection a toutefois suscité pas mal d’espoirs par les contours de son programme économique, appelé pompeusement «Trumponomics». De quoi s’agit-il au fond? Un résumé rapide décrit l’approche comme la combinaison de la réduction de la charge fiscale des entreprises et des particuliers, l’augmentation de la dépense publique dans les domaines de l’infrastructure (qui en a effectivement grand besoin) et de la défense, la suppression de nombreuses réglementations dans à peu près tous les secteurs et enfin la restructuration de l’ensemble des relations commerciales internationales. Cette approche colle parfaitement avec «America first» (et probablement de plus en plus «alone»), puisqu’elle entend inciter les entreprises américaines à repenser leurs circuits de production en rapatriant une partie importante des capacités aux Etats-Unis.

La longue période de croissance depuis le début
des années 1980 doit beaucoup à l’approche keynésienne.

Sur quel modèle ce président et son administration se basent-t-ils? Apparemment aucun, c’est bien ce qui fait son originalité, mais son plus grand risque aussi. Depuis les années 1960, les administrations successives se sont inspirées des approches keynésiennes (intervention pour influencer le cycle par la politique fiscale et/ou monétaire) ou l’école de Chicago (essentiellement monétariste et libérale). La longue période de croissance depuis le début des années 1980 doit beaucoup à l’approche keynésienne où le rôle de la banque centrale a été largement renforcé (tout en maintenant son indépendance). La plus grande dérive de ce modèle est selon toute vraisemblance la montée inexorable de l’endettement, à la fois carburant et poison de la croissance.

La réforme de l’imposition des entreprises et des particuliers était un chantier nécessaire, afin de corriger sa complexité, son inégalité et son intensité (en comparaison internationale). C’est chose faite, même si les points ci-dessus n’ont pas tous été adressés avec la même ferveur. L’effet semble être relativement rapide (comme attendu) sur la consommation et l’investissement. La question réside dans sa durabilité.

Les dépenses d’investissement des entreprises sont en reprise, et ceci malgré la phase très mature du cycle. Il faut dire que les entreprises américaines ont «sous-investi» pendant plus de deux décennies, et un rattrapage devenait nécessaire. Ainsi la combinaison du rapatriement de capitaux, de l’augmentation de la pression à produire aux Etats-Unis (fruit de la hausse des tarifs douaniers), de l’obsolescence de nombreuses capacités et des perspectives d’augmentation de la productivité donne du tonus à la croissance en créant de nouvelles opportunités d’emploi. Suffisamment de carburant dans le moteur économique pour permettre un prolongement d’un cycle déjà long dans sa durée!

Le président estime qu’il mérite
la meilleure note en économie.

Le problème est que l’économie américaine n’était pas à l’agonie au moment de ces nouvelles initiatives et qu’elle opère en plein-emploi en ce moment, d’où de réelles tensions sur les salaires. Pas étonnant que la Réserve Fédérale s’en émeuve et ajuste sa politique monétaire, ce qui ne manque pas d’irriter ce président qui voudrait tout contrôler. On retrouve ici les outils de pilotage classiques des écoles citées plus haut. Quand la politique fiscale devient très (trop?) expansive, c’est le rôle de la politique monétaire de mettre des freins. Les «anges gardiens des marchés obligataires» (bonds vigilantes) constituent un autre garde-fou quand la politique fiscale s’emballe (parlez-en au Italiens en ce moment!). Trop tôt pour savoir si les «Trumponomics» fonctionnent, mais le président estime qu’il mérite la meilleure note en économie, puisque son unité de mesure (l’indice des actions américaines) inscrivait, récemment encore, des plus hauts.

Mais ne nous laissons pas aveugler par les travers détestables de ce président et prenons un peu de recul… La relance de l’investissement productif et la «normalisation» de la pression fiscale sont certainement des points positifs, pour autant qu’ils permettent une amélioration de la productivité, une politique d’emploi plus robuste et un financement public raisonnable (grâce à une assiette fiscale plus large et plus équilibrée). Ces points seront mis à l’épreuve de la réalité du terrain dès l’an prochain déjà.

Dans l’immédiat, personne n’arrive à réellement quantifier les effets de la guerre tarifaire, jugeant que l’impact courant est assez faible. En ce moment, les regards se tournent vers les élections de «mid-terms» qui pourraient redessiner le paysage politique en faveur des démocrates et partant compliquer les desseins autocratiques du président. Enfin, les marchés boursiers se font à  nouveau des sueurs froides (comme souvent en octobre), un peu désarçonnés, semble-t-il, par la poursuite de la hausse des taux directeurs (pourtant tellement annoncée et attendue). Le risque à moyen terme est que le monde devienne encore moins stable et prévisible, que les grands pays choisissent des gouvernements plus dirigistes et que le commerce mondial se grippe pour de bon.

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