Entre macroéconomie stabilisée et soutien monétaire suffisant

Carmignac

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Le rebond des marchés depuis la mi-mars n’est rien d’autre que la continuation de la logique des marchés depuis dix ans, porté à la puissance 10.

Notre schéma pour comprendre le comportement des marchés à court terme pour l’instant se révèle pertinent. Les marchés rebondissent progressivement depuis leur point bas de la mi-mars. Lors des 7 derniers jours, les marchés étaient particulièrement bien orientés grâce non seulement à l’action continue des Etats, banques centrales et gouvernements, mais aussi à un discours globalement plus constructif sur la perspective d’un déconfinement progressif, permettant d’envisager un petit mieux économique. Il y a même eu un début de rotation sectorielle ces derniers jours en faveur des secteurs cycliques, dont les banques, l’automobile, les industrielles, et bien-sûr l’Energie après l’effondrement de la semaine dernière. Logiquement, ce léger rattrapage des valeurs cycliques et de la value a permis aux marchés européens de faire presque jeu égal avec les marchés américains. 

Côté obligataire, le crédit, classe d’actifs dans laquelle nous nous sommes renforcés depuis trois semaines environ, sélectivement mais substantiellement, s’est bien comporté aussi, quoiqu’à un rythme plus modeste que les actions. 

En revanche côté Emprunts d’Etat européens, la réaction politique de l’Union européenne n’est pour l’instant pas à la hauteur de la situation, par conséquent, l’obligation d’agir demeure sur les épaules de la BCE, qui devra faire davantage si elle veut garder le contrôle des spreads souverains dans les pays de la périphérie. Une augmentation du PEPP, programme d’achats d’actifs spécifiquement lié à la crise présente, au-delà de 750 milliards d’euros et une prorogation au-delà de la fin d’année sont clairement nécessaires selon nous, et malheureusement la réunion de la BCE aujourd’hui n’a pas encore produit d’avancée concrète dans ce sens. Pour mémoire, nous avons fortement réduit par prudence ces dernières semaines notre risque sur les emprunts d’Etat de la périphérie. 

Notre interprétation stratégique de la situation demeure inchangée. Elle explique la déconnection apparente entre le comportement des marchés (désormais en moyenne revenus à 15% de leurs plus hauts de février, et même pas 8% pour le Nasdaq) et une réalité économique qu’on connait mais souligne le risque de regains d’instabilité pour les marchés.

La crise du coronavirus ne créé pas seulement une situation nouvelle pour les marchés, mais met aussi en évidence une situation de fragilité qui prévalait avant la crise. Pour comprendre cette fragilité, il faut se souvenir que pendant les 10 années qui ont suivi la grande crise financière de 2008, les banques centrales sont intervenues très puissamment, par baisse des taux d’intérêt et achats d’actifs pour éviter que l’économie et l’inflation rechutent irrémédiablement. La logique était qu’une rechute en récession serait dévastatrice pour des économies encore très endettées, tant dans les secteurs privés que publics. Cela a fonctionné, mais imparfaitement. En particulier en Europe, la rechute en récession a été évitée, mais la croissance et l’inflation sont restées très faibles. En conséquence, l’intervention des banques centrales a dû se poursuivre.

C’est ici que se situe le paradoxe: des taux d’intérêt en baisse permanente ont encouragé l’augmentation de l’endettement et la baisse des rendements obligataires ajoutée au soutien garanti des banques centrales a encouragé les investisseurs à prendre davantage de risques pour aller capter du rendement, même si la réalité économique était très médiocre. Autrement dit, les marchés actions ont profité de l’action des banques centrales bien davantage que n’en a profité l’économie réelle.

On est ainsi arrivé dans cette situation d’équilibre très singulière: tant que les banques centrales parvenaient tout juste à éviter une rechute de l’économie en récession par un soutien monétaire permanent, les marchés actions, mais également le crédit et même l’immobilier, pouvaient continuer de s’apprécier sous l’effet de cet apport de liquidités, et cette appréciation en retour créait un effet richesse positif qui soutenait la consommation, en particulier aux Etats-Unis.

Ce type d’équilibre néanmoins pose deux problèmes: 

  1. Par définition, les banques centrales ne peuvent jamais faire marche arrière. De ce point de vue 2018 en a apporté l’illustration. Les banques centrales ont essayé de retirer leur soutien, et très rapidement l’économie et les marchés se sont retournés. Et le comportement des marchés en 2019 doit se comprendre comme le soulagement apporté par la confirmation que le soutien des banques centrales était bien là pour de bon. La fuite en avant était désormais garantie. 
  2. Le second problème est que la survenance d’un choc externe qui provoquerait une forte récession que ne pourrait préempter les banques centrales ferait basculer ce fragile équilibre. En l’absence d’une nouvelle intervention absolument hors normes des Etats, banques centrales et gouvernements, le château de cartes s’effondrerait.

La crise du coronavirus a constitué exactement cet évènement. A ce sujet, le «Cygne Noir» n’est pas la crise sanitaire elle-même mais la méthode du confinement appliquée pour l’endiguer, qui produit ce scénario d’un choc externe extrêmement brutal et déflationniste. Soudainement, l’équilibre très fragile était rompu entre d’une part, une croissance faible mais positive et un taux d’inflation faible mais positif, et d’autre part, des valorisations élevées des marchés Et les acteurs les plus fragiles ou les plus endettés, qu’ils soient publics, privés, risquaient la faillite à très brève échéance, avec bien-sûr des ramifications globales potentiellement dévastatrices.

Dans ce contexte, on comprend parfaitement le stress initial des marchés de mi-février à mi-mars. Mais on comprend aussi la réaction sans précédent, beaucoup plus spectaculaire encore qu’en 2008/2010, des Etats. Les Etats n’ont tout simplement pas le choix. La fuite en avant est la seule voie ouverte. Et le rebond des marchés depuis la mi-mars n’est rien d’autre que la continuation de la logique des marchés depuis dix ans, porté à la puissance 10.

Ainsi, les marchés sont plus chers qu’ils étaient il y a trois mois bien que l’horizon économique se soit énormément détérioré. Et l’énigme de cette déconnection est résolue par l’intervention sans limite des Etats. Une autre façon de le dire est que l’apport de liquidités est suffisamment garanti et puissant pour justifier des multiples de valorisations plus élevés d’une réalité économique détériorée. Et naturellement ce phénomène favorise particulièrement les secteurs non cycliques.

L’essentiel est de bien comprendre que les niveaux de marchés reposent plus que jamais sur la confiance qu’un équilibre extrêmement fragile piloté par les Etats pourra être restauré entre une tendance macroéconomique devenue très faible mais stabilisée, et un soutien monétaire suffisant pour soutenir les valorisations. Et naturellement, plus l’activité économique est faible plus le risque de rechute en récession est élevé, et plus les banques centrales vont au-delà des règles précédemment admises plus les marchés peuvent être à tout moment tentés d’interroger leur crédibilité. D’où le risque d’instabilité, et à un certain point peut-être un risque d’instabilité des monnaies. C’est la raison centrale pour laquelle nous avons accumulé une position en mines d’or dans Carmignac Patrimoine.

Cet horizon d’une croissance économique au mieux très faible justifie deux choses : d’abord notre positionnement actions stratégique sur des entreprises à forte visibilité et dotés de bilans très solides, en particuliers ces fameux «disrupteurs» dans la sphère technologique et qui gagnent des parts de marché en ce moment, et ensuite cela explique notre vigilance maintenue dans la gestion des risques. Une des conséquences de cette crise est que la gestion passive est devenue très dangereuse. 

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