Entre confiance et inconfort

William De Vijlder, BNP Paribas

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Le ralentissement des indicateurs de confiance interroge sur ce qui nous attend.

Niveau de confiance élevé, redressement de l’activité mondiale, prudence des banques centrales, créations d’emplois et hausse des investissements des entreprises: les conditions semblent réunies pour envisager les perspectives de croissance avec sérénité. Pourtant un certain inconfort se fait sentir depuis peu. Le ralentissement des indicateurs de confiance interroge sur ce qui nous attend. L’aplatissement de la courbe des taux aux Etats-Unis annonce-t-elle du mauvais temps? Faut-il voir une analogie entre le reflux de valeurs technologiques et la chute des TMT (Technologies, Médias et Télécommunication) en 2000? L’inflation américaine dépassera-telle l’objectif fixé par la Réserve fédérale? Enfin et surtout, jusqu’où ira l’escalade des différends commerciaux?

 

On compare souvent les prévisions économiques aux prévisions météorologiques. Dans les deux cas, l’exercice est délicat tant les changements peuvent être soudains. C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles les économistes aiment à reprendre les images empruntées aux bulletins météorologiques pour décrire la conjoncture. Au second semestre 2016, les nuages qui planaient ont commencé à se dissiper pour céder la place, en 2017, à un ciel bleu, tout au moins dans les économies développées. En ce début de deuxième trimestre 2018, la situation est toujours au beau fixe. Les indicateurs du moral des chefs d’entreprises et de la confiance des ménages, malgré un léger tassement récent, vont tous dans le sens d’une forte croissance aux Etats-Unis, dans la zone euro et au Japon. 

Si l’on se place dans une perspective plus lointaine, l’examen des moteurs de la demande finale aboutit à une conclusion tout aussi rassurante. La consommation des ménages est portée par la création d’emplois, une légère augmentation des salaires, des niveaux de confiance élevés, la hausse des prix des actifs et des coûts de financement bon marché. Quant à l’investissement des entreprises, en pourcentage du PIB ou de la valeur ajoutée, il est en hausse, tiré par l’utilisation accrue des capacités, la faiblesse des coûts d’emprunt et la facilité d’accès au financement, la croissance du chiffre d’affaires et des bénéfices, ainsi que par la confiance des entreprises. Ces facteurs devraient, en outre, persister dans les prochains mois. Aux Etats-Unis, les baisses de l’impôt sur les sociétés et la comptabilisation immédiate en charges de certaines catégories d’investissements devraient, dans une certaine mesure, donner un coup de pouce supplémentaire. L’expansion du commerce international, conséquence de la nature mondiale de la reprise actuelle et de la croissance des investissements des entreprises, à fort contenu d’importation, constitue un facteur de soutien supplémentaire. Enfin, la politique budgétaire va stimuler la croissance aux Etats-Unis et en Allemagne.

Des nuages à l’horizon 

Pour continuer à filer la métaphore météorologique, alors qu’en 2017, le ciel était d’un bleu azur et que les économistes le scrutaient, à l’affût du moindre cumulus, les nuages sont aujourd’hui plus facilement repérables. Pour le moment, ils sont suffisamment diffus pour ne pas modifier les perspectives de croissance, actuellement supérieure au potentiel, aux Etats-Unis, dans la zone euro et au Japon, une croissance qui, toutefois, marque progressivement le pas d’un trimestre sur l’autre. Cette évolution est conforme au ralentissement récent des indicateurs de confiance (indices des directeurs d’achat, enquêtes sur la confiance, etc.).

Au vu de leur niveau de départ très élevé, atteignant parfois des points hauts record, un léger repli n’aurait rien d’étonnant. Pour autant, et compte tenu de la relation historiquement étroite entre ces indicateurs et les prévisions ou les révisions des résultats des sociétés, les marchés actions, en particulier, suivront leur évolution de très près. Les investisseurs en obligations n’y seront pas non plus indifférents : lorsque l’idée selon laquelle le point culminant de la croissance trimestrielle a été atteint commencera à l’emporter, la courbe de taux devrait s’aplatir. Aux Etats-Unis, cela devrait se traduire par le simple prolongement d’une tendance amorcée il y a plusieurs années. 

Cependant, comme l’écart de rendement entre les Treasuries à 2 et 10 ans continue de se réduire, suite aux relèvements de taux décidés par la Réserve fédérale, les inquiétudes concernant une éventuelle inversion pourraient se renforcer, d’autant plus que ce type d’inversion a précédé les récessions antérieures. Pour le moment, cette inquiétude n’est pas justifiée. Le bon environnement de croissance actuel est non seulement mondial mais il s’appuie, de plus, sur un large éventail de facteurs et, aux Etats-Unis, les effets des baisses d’impôts doivent encore se faire sentir. 

Par ailleurs, les précédents replis conjoncturels se sont produits à un moment où le taux réel des Fed Funds avait nettement augmenté, autrement dit, quand la politique monétaire était devenue restrictive. Exactement pour les mêmes raisons, l’écart de rendement entre les obligations d’entreprises et les Treasuries s’est sensiblement élargi, traduisant la crainte grandissante, chez les investisseurs, d’une augmentation du taux de défaut. Aujourd’hui, le taux réel des Fed Funds reste proche de zéro et même si le spread des obligations à haut rendement a augmenté, il se maintient à un niveau bas dans une perspective de long terme.

Jerome Powell a insisté sur la symétrie de l’objectif d’inflation,
mais on peut s’attendre à une accentuation notable de la nervosité du marché.

Autre événement notable récent: le repli boursier des FANG (Facebook, Amazon, Netflix et Google) qui, pour certains commentateurs, n’est pas sans rappeler l’épisode du printemps 2000 aux Etats-Unis, où les valeurs technologiques, des médias et des télécommunications avaient amorcé une longue baisse, après une surperformance massive par rapport à l’indice général. A cet épisode devait succéder, en 2001, une récession de courte durée et de faible ampleur. La prudence s’impose néanmoins pour qui cherche à déceler dans l’expérience de 2000-2001 des indications sur ce qui pourrait advenir demain. Il semble, tout d’abord, que nous assistions aujourd’hui, dans une large mesure, à des événements propres à certaines entreprises.

On peut alors se demander si le mouvement qu’a connu le secteur se transformera en un revirement durable du marché en général. Ensuite, l’analyse détaillée de la récession de 2001 montre le rôle très indirect du plongeon antérieur du marché actions, tandis que d’autres facteurs (taux d’intérêt réels élevés, fermeté du dollar, ralentissement de la croissance mondiale, hausse des taux hypothécaires) ont eu un impact majeur.

 

Certes, l’environnement de forte croissance actuel devrait favoriser la résilience de l’économie américaine face aux chocs, mais il pourrait aussi réserver de mauvaises surprises. Sur fond de marché du travail de plus en plus tendu, les hausses de salaire, modérées jusqu’à présent, pourraient connaître une accélération et l’inflation, dépasser ainsi, in fine, l’objectif de la Réserve fédérale. Le président de la Fed, Jerome Powell, a insisté récemment sur la symétrie de l’objectif d’inflation, mais on peut s’attendre à une accentuation notable de la nervosité du marché et, par extension, de l’économie en général une fois que l’inflation aura durablement franchi la barre des 2,0%.

Enfin, à cela s’ajoute la montée des tensions commerciales, en particulier, entre les États-Unis et la Chine. Des simulations modélisées de relèvement général des tarifs douaniers sur les importations, tous secteurs confondus, font ressortir un impact profond sur la croissance en général et, bien sûr, sur les importations et les exportations en particulier. Un tel scénario semble très improbable, ne serait-ce que parce que tout le monde aurait beaucoup à y perdre. Reste à savoir jusqu’où ira l’escalade actuelle et, avec elle, l’incertitude qu’elle entraîne. Une chose est sûre en tout cas : à terme, les indicateurs du moral des entreprises seront plus que jamais passés au peigne fin.


 

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