Don’t panic - Weekly note de Credit Suisse

Burkhard Varnholt, Credit Suisse

7 minutes de lecture

L’indice Credit Suisse de la propension au risque fleurte avec la «zone de panique», un signe d’opportunités d’achat par le passé.

Les investisseurs restent majoritairement sceptiques. L’indice Credit Suisse de la propension au risque fleurte avec la «zone de panique», un signe d’opportunités d’achat par le passé. Mais comment les investisseurs doivent-ils interpréter les messages contradictoires émanant de l’économie et des marchés? Nous expliquons pourquoi nous estimons que le «verre» de l’économie mondiale est plutôt «à moitié plein» qu’«à moitié vide». À cette fin, nous étudions:

  1. les facteurs négatifs,
  2. les facteurs positifs et
  3. les perspectives.

Dans ce contexte, le Comité de placement du Credit Suisse a également souligné l’attrait intact des actions lors de sa dernière réunion.

1. Scepticisme: un obstacle de taille

Comme évoqué en introduction, l’indice Credit Suisse de la propension au risque fleurtait avec la «zone de panique» la semaine dernière, mais de nombreux marchés boursiers se sont redressés entretemps. Obéissent-ils à un schéma particulier ou s’agit-il seulement d’un hasard? Les marchés jouent avec le fait que les «taureaux» parmi nous estiment le verre à moitié plein tandis que les «ours» le voient plutôt à moitié vide. Le graphique 1 reflète cette course incessante à la suprématie des opinions.

Par le passé, notre indice de la propension au risque a régulièrement signalé de bonnes opportunités de réduire les risques pendant les phases d’euphorie et de les augmenter dans les périodes de panique, contrairement à l’attitude générale des  Cet indice s’intègre dans notre processus global de placement et revêt une grande importance dans nos mandats «systématiques» de gestion de fortune. Bien qu’il ait quitté son plancher, il indique toujours que les marchés recèlent un potentiel de hausse.

2. Économie mondiale: le verre est à moitié plein

Le verre est-il à moitié plein? Cette question domine actuellement les discussions de ceux qui prennent le pouls de l’économie mondiale. Mais souvent, de nouvelles données peuvent faire l’objet d’interprétations très diverses. En effet, ce qui distingue les «taureaux» des «ours», ce n’est généralement pas la sélection des données impactant la politique de placement, mais l’angle sous lequel ces données sont observées. Voici un exemple: certains «ours» estiment que les actions s’essoufflent parce qu’elles ont déjà réalisé une progression à deux chiffres depuis le début de l’année. Les «taureaux» objectent à cela que la plupart des indices boursiers n’ont pratiquement pas bougé par rapport aux douze derniers mois tandis que leurs primes de risque se sont même élevées. Alors, qui a raison? Ma réponse: les deux et aucun des deux. Ce qui importe, c’est d’avoir une vue d’ensemble pour pouvoir soupeser les perspectives divergentes. Cette approche permet généralement d’obtenir les meilleurs résultats. Nous analysons donc sous différents angles ce qui pourrait stimuler l’économie et les marchés au prochain trimestre.

Facteur négatif: l’industrie (automobile) mondiale

Il y a une chose qui saute aux yeux de tous, c’est le ralentissement de la production industrielle mondiale. Observé sous cet angle, le verre semble actuellement à «moitié vide» à bien des égards, pour reprendre notre métaphore initiale. À l’échelle internationale, les indices des directeurs d’achats du secteur manufacturier (M-PMI) affichent une tendance baissière, laquelle est particulièrement forte en Allemagne et en Corée du Sud.

En Europe, les constructeurs automobiles
sont confrontés à des problèmes spécifiques à la région.

Bon nombre d’experts imputent cet affaiblissement à la guerre commerciale. Mais deux autres facteurs plus importants pourraient être incriminés: premièrement, l’absence, cette année, de cadeaux fiscaux tels que ceux octroyés par Washington à titre unique en 2018 et qui ont permis aux États-Unis non seulement de soutenir leur propre industrie mais aussi celle du monde entier de manière indirecte. Deuxièmement, bien des marchés automobiles sont saturés après de nombreuses années prospères. Le plus grand du globe, à savoir la Chine, absorbe un tiers des voitures neuves construites dans le monde. Et un quart des voitures neuves qui y sont écoulées sont de marque allemande1. Pourtant, le parc automobile chinois affiche un âge moyen de 4,4 ans2 seulement; il est donc nettement plus jeune que celui d’Europe (7,5 ans3) et des États-Unis (11,8 ans)4. Rien d’étonnant donc à ce que la saturation du marché chinois, qui est entièrement décorrélée du conflit commercial, affecte particulièrement l’économie (automobile) de l’Allemagne, qui produit un cinquième des voitures vendues dans le monde et même un tiers des véhicules haut de gamme du globe. Sont impliqués dans cette activité quelque 800 fournisseurs qui emploient plus de 834'000 personnes5. Or cette branche, la plus importante du pays, se trouve à présent en grande difficulté. On comprend aisément pourquoi certains se demandent si elle ne va pas au-devant d’une «déconfiture à la Nokia». Rappelons que cette société finlandaise s’est longtemps crue imbattable jusqu’à ce que l’iPhone fasse son entrée sur le marché.

À présent, étudions de plus près le secteur automobile, dont le malaise pèse très fortement sur la production industrielle mondiale. Ses plus grands marchés de distribution se sont contractés partout au premier semestre 2019, à l’exception du Brésil, comme l’attestent les chiffres des ventes publiés par l’association de l’industrie automobile allemande (Verband der deutschen Automobilindustrie / VDA)6: Chine -14%, Inde -10,3%, Europe -3,1%, Russie -2,4%, États-Unis -1,9%, Japon -0,3%, Brésil +10,9%. Qu’est-ce qui se cache derrière ce phénomène?

En Europe, les constructeurs automobiles sont confrontés à des problèmes spécifiques à la région, à savoir: a) durcissement de la réglementation européenne en matière d’émissions polluantes, b) vieillissement démographique à l’origine d’un recul constant des achats de véhicules, c) incertitudes liées au Brexit et stagnation de l’économie italienne. Or, il n’est pas possible de minimiser ces difficultés. En outre, on observe trois autres tendances qui expliquent pourquoi la production d’automobiles en Allemagne a chuté à 4,7 millions de voitures ces douze derniers mois, un chiffre inférieur à celui enregistré pendant la grande récession de 2008 (4,8 millions) et nettement plus faible qu’en 2016 (5,8 millions).

Premièrement, la concurrence s’est accrue, en particulier dans les pays asiatiques très prisés. Actuellement, 14 constructeurs automobiles mondiaux se partagent encore plus de 60% du marché. Pourtant, ces dernières années, plus d’une dizaine de nouveaux concurrents ont fait leur apparition rien qu’en Chine, notamment Geely, BYD, Brilliance, Foton, Dongfeng et BAIC pour ne citer qu’eux. Avec leurs véhicules de grande qualité et leurs prix avantageux, ils font une percée agressive sur des marchés d’exportation très peuplés tels que l’Inde, l’Indonésie, les Philippines, le Brésil ou encore l’Afrique du Sud.

Le secteur automobile traverse une phase de profond changement,
qui présente même un caractère disruptif.

Deuxièmement, l’engouement pour l’e-mobilité transforme le marché. Là encore, la Chine s’impose en tête de liste. L’année dernière, 56% des voitures électriques du monde y ont été vendues. En Norvège, 40% des voitures neuves sont à propulsion électrique. Les leaders actuels dans ce domaine sont Tesla et le chinois BAIC7. Mais les choses évoluent vite. Après des débuts houleux, plusieurs constructeurs allemands sont revenus récemment grignoter des parts de marché avec de nouveaux modèles. Dans les segments de la conduite autonome et de l’e-mobilité, Volkswagen a annoncé deux alliances avec Ford Motor Company8 pour un montant de plusieurs milliards de dollars.

Troisièmement, les services d’«autopartage» proposés par des prestataires tels que Uber, Lyft et Didi (le pendant chinois d’Uber) changent le comportement de nombreux consommateurs. Alors que la voiture reflétait auparavant le statut social, elle a désormais perdu de son prestige auprès d’un grand nombre de «millenials» mais aussi de seniors disposant d’un pouvoir d’achat supérieur. Au vu du manque de places de parking et de la forte immobilisation de capitaux, bien des consommateurs préfèrent l’autopartage, tandis que d’autres conservent leur voiture plus longtemps.

Nous voyons donc que le secteur automobile traverse une phase de profond changement, qui présente même un caractère disruptif. La mobilité du futur va recourir à des éléments très différents. Néanmoins, le changement n’est pas seulement synonyme de déclin, il offre également de formidables opportunités de croissance. Il serait naïf de qualifier le secteur automobile allemand de «dinosaure». Lui aussi développe depuis longtemps la «mobilité intelligente», qui présente de l’attrait en termes d’investissement. Avec son esprit d’innovation, son expérience et ses réseaux internationaux, il possède des atouts exceptionnels qu’il peut et qu’il doit exploiter à présent.

Facteurs positifs: services, consommateurs et disponibilité du crédit

La situation de l’économie mondiale se présente sous un jour différent lorsque nous adoptons une autre perspective et que nous nous intéressons à des choses qui font paraître le verre «à moitié plein» plutôt qu’«à moitié vide». En font partie le secteur des services, le comportement des consommateurs et la saine disponibilité du crédit, comme le souligne notre captivant «Credit Suisse Swiss Credit Handbook 2019» paru cette semaine.

Il est possible d’interpréter les bons chiffres du marché de l’emploi
de manière négative et d’y voir le verre à «moitié vide».

Étudions tout d’abord le secteur tertiaire. Il représente plus de deux tiers de la performance économique des «pays industrialisés», même si le terme «industrialisés» induit en erreur. Il est donc d’autant plus réjouissant que les récents chiffres de l’indice PMI des services signalent un redressement aux États-Unis, avec une progression de 53,7 à 56,4, ce qui est positif en comparaison des chiffres de la production industrielle. Et cette évolution se confirme à l’échelle internationale également: l’indice s’est amélioré dans les pays émergents en août et n’a affiché qu’un recul insignifiant en Europe. Ce phénomène a deux causes: d’une part, les marchés de l’emploi sont pleinement exploités et les salaires réels augmentent. Rien d’étonnant à cela puisque la confiance des consommateurs est à son plus haut depuis vingt ans sur le plan mondial, ce qui encourage l’utilisation des services. D’autre part, le vieillissement démographique joue un rôle à cet égard puisque les personnes âgées dépensent davantage dans les services (voyages, divertissements, gastronomie, etc.) que dans des produits tels que les voitures ou les appareils électroniques domestiques. Enfin, la numérisation est à l’origine d’une recherche désespérée de bons informaticiens dont on attend qu’ils programment sans cesse de nouvelles applications et solutions logicielles.

Bien entendu, il est également possible d’interpréter les bons chiffres du marché de l’emploi de manière négative et d’y voir le verre à «moitié vide». Les «ours» craignent ainsi que la hausse des salaires réduise les marges bénéficiaires et augmente l’inflation. Que faut-il en penser? Pour notre part, nous estimons le verre plutôt «à moitié plein». En effet, l’élévation des salaires se laisse rarement répercuter sur les prix à la consommation, comme British Airways l’expérimente actuellement dans le conflit salarial qui l’oppose à ses pilotes. L’expérience montre que la hausse des salaires incite les entreprises à accroître leur productivité. L’économie suisse en livre un parfait exemple: ses salaires et loyers élevés ainsi que la vigueur du franc n’ont aucunement induit de chômage ni d’érosion des bénéfices. Ils stimulent bien plus la flexibilité entrepreneuriale, la capacité d’innovation et de bonnes conditions-cadres économiques. Autrement dit, nous misons toujours sur une inflation faible, des taux d’intérêt bas et une consommation stable.

Et qu’en est-il de l’injection de capitaux dans l’économie mondiale? Nous savons que les récessions sont souvent déclenchées par des pénuries de crédit. Mais là encore, il n’y a guère de raison de s’inquiéter: les marchés mondiaux des capitaux se prêtent largement aux émissions d’obligations et d’actions. L’accès au crédit est bon. Les introductions en bourse suscitent autant d’intérêt que les émissions d’emprunts. Par rapport au revenu, le service de la dette n’a jamais été aussi faible depuis trente ans, la baisse des taux d’intérêt ayant été plus rapide que la croissance des dettes ces dernières années. Et compte tenu du ralentissement conjoncturel, les taux d’intérêt et les niveaux inflation devraient rester bas.

Perspectives: relance monétaire et/ou budgétaire?

La semaine dernière, j’ai assisté à la conférence tenue par Jerome Powell, le président de la Réserve fédérale américaine, ainsi qu’à son débat avec Thomas Jordan, le président de la BNS, dans l’auditorium bondé de l’Université de Zurich. J’ai constaté que opinions concernant «leurs» économies respectives correspondaient aux nôtres et qu’eux aussi voyaient le verre «à moitié plein». Selon eux, les économies américaine et suisse se portent bien, avec une faible inflation et de bonnes perspectives de consommation. Mais ils estiment qu’il faut rester vigilant, car les diverses sources d’incertitude – à savoir la guerre commerciale, le Brexit et les taux d’intérêt négatifs – ne permettent aucune complaisance.

Des éclaircies sur le front et géopolitique ainsi que des rendements
de dividende parfois anormalement pourraient induire un revirement boursier.

Bien entendu, le président de la BCE, Mario Draghi, s’est montré plus réservé. Il a annoncé de nouvelles mesures monétaires, mais a encouragé une politique budgétaire nettement plus dynamique étant donné que la BCE a déjà fait tout son possible pour abaisser les taux d’intérêt. Les investisseurs devraient donc s’attendre a) à un maintien de la politique monétaire accommodante et des taux bas, ainsi qu’à b) davantage de mesures de relance budgétaire. En effet, la plupart des pays ont de bonnes raisons de poursuivre leur politique monétaire actuelle et de stimuler leur économie par de nouvelles dispositions budgétaires, car des taux encore plus négatifs ne serviraient les intérêts de personne. En revanche, des stimuli budgétaires seront, d’une part, populaires le plan politique en vue de l’année électorale 2020 et, d’autre part, nécessaires pour faire face aux différents défis, notamment les difficultés du secteur automobile en Allemagne, le Brexit dans l’UE, ou encore les coûts générés par le conflit commercial en Chine et aux États-Unis.

3. Décisions récentes du Comité de placement du Credit Suisse

Lors de sa réunion de mercredi, le Comité de placement a réitéré son opinion selon laquelle l’économie mondiale traversait indéniablement une période de ralentissement mais que les craintes récessionnistes restaient exagérées. Dans ce contexte, nous à nouveau notre pondération tactique des actions. Des éclaircies sur le front et géopolitique ainsi que des rendements de dividende parfois anormalement pourraient induire un revirement boursier au quatrième trimestre, comme en avons déjà observé des signes avant-coureurs cette semaine. Parallèlement, nous prenons quelques bénéfices sur nos obligations à haut rendement surpondérées jusqu’ici et ramenons celles-ci au niveau de notre indice de référence.

 

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