Dix choses à savoir sur le commerce US-Chine

Bruno Cavalier, Oddo BHF

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La Chine avait déjà répliqué aux droits de douane sur les importations d’acier et d’aluminium en ciblant des produits américains. D’autres mesures de rétorsion sont à prévoir. 

L’administration Trump a publié hier une liste de 1300 produits chinois appelés à subir une hausse des droits de douane de 25 points de pourcentage. Environ 50 milliards de dollars d’importations chinoises seraient concernées, soit 10% du total. La Chine avait déjà répliqué aux récents droits de douane sur les importations d’acier et d’aluminium en ciblant des produits américains. D’autres mesures de rétorsion sont à prévoir. Ces disputes commerciales sont la partie visible d’une lutte plus profonde entre les États-Unis et la Chine pour le leadership global. Fatalement, quand les géants se disputent, tout le monde risque d’en subir les effets.

Gigantomachie commerciale

1. À combien se montent les échanges entre les deux pays?

En 2017, d’après les statistiques américaines, les échanges de biens se sont élevés à 506 milliards de dollars de la Chine vers les États-Unis (22% des importations US) et 131 milliards de dollars dans l’autre sens (8,5% des exportations US). Les États-Unis ont enregistré un déficit de 375 milliards de dollars sur les biens vis-à-vis de la Chine. Ils ont eu un excédent de 38 milliards de dollars sur les services, résultant d’exportations vers la Chine pour 56 milliards de dollars et d’importations depuis la Chine pour 18 milliards de dollars. Au total, la Chine représente 47% du déficit total des États-Unis sur les échanges de biens mais seulement 16% de leur excédent sur les services. 

2. Quels sont les biens les plus échangés?

Les douanes recensent 14'400 types de biens importés de Chine, qui se répartissent principalement en trois catégories: électronique (257 milliards de dollars), habillement (59 milliards de dollars) et biens de consommation (79 milliards de dollars). Dans le segment électronique, trois produits représentent à eux seuls 40% du total, à savoir les téléphones portables (44 milliards de dollars), les machines à processeur de moins de 10 kilos (37 milliards de dollars) et les appareils de transmission de données (22 milliards de dollars). En large partie, cela correspond aux produits conçus par Apple tels que iPhone, iPad, Apple Watch, dont la demande a connu une telle progression depuis une décennie qu’il y a là un phénomène de société (graphe de gauche). Des psychologues y voient une «addiction technologique» pouvant poser des problèmes de santé publique. Il va sans dire que ce ne sont pas là des produits chinois en tant que tels mais des produits assemblés en Chine (point 5). Taxer ces importations serait en premier lieu négatif pour Apple et pour les consommateurs américains en attendant de trouver une réorganisation de la chaîne de valeur. Concernant les importations de biens américains par la Chine, deux catégories prédominent: les matériels de transport (30 milliards de dollars, dont la moitié pour les avions) et les produits agricoles (29 milliards de dollars, dont 12 milliards de dollars pour le soja). Dans les services, la principale contribution est le tourisme et l’éducation (32 milliards de dollars).

3. Y a-t-il un effet-OMC dans le déséquilibre commercial sino-américain? 

La Chine a rejoint l’OMC en 2002. L’année précédente, le déficit US-Chine était de 83 milliards de dollars, soit 0,8% du PIB américain et 6,2% du PIB chinois. Il s’est rapidement creusé du fait de la hausse des importations de vêtements, biens de consommation et produits électroniques. En termes relatifs, le déficit a atteint son pic à 1,8% du PIB US (263 milliards de dollars) en 2008. La crise mondiale a causé une diminution ponctuelle des échanges. Avec la reprise économique, le déficit sur biens et services n’a pas cessé de se creuser en montant absolu, mais tend à se tasser en termes relatifs (1,7% du PIB américain et 2,8% du PIB chinois). Pour les deux tiers, le creusement du déficit depuis la crise financière est dû aux trois types de biens cités plus haut, autrement dit avant tout les produits Apple. Il est certain que l’adhésion à l’OMC a ouvert à la Chine de nombreux marchés d’exportation (sans que l’ouverture du marché chinois soit aussi large ou rapide) mais ce n’est pas la seule cause du déficit commercial américain et de son augmentation. Ce déficit résulte du déséquilibre structurel des États-Unis entre leur investissement et leur épargne nationale.

4. Les statistiques commerciales sont-elles fiables?

Mesurer les comportements économiques n’est pas une science exacte. Pour les échanges, la fragmentation des chaînes de valeur entre de nombreux pays ne facilite pas la tâche. Il y a une différence de l’ordre de 100 milliards de dollars entre les données américaines (375 milliards de dollars de déficit sur les biens en 2017) et chinoises (278 milliards de dollars). Cela s’explique en large partie par le fait qu’une partie des exportations chinoises vers les États-Unis transitent par Hong Kong. Il parait tout à fait justifié de les réintégrer aux exportations directes, comme le font les statisticiens américains (le FMI utilise d’ailleurs ces données).

5. D’où vient la valeur ajoutée des produits assemblés en Chine?

Certains biens importés depuis la Chine contiennent des composants venant de nombreux autres pays. L’exemple-type est l’Iphone ou l’Ipad, au dos duquel on peut lire en lettres minuscules: «Designed by Apple in California. Assembled in China». Certains composants viennent de Taiwan ou du Japon, la R&D a pu être faite en Allemagne ou en Corée du Sud, etc. C’est officiellement une exportation chinoise… dont les profits reviennent à Apple (ou sa filiale irlandaise). En réalité, la part de la Chine dans la valeur ajoutée des produits électroniques représenterait moins de la moitié de leur valeur brute. Décomposer la répartition de la valeur ajoutée des échanges de biens est un travail lourd et pour partie imprécis réalisé par l’OCDE et l’OMC, et les données corrigées ne sont disponibles qu’avec plusieurs années de retard . Exprimé en termes de valeur ajoutée, le vrai déficit commercial US-Chine serait inférieur de près d’un tiers à sa valeur brute (graphe de droite). Donald Trump a récemment demandé aux Chinois de réduire leur excédent de 100 milliards de dollars vis-à-vis des États-Unis. C’est déjà le cas si on considère l’apport réel de la Chine à la valeur ajoutée des produits exportés. Bien entendu, ce que l’on retirerait à l’excédent chinois devrait être imputé à d’autres pays excédentaires, Japon, Corée, Allemagne… Pas de quoi sans doute satisfaire le président américain!

6. Combien d’emplois américains ont été «détruits» par la Chine?

Les analyses pionnières des effets du commerce international (par David Hume au XVIIIe siècle, David Ricardo au début du XIXe) montrent qu’il y a un avantage mutuel pour les pays à s’échanger des biens. La hausse du commerce encourage la spécialisation, améliore la productivité et permet une meilleure utilisation des ressources. Si l’effet net est positif, cela ne signifie pas pour autant que tout le monde gagne. Vu l’ascension fulgurante et sans précédent de la Chine dans les échanges mondiaux, le nombre d’emplois «perdus» ailleurs est potentiellement élevé. Pour les États-Unis, diverses études récentes évaluent entre un et 2,5 millions les postes dont la disparition est imputable au commerce avec la Chine, principalement dans le secteur manufacturier. Cela touche le cœur industriel situé autour des grands lacs. Certains y ont même vu l’explication de l’élection de Trump. En somme, sans la Chine, Trump n’aurait peut-être pas gagné ces swing states et ne serait pas devenu le président des États-Unis le plus porté sur le protectionnisme depuis Ronald Reagan (à l’époque, la cible principale des Américains était le Japon).

7. Les excédents chinois sont-ils dus à des manipulations monétaires?

Par construction, la balance des paiements d’un pays est toujours équilibrée. S’il y a un déséquilibre commercial, la contrepartie se verra sur la balance financière. En Chine, les flux de capitaux restent fermement contrôlés par les autorités, ce qui est une manière d’influencer le taux de change. Jusqu’en 2005, le yuan était fixé face au dollar à un niveau de sous-évaluation massive. À partir de 2005, la PBoC a piloté une lente appréciation de sa devise. Dans ces années, la Chine a accumulé d’importantes réserves de changes. En 1995, elles représentaient 10% du PIB chinois, 34% en 2005 (record à 48% en 2011, 25% aujourd’hui). Avec la forte hausse du dollar en 2014, le contrôle de la devise est devenu plus difficile (sorties de capitaux, pertes de réserves), ce qui a conduit à la mini-dévaluation de l’été 2015, puis à l’ancrage du yuan à un panier de devises. Le développement des exportations chinoises a certainement bénéficié pendant de longues années d’une devise artificiellement sous-évaluée, mais sur la majorité de la période depuis l’adhésion de la Chine à l’OMC, la devise chinoise a monté, plutôt que baissé, contre dollar et contre la majorité des devises. Selon les estimations de taux de change effectif réel faites par la BRI, le yuan s’est apprécié de 28% depuis 2002, le dollar a perdu 14% sur la même période.

8. Quels sont les griefs de Trump contre la Chine?

Le déficit des échanges n’est que la partie la plus visible des critiques contre la Chine. Le rapport justifiant des restrictions sur les importations chinoises recense quatre problèmes, touchant les transferts de technologie, le système des licences des entreprises étrangères, les investissements chinois à l’étranger, et les cyberattaques. En somme, les États-Unis reprochent, non sans raison, à la Chine de fermer son marché en attendant que l’acquisition (ou le vol) de technologies étrangères lui ait permis de créer des champions nationaux. Les investissements directs étrangers chinois ont fortement ralenti en 2017 sous le double effet d’une limitation des sorties de capitaux chinois et d’un durcissement des autorités US en cas de tentatives de rachat de sociétés par la Chine. Le contentieux va bien au-delà des seules questions commerciales. C’est le leadership sur l’économie mondiale qui se joue en toile de fond.

9. Où en est-on dans l’escalade des sanctions et contre-sanctions?

Outre la mise en place de tarifs douaniers sur les importations d’acier et d’aluminium (qui touchent d’autres pays que la Chine), trois mesures ont été annoncées: la préparation d’une liste d’importations chinoises pour environ 50 milliards de dollars pouvant être soumises à des droits de douane (la liste doit être finalisée d’ici mi-mai), le dépôt d’une plainte à l’OMC contre les pratiques chinoises en matière de licences technologiques, des restrictions sur les investissements chinois aux États-Unis. À ce jour, la Chine a annoncé des mesures de rétorsion en seule réponse aux droits de douane sur les métaux. La réponse aux autres mesures est encore à venir.

10. Quel est le risque pour l’économie mondiale?

S’agissant des deux principales économies du monde, il va sans dire que des frictions commerciales sont négatives pour le commerce et la croissance globale. En 2016, le FMI avait examiné l’impact d’une hausse des droits de douane américains de 20% sur les importations estasiatiques. Pour rappel en 2017, les importations venant de Chine, du Japon et des quatre dragons asiatiques représentaient 786 milliards de dollars de biens, soit 15 fois plus que les chiffres avancés par l’administration Trump au sujet de la Chine seule. Le modèle multi-pays du FMI montrait qu’en l’absence de représailles, il en résulterait une appréciation réelle du dollar de près de 5% à long terme (au-delà de cinq ans) et une baisse du PIB de 0,5 point. En cas de représailles, le dollar s’appréciait moins (le choc d’inflation touchant aussi les autres pays) mais la perte de PIB serait plus forte, de près d’un point la première année et de 0,8 point à long terme. Le problème d’un tarif douanier est qu’il subventionne quelques importations mais taxe toutes les exportations via l’appréciation de la devise. L’effet négatif sur les exportations dépasse l’effet favorable sur les importations. Il y a donc moins d’activité. Une étude de l’OCDE portant sur des tarifs généralisés aux États-Unis, en Chine et en Europe confirme le sens de ces effets. Une hausse des tarifs de 10% réduirait de 6% le volume du commerce mondial et ferait perdre entre 1 et 2 points de croissance à ces pays.