Des villes (suffisamment) intelligentes

Salima Barragan

3 minutes de lecture

Partie 1. Entre réalité et fantasmes, les défis de la mobilité urbaine.

Fluidité de la mobilité, respect de l’environnement, inclusion sociale: autant de défis qui attendent les métropoles. De Barcelone à Buenos Aires, de Shanghai à Stockholm, la densité urbaine augmentera en moyenne de 30% d’ici quinze ans. La transformation digitale des villes est au cœur de solutions durables pour une gestion plus efficiente. Ainsi que d’une meilleure qualité de vie.

Dans une série en trois parties consacrées aux «smart cities», une expression qui serait sortie pour la première fois de la bouche de Bill Clinton en 2005, Allnews cherche à différencier les différents contextes des zones urbaines avant d’évoquer les revers de ces villes ultra-connectées, submergée par un big data omniprésent. Dans une dernière partie, nous nous intéresserons aux opportunités d’investissement liées aux dépenses des villes en mobilité automatique, qui selon l’IDC, atteindront 189 milliards de dollars américains d’ici 2024.

Feuilles de route cohérentes

Chaque ville est singulière par sa culture et les habitudes de ses citadins, l’état de ses infrastructures et les financements disponibles. Riche ou pauvre, jeune ou mature, peu ou densément peuplée, impossible de comparer Boston à Brazzaville. Pour l’heure, les grandes métropoles asiatiques (dans l’ordre: Singapour, Tokyo, Beijing et Shanghai) figurent en tête du palmarès des investissements. Pour avoir un impact durable, faudrait-il que les investissements soient précédés d’une réflexion globale?

Un système de «smart parking» a permis à Barcelone d’engranger
50 millions d’euros supplémentaires par an en recettes de stationnement.

Barcelone, pionnière européenne de l’interconnexion, a mis en place une plateforme de collecte de données par capteurs open source, publiées sous un format standard disponible à tous, ainsi qu’une seconde plateforme d’analyse de données accessible aux interfaces utilisateurs. Un exemple? Les places de stationnement sont munies de capteurs permettant aux conducteurs de localiser celles qui sont inoccupées, via une application sur smartphone. Grâce à l’optimisation des places disponibles, ce système de «smart parking» a permis à la capitale catalane d’engranger 50 millions d’euros supplémentaires par an en recettes de stationnement. Les efforts déployés par Barcelone s’inscrivent dans un plan d’action d’éco-mobilité à l’échelle nationale, le «Spanish Network of Smart City». Ce réseau compte des dizaines de villes, dont Santander qui a réussi à réduire les embouteillages de 80%.

Dans la vision espagnole de la «smart city», les données récoltées sont au service de la population (et non l’inverse). Ce concept de démocratisation des données a simultanément émergé à Singapour (ville où des arbres de 50 mètres de haut munis de capteurs régulent la température), qui offre également au public un service ouvert des données physiques.

La mobilité: point névralgique des villes

A Tokyo, Singapour et Vancouver, la réalité de la mobilité automatique est déjà perceptible, tout comme à Amsterdam et à Stockholm, connues pour inciter leur population à rouler en cycles et à marcher. Corollaire: le délai de transit des passagers, la congestion et la pollution y sont limités. Les plus petites villes se lancent également dans l’aventure. Comme à Pully, bourgade du canton de Vaud, qui a installé un service d’analyse de big data anonymisé afin d’optimiser les flux de la circulation au centre-ville.

Dans les mégalopoles des pays émergents asiatiques et latino-américains
les voitures autonomes relèvent de la pure fantaisie.

Avec l’évolution escomptée des technologies de mobilité d’ici dix ans, quels seront les différents modèles de villes intelligentes, sachant que leurs priorités et contraintes divergent? Mc Kinsey a dénombré 50 centres urbains où différents modèles futuristes de mobilité pourraient être adaptés. Sans surprise, les voitures sans conducteurs ne conviendront pas à toute les villes…

Dans les mégalopoles des pays émergents asiatiques et latino-américains, densément peuplées comme New Dehli, Bombay et Mexico City, dont l’urbanisation rapide a entraîné une congestion importante du trafic et un appauvrissement de la qualité de l’air, les voitures autonomes relèvent de la pure fantaisie. A noter ces villes sont également dotées d’infrastructures lacunaires, d’une signalisation routière peu respectée par les usagers et d’une profusion de piétons sur les voies routières. Les véhicules électriques et la mobilité partagée qui soulageraient l’asphyxie des nœuds routiers, semblent plus réalistes.

Los Angeles pourrait être candidate à un modèle d'utilisation de véhicules autonomes avec des voies dédiées.

En revanche, les villes denses mais riches, comme Chicago, Hong-Kong, Londres et Singapour, sont des terrains propices à une mobilité automatique porte à porte, grâce à une combinaison de solutions alternatives (électrique, autonome, partagée, transport public de qualité). Notons que les citadins de ces métropoles ont déjà accès à des systèmes flexibles et propres.

Los Angeles, citée très étendue (où la congestion du trafic coûte près de 23 milliards par an à la ville), pourrait être candidate à un modèle d’utilisation de véhicules autonomes avec des voies dédiées. Mais, revers de la médaille, certains experts estiment que la réduction du temps d’attention requis à la conduite  inciterait les usagers à rouler davantage, donc, à terme, à augmenter la congestion…

Le piège technologique 

Le fantasme de la vitrine urbaine futuriste reste bien ancré. Il ne s’agit toutefois pas ici de faire une «course à la technologie» mais d’utiliser cette dernière à bon escient: c’est-à-dire ni trop, ni trop peu. Les projets dispendieux et excentriques, comme l’Hyperloop d’Elon Musk (qui promet de propulser des capsules de voyageurs dans un tunnel) ne favoriseraient que les élites et ne régleraient en rien les problématiques urbaines. Les solutions intelligentes se grefferont sur les infrastructures existantes et n’accentueront pas les inégalités sociales.

Premier volet d’une série de trois articles. Prochaine parution: lundi 19 août.