Des emplois à tout prix?

Martin Neff, Raiffeisen

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Dans les années 1990, de nombreux pays encourageaient le carburant diesel par des mesures fiscales. C’était clairement une erreur de la politique économique.

Rappelez-vous cette interview quasi-légendaire de l’ancien patron de Volkswagen Matthias Müller, lors d’un symposium à Passau, où il évoquait les champions du monde des annonces. Il voulait évidemment parler du pionnier américain de l’automobile Tesla, qu’il accusait dans le même temps de destruction de valeur. Message: VW est super, Tesla non. Il faisait alors allusion au fait que VW boxait dans une toute autre catégorie, produisant énormément plus de voitures, tout en étant largement dans le vert au lieu de perdre des centaines de millions. Pour couronner le tout, Matthias Müller s’exprimait ainsi au beau milieu du dieselgate. Mais comme on sait, l’orgueil vient avant la chute et Matthias Müller fait désormais partie du passé. Six mois après cette déclaration plutôt arrogante, il a été remplacé par Herbert Diess à la tête du groupe. Rupert Stadler qui a longtemps dirigé Audi a connu un sort encore plus funeste, puisqu’il a passé quatre mois en détention provisoire.

Peu de temps auparavant, il était encore un invité d’honneur apprécié, par exemple lors de la course du Hahnenkamm à Kitzbühel ou dans la tribune VIP du Bayern Munich. Et il ne fait aucun doute qu’il a dû y affirmer qu’Audi n’était en rien impliqué dans le dieselgate. Le ministère de la justice américain n’était cependant pas de cet avis. Selon lui, c’est même Audi qui a inventé le dispositif de déconnexion. VW s’est ensuite uniquement contenté de l’utiliser à grande échelle. Entre-temps, nous connaissons toute l’ampleur de cette affaire et savons qu’Audi est tout autant impliqué. Il n’empêche que Rupert Stadler a longtemps et même très longtemps été soutenu, notamment parque les familles propriétaires Porsche et Piëch ont continué à lui accorder leur confiance, bien après que tous les tenants et les aboutissants de l’affaire aient été rendus publics. Selon les informations du magazine d’information «Spiegel», le parquet prépare actuellement l’accusation contre l’ancien patron d’Audi. Apparemment, les enquêteurs s’intéressent aussi à l’ancien chef du développement Moteurs Wolfgang Hatz et au spécialiste du diesel Giovanni Pamio. D’autres dirigeants d’Audi pourraient également se voir convoquer par le parquet. Mais comme toujours, la justice fait preuve de lenteur. Depuis que le scandale des moteurs diesel a été rendu public en septembre 2015, quatre années auront sans doute passé dans le meilleur des cas avant qu’un premier jugement ne soit rendu. Mais ce n’est que le volet juridique de cette affaire.

Pas une once d’humilité

Je n’arrive pas à me défaire de l’impression que l’Allemagne n’a toujours pas pris conscience de l’ampleur de ce scandale et qu’elle aimerait si possible balayer toute cette affaire d’un revers de la main. Je ne vois pas d’autre explication au règlement hésitant de ce scandale par notre voisin du Nord. Les protagonistes de l’affaire ont également beaucoup de mal à reconnaître leur culpabilité. Pour la plupart, l’humilité ne semble pas faire partie de leur vocabulaire et certains ne cherchent plus qu’à sauver leur peau. Ainsi, l’ancien patron de VW Martin Winterkorn aurait transféré d’importantes sommes d’argent se chiffrant par millions à l’étranger, évidemment en Suisse, en 2016 et 2017. Si c’était vraiment le cas, ce serait une initiative extrêmement blâmable pour tenter d’assumer le passé. Le parquet de Braunschweig a transmis le dossier aux autorités fiscales compétentes. La fameuse présomption d’innocence s’applique bien sûr également dans le cas de Martin Winterkorn. Le fait que les parquets allemands et américains mènent des enquêtes à son encontre et ce pour fraude et manipulation du marché ternit cependant encore un peu plus son image. Rappelons qu’il détient toujours un mandat à ce jour. Il siège en effet au conseil de surveillance du Bayern Munich, dont le président Uli Hoeness vient tout juste de se faire remonter les bretelles à l’occasion de l’assemblée générale annuelle après avoir purgé une peine de prison pour fraude fiscale, ce qui ne l’a pas empêché d’être réélu président du Bayern en 2016. Le «peuple» a la mémoire courte. L’un des vice-présidents du conseil de surveillance du Bayern Munich n’est d’ailleurs autre que Rupert Stadler. Voilà pour l’aspect moral de cette affaire.

Et la politique? 

Le pouvoir incite souvent à la bêtise. Il conduit aussi à perdre le sens des réalités. Les puissants sont nombreux à décrocher un jour ou l’autre. Ce phénomène n’est pas qu’allemand. Certains banquiers nous en ont donné l’exemple en Suisse. Tout comme le secteur bancaire le fut autrefois en Suisse, le secteur automobile est «encore» le secteur phare en Allemagne. Grâce à des recettes fiscales élevées et à ses dizaines de milliers de salariés, certains représentants du secteur croient encore aujourd’hui pouvoir dicter leur volonté à la politique. A force de le dorloter, celle-ci a pour le moins contribué aux dérives du secteur. Ce n’est pas une excuse, mais une tentative d’explication. Dès la fin des années 1990, la politique européenne a misé sur le moteur diesel, convaincue de rendre ainsi un service à l’environnement. En tant que citoyens, nous n’avions plus mauvaise conscience à nous déplacer dans ces véhicules au moteur à allumage par compression, autrefois décriés pour leur pollution. Ne nous avait-on pas assuré qu’ils étaient respectueux de l’environnement et que les valeurs de consommation étaient quasi révolutionnaires par rapport aux moteurs à essence. De nombreux pays encourageaient le carburant diesel par des mesures fiscales. De notre point de vue actuel, c’était clairement une erreur de la politique économique qui a envoyé un mauvais signal. Et que fait la politique (allemande) à présent? Elle passe d’un extrême à l’autre. Elle s’attache désormais à bannir le diesel des centres-villes, autrement dit à prononcer des interdictions de circulation, dans le cadre d’un programme d’urgence paradoxalement intitulé «air propre». Cela ravira sans doute les citadins, mais qu’en est-il des millions de pendulaires qui ont besoin de leur voiture, parce que les transports publics sont irrémédiablement saturés aux heures de pointe et même en dehors? Comment pense-t-on du jour au lendemain supprimer un moyen de circulation qui est le premier d’entre eux, notamment à la campagne? La politique n’a pas de réponse à cette question et encore moins de solution. Et le secteur automobile le sait.

Le malheur des uns... 

C’est pourquoi il continue à mettre son grain de sel dans la politique, sans se gêner. Les déclarations de l’actuel patron du groupe VW en témoignent. «Quand on regarde les anciens bastions de l’automobile comme Detroit ou Turin, on sait ce qu’il advient des villes dans lesquelles des groupes autrefois puissants commencent à se fragiliser», a-t-il récemment affirmé. On peut parfaitement y voir une menace, puisqu’il concrétise sa pensée. Au cas où l’UE décréterait des valeurs limites de CO2 plus strictes pour les voitures, quelque 100’000 emplois seraient menacés, pour le seul groupe VW. Je suis sûr que ses collègues des autres constructeurs partagent cet avis. Et pour peu que l’on ait suivi l’action de Madame Merkel tout au long de ces années, on sait qu’elle ne mettra pas (plus) fin à cette interdépendance sans issue avec l’ancien secteur phare. Cela représenterait en effet beaucoup de travail et bien des désagréments. Son successeur pourra bien s’en charger. Il ne devrait plus se laisser intimider par le lobby automobile, comment ce fut le cas de presque tous les chanceliers de l’après-guerre. Car ce n’est pas la politique environnementale qui se chargera de supprimer des effectifs dans l’industrie automobile allemande. Cette tâche incombera à l’industrie 4.0 et à l’intelligence artificielle. Pour le malheur des nombreux salariés, mais tout de même pour le bonheur des actionnaires. 

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