Défendre le franc suisse, mais à quel prix?

Salima Barragan

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Selon Thomas Jordan, les taux négatifs de la BNS pénalisent les fonds de pension, les banques et de nombreux produits d'épargne.

Thomas Jordan, Président de la direction générale de la BNS. ©Keystone

Lors de sa dernière assemblée générale, le 26 avril, la Banque nationale suisse (BNS) annonçait un bénéfice de 30,7 milliards de francs au premier trimestre, provenant principalement des réserves de devises étrangères (qui ont rapporté 29,3 milliards). Mais les résultats sur devises dépendent de conditions du marché sur lesquelles la Banque n’a aucune emprise. Pour mémoire, elle avait perdu 7 milliards en 2017.

L’institut monétaire intervient massivement sur les marchés des changes pour défendre la devise nationale d’une appréciation trop forte qui serait nuisible aux entreprises suisses exportatrices. Mais cette stratégie ne cesse de gonfler son bilan qui, selon le Président du conseil sortant, Jean Studer, a plus que doublé en sept ans (au 31 décembre 2018, il atteignait 817 milliards de francs). L’expansion du bilan contraint la BNS à renforcer continuellement ses fonds propres (et plus précisément la provision pour réserves monétaires, un volant de sécurité contre les pertes sur les devises lorsque les conditions de marché deviennent défavorables).

«La Suisse a résisté à la crise de ces 12 dernières années.»

Jean Studer s’est félicité de ce que «la Suisse ait résisté à la crise de ces 12 dernières années et que la politique monétaire non-conventionnelle reste appropriée ». Le taux d’intérêt appliqué aux avoirs à vue détenus à la BNS est fixé à – 0,75%. La BNS a ainsi permis à la Suisse de maintenir le cap grâce à sa politique de taux négatifs, mais au détriment des épargnants et de leur futur pouvoir d’achat.

Thomas Jordan, Président de la direction générale, observait par ailleurs que «les taux négatifs de la BNS pénalisent les performances des banques, des fonds de pension et de nombreux produits d'épargne». Cette politique a également favorisé des investissements immobiliers irréfléchis (dans une logique de financement bon marché) et élevé le niveau des prix des biens immobiliers, ce qu’Andréa Maechler, membre de la direction générale a justement souligné: «Les prix montent, le taux de vacance immobilière monte, cela crée un certain niveau de risque de correction des prix». Lorsque les taux redeviendront positifs, le marché hypothécaire pourrait imploser. Et les emprunts contractés, alors que le loyer de l’argent se renchérit, deviendront plus difficiles à rembourser. Est-ce cohérent avec le mandat de stabilité financière de la BNS?

L’institut monétaire reste déterminé
et exclut un retour rapide des taux positifs.

Les membres de la BNS sont lucides quant aux effets néfastes des taux négatifs. Mais pour l’instant, l’institut monétaire reste déterminé et exclut un retour rapide des taux positifs. Selon certains analystes, elle ne normalisera pas sa politique monétaire avant 2020. D’autant plus qu’elle reste dépendante des décisions de la Banque Centrale Européenne (BCE). Selon Irina Martin, économiste à la Banque Migros: «Il est très improbable que la BNS relève ses taux avant la BCE afin de ne pas rendre le franc plus attrayant par rapport à l’euro». Depuis décembre 2018, le franc s’est légèrement déprécié en valeur pondérée par le commerce extérieur. Mais à quel prix?

Le grand défi de la BNS sera donc de sortir de sa politique de taux négatifs en limitant la casse. Selon Jean-Paul Jeckelmann, CIO de la Banque Bonhôte, «avec un bilan de cette importance, des petits mouvements de 10% auront de gros effets. Cela pourrait créer aussi bien des secousses sur les marchés que des pressions politiques».

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