Déclin de l'Allemagne? Peu importe!

Martin Neff, Raiffeisen

4 minutes de lecture

L’élimination de l’équipe nationale allemande dans la phase de pool d’une Coupe du monde a choqué les Allemands et les a brièvement tirés de leur léthargie.

«Ce fut autrefois un grand pays» titrait récemment le magazine d’information Der Spiegel. Le sous-titre portait sur l’économie, mot-clé dieselgate, la politique, mot-clé drame de la coalition ou question des réfugiés, et bien sûr le passe-temps le plus important des Allemands, mot-clé football. L’élimination de l’équipe nationale allemande dans la phase de pool d’une Coupe du monde de football, qui constitue une première historique, a choqué les Allemands et les a brièvement tirés de leur léthargie. Jusqu’à alors, ils semblaient comme anesthésiés par les tergiversations et les atermoiements de la politique d’Angela Merkel et le fameux «tout va bien», grâce à une économie performante et au plein emploi. Les Allemands vivent comme dans la Rome antique, lorsque des jeux étaient organisés au Colisée, alors que les frontières de l’empire étaient déjà à feux et à sang. Et qu’importe que les Coréens du Sud aient chatouillé leur fierté. Ce n’est qu’un mauvais moment et on continue à bricoler avec Joachim Löw.

Nous sommes parfois un peu jaloux des Allemands
même si nous les trouvons parfois arrogants.

La nation footballistique a bien été traversée par un bref frémissement lorsque le DFB et son manager Oliver Bierhoff ont versé de l’huile sur le feu avec une communication indubitablement ratée, qui restera dans les annales de tout spécialiste des RP comme l’exemple même de ce qu’il ne faut pas faire. En Suisse, nous sommes parfois un peu jaloux des Allemands et même si nous les trouvons parfois arrogants et sans gêne, il nous arrive aussi de les imiter quelque peu, incognito, cela va de soi. Mais que notre propre fédération de football ait mis les pieds dans le même plat est tout de même un peu gênant. Les Allemands comme modèle en football? Il vaudra mieux éviter à l’avenir. Mais revenons-en à l’économie de l’Allemagne ou «Schland», comme les fans de football allemands imbibés d’alcool aiment appeler leur pays.

En nouvel allemand, sans alternative est synonyme d’indifférent

Entre-temps, nos voisins du Nord acceptent pratiquement tout. Par exemple la formation d’un gouvernement à l’italienne ou le fait qu’Horst Seehofer ait plongé le gouvernement dans une crise, tout en poursuivant sans égards ses propres objectifs qui restent très nébuleux. Ou qu’Angela Merkel soit encore en mesure de gouverner et qu’elle vende une supercherie montée avec une coalition faiblarde de volontaires en Europe comme une percée dans la crise des réfugiés. Que Joachim Löw se présente désormais comme sans alternative à l’instar d’Angela Merkel, alors qu’il a échoué tout comme elle. Que trois ans après le dieselgate, l’industrie automobile, le secteur qui fait toute la fierté de l’Allemagne, tente encore de balayer sous le tapis une escroquerie de l’Etat et des consommateurs d’une ampleur sans doute sans équivalent et que l’Etat continue de le cajoler au lieu de lui passer un savon. Que l’Allemagne poussée par une réaction épidermique à Donald Trump tente à présent de se rapprocher de la Chine, un pays qui respecte les droits de l’homme autant qu’Audi et Cie respectent les valeurs des gaz d’échappement. Tout cela ne semble pas particulièrement inquiéter les Allemands. Au fond, ils vont bien et lutter contre l’absence d’alternative impliquerait de se risquer hors de la zone de confort, ce qui n’est plus dans la mentalité allemande. Autrefois, on servait de modèle au monde entier, aujourd’hui l’indifférence règne en maître.

Les Allemands se désintéressent même de leur chouchou

Autrefois, la voiture était ce qui tenait le plus à cœur aux Allemands et gare si quelque chose ne fonctionnait pas à la perfection dans cet ouvrage sur mesure allemand. Les esprits avaient tôt fait de s’échauffer. Aujourd’hui, les Allemands relèvent à peine combien le secteur se disqualifie lui-même. Ou est-ce que les propos des «auto-crates» dépassent depuis longtemps l’entendement du citoyen lambda? Avertissement sur bénéfices chez Daimler et action de rappel, qu’importe? Benz reste Benz, bien que des dispositifs de coupure illégaux aient été retrouvés dans plus de 750'000 véhicules en Allemagne.

Comment des groupes autrefois exemplaires échappent à tout contrôle?
Les Allemands ne s’en soucient pas vraiment.

Tout va s’arranger. Tu parles, jusqu’en mai, des modèles de la classe C avec les moteurs incriminés étaient encore produits. Sans compter le patron de VW Matthias Müller, qui a entre-temps été remplacé à la tête du groupe, qui a accusé Tesla de dilapider des millions et l’a attaqué comme si son propre groupe n’avait jamais manipulé les valeurs d’échappement. Cela a coûté son poste à Müller et VW a dilapidé des milliards avec son logiciel truqué. Et pour finir BMW. Le constructeur automobile bavarois achète des cellules de batteries chinoises pour des milliards d’euros et en échange les Chinois construisent une grande usine de batteries en Thuringe. BMW ne pourrait-elle pas le faire elle-même ou se préoccupe-t-on trop du passé et du présent? C’est du moins l’impression qu’a donné le patron de BMW Harald Krüger dans l’interview accordée au Handelsblatt le week-end dernier. Il a certes reconnu être affecté par la dimension humaine du placement en détention de son collègue Rupert Stadler d’Audi, mais a déclaré en réponse à la question des conséquences que BMW tirait de la dégradation de l’image de marque de l’industrie automobile: «Pour moi, ce point mérite réflexion (...)» et d’ajouter que la crédibilité serait un facteur extrêmement important et l’une des valeurs essentielles pour BWM Group.

Il regretterait sincèrement que BMW soit obligée de rappeler plus de 10'000 véhicules avec un logiciel de gaz d’échappement défectueux et juge cela ennuyeux. Et surprise: l’installation du logiciel défectueux serait une erreur technique. Cela fait penser à une imprécision manuelle. Et montre comment balayer les incohérences, tu parles d’une information inconditionnelle. Et Harald Krüger ressort à présent l’argument que brandissaient déjà les dirigeants des banques au plus fort de la crise financière, même en Suisse: «Comment puis-je savoir en détail ce que font nos 130'000 collaborateurs?» Comment des groupes autrefois exemplaires échappent à tout contrôle? Les Allemands ne s’en soucient pas vraiment, à l’exception des concessionnaires automobiles qui doivent réparer les pots cassés. Mais grâce à maman, l’Allemagne se porte encore mieux que les autres.

Zones d’accostage

Peut-être certains d’entre vous se souviennent-ils encore du tube «Carbonara» du groupe allemand Spliff de l’année 1982. Celui-ci disait: «L’amaretto c’est génial, je bredouille et suis déjà dans les vapes». C’était une véritable rengaine à l’époque. Elle faisait référence à la manière dont s’exprime une personne avinée, généralement de façon incohérente et décousue. Quant aux vapes, cela fait penser à ennuyer, endormir, émousser, calmer, apaiser, raser. Aujourd’hui, l’Allemagne bredouille et est dans les vapes. Seul le football aurait encore pu provoquer des émotions, mais c’est un lamentable échec.

Mais c’est déjà du passé. La capacité d’innovation en Allemagne est en revanche intacte et culmine dans la création de nouvelles expressions. Les «zones d’accostage» en sont une. Aucun pays d’Afrique n’en veut et aucun politicien en Europe ne sait comment elles fonctionneront. Mais pour Angela Merkel il suffit de différer un problème pour qu’il soit réglé. Il n’empêche que la foi dans la propre grandeur est toujours intacte. Il suffit de voir la publicité de Daimler pour la nouvelle classe C. Le slogan: BEST NEVER REST et des joueurs de l’équipe nationale, l’entraîneur et le onze national sous l’étoile Mercedes.Tous Made in Germany. Nous ne devrions pas faire comme notre fédération de football et imiter les Allemands, nous laisser endormir par la prospérité et nous reposer sur des lauriers gagnés par d’autres. Dans ce cas, le Made in Switzerland restera une valeur sûre. Et ma prochaine voiture? Peut-être une française, peut-être même le nouveau champion du monde.