Comment le blockchain transformera les services financiers?

Salima Barragan

3 minutes de lecture

Dématérialisation des paiements, tokenisation des actifs… Le point avec Nicolas Roth de REYL et Tomasz Godziek de J. Safra Sarasin.

Nicolas Roth, responsable des investissements alternatifs chez REYL, et Tomasz Godziek, gérant chez J. Safra Sarasin.

Le blockchain est la dénomination courante pour le «Distributed Ledger Technology (DLT)». Ce système de base de données décentralisées permet le partage des informations de façon instantanée avec un niveau de confiance sans précédent. En effet, lors de chaque nouvelle opération, un bloc inaltérable est écrit dans la chaîne de blocs, rendant les données stockées plus sûres. Le secteur financier, pionner dans l’adoption des nouvelles technologies, est en effervescence pour l’intégrer à ses activités. Selon la société de consulting Greenwich Associates, l’industrie mondiale dépense près de 1,7 milliard par an dans des projets liés au blockchain et les budgets dédiés ont augmenté en moyenne de 67%. 

Vers une dématérialisation des opérations financières

Le blockchain se prête aux processus impliquant de multiples acteurs et des échanges de données ou de flux financiers, comme les réseaux de crypto devises mais aussi les services financiers. En Asie, la dématérialisation des paiement dans les achats quotidiens a déjà été amorcée. Pour ce qui est des règlements, la tendance s’oriente vers un marché instantané et réglé électroniquement. «Nous évoluons vers une société sans numéraire, dans laquelle les transferts et les paiements devraient être immédiats, et non plus à une date de valeur d’un ou deux jours plus tard», explique Nicolas Roth, responsable des investissements alternatifs chez REYL. Mais pour en arriver là, les établissements financiers devront revoir entièrement leur infrastructure informatique et le déploiement de ces projets pharaoniques demandera du temps. «A l'échelle mondiale, les banques sont pressées de mettre à niveau leur infrastructure de paiement, mais la charge de travail pour une transformation complète est énorme», estime Nicholas Roth.

L'offre d'actifs tokenisés, qui seront ensuite négociés sur
des marchés numériques décentralisés, parait très probable.

La gestion d'actifs est également candidate à des innovations pour faciliter la vie des investisseurs. Les documents administratifs à remplir lors des souscriptions à certains fonds de placement peuvent s'avérer fastidieux et cette étape pourrait être évitée grâce au système de données décentralisées. A l’instar des jetons Bitcoin, d’autres classes d’actifs pourraient également être «tokenisées», c’est-à-dire symbolisée. «L'offre d'actifs tokenisés, qui seront ensuite négociés sur des marchés numériques décentralisés, nous parait très probable. Comme l'un de nos partenaires l'a remarqué, nous pouvons voyager dans le monde entier avec un passeport et un smartphone, alors pourquoi ne pouvons-nous pas également échanger un fonds de private equity avec un smartphone?», souligne Nicolas Roth. Les investisseurs accèderaient ainsi plus aisément à toute une gamme d’actifs.

Enfin, cette technologie disruptive pourrait également diversifier les activités des banques en stockant les actifs numériques dans un environnement sécurisé. «Les banques ont été utilisées depuis toujours comme gardiens d'actifs, qu'il s'agisse de lingots d'or ou de certificats d'actions. Et le monde évolue vers les actifs numériques, mais le besoin d'un stockage sécurisé demeure, et les banques sont probablement les mieux placées pour combler ce vide», observe Nicholas Roth.

Des données plus fiables à des coûts moindres

Non seulement le blockchain pourra simplifier l’exécution des paiements, des transactions, des compensations et des règlements, mais d’autre activités bancaires, comme le financement, (les lettres de crédit et la gestion des garanties), le contrôle financier et le reporting, le compliance et l’audit gagneront en efficience. «Un seul grand livre va réduire les coûts frictionnels et les inefficacités et apporter de l'automatisation. Par exemple, les contrats intelligents dans le monde des titres à revenu fixe pourraient simplifier considérablement les processus de garde, réduisant ainsi les coûts administratifs», estime Tomasz Godziek, gérant de la stratégie d’investissement durable «Technology Disruptors» chez J. Safra Sarasin. Ainsi, une fois les investissements liés à son implémentation amortis, les charges opérationnelles seront amenuisées.

La Distributed Ledger Technology convient aux opérations lentes.
Le réseau Bitcoin traite 7 transactions par seconde. Visa peut en traiter 50'000.

Un rapport récent d’Accenture chiffre un baisse des coûts de l’ordre de 70% sur les activités de trésorerie, de controlling et de reporting grâce à l’optimisation et la transparence des données. Une réduction de 50% sur les activités de middle-office et de back-office grâce à l’élimination des étapes de réconciliation et de confirmation. Enfin, c’est le département du compliance et des contrôles des transactions financières qui devrait voir ses charges coupées de 30 à 50% . 

Une technologie non sans failles

Les limites dépendent des technologies sous-jacentes utilisées. «DLT est en fait un mélange de plusieurs technologies dont la cryptographie, le merkle tree, le hashing et le réseau peer-to-peer», explique Tomasz Godziek. Ainsi, parce qu’il s’agit d’un réseau distribué, le système perd en rapidité et serait donc plus adapté aux opérations non rapides comme les règlements et les transferts d'argent qu'à l’échange de titres via les systèmes de trading à haute fréquence. «Actuellement, le réseau Bitcoin traite 7 transactions par seconde. Visa est largement citée comme étant capable de traiter 50'000 transactions par seconde ou 180 millions de transactions par heure sans aucune chaîne de bloc», souligne Tomasz Godziek. 

Le réseau Bitcoin consomme plus d'énergie que l'ensemble de la Suisse.

De plus, les coûts élevés de l'exploitation minière entraînent une très forte consommation d'énergie. A titre de comparaison, la quantité nécessaire à l'exécution d'une seule transaction bitcoin est identique à celle consommée par 26 ménages américains en une journée. C’est-à-dire que le réseau Bitcoin consomme plus d'énergie que l'ensemble de la Suisse. Cela amène à se questionner sur l’aspect environnemental  de cette technologie.

Une autre faille du système citée par Tomasz Godziek est communément appelée «l'attaque des 51%»: «Dans un système dit «Proof of work», si plus de la moitié des ordinateurs qui desservent le réseau s'alignent ensemble, ils pourraient imposer leur propre version de la «vérité». Pour cette raison, les gisements miniers de bitcoins sont surveillés de près par la communauté, s'assurant que personne n'obtient une telle influence du réseau». Irons-nous alors vers la création d’un nouvel organe de surveillance internationale?

Ainsi, beaucoup de questions entourent l’adoption croissante du blockchain dans les services financiers. Cela va obliger les instituts et les régulateurs à établir de nouvelles normes pour le stockage de données et des exigences en termes de sécurité et de contrôle. D’ailleurs, un consortium important, R3, a déjà été créé afin que les acteurs puissent réfléchir ensemble à ces aspects. «Grâce à des consortiums comme R3, les banques investissent déjà activement dans la technologie et ont l'intention de l'adopter là où elle a du sens», explique Tomasz Godziek. Les banques d’affaire, les banques commerciales et les gestionnaires d’actifs sont ainsi en première ligne pour entrer dans une nouvelle ère.

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