Cinq questions sur la résolution de la crise

Jean-Charles Crouzet, Banque Heritage

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Les réponses de Jean-Charles Crouzet, membre de l'Association des Stratégistes d'Investissement de Genève (ISAG).

2008/2018: avec le recul, la résolution de cette crise par les banques centrales a-t-elle fait ses preuves?

Les mesures prises par les banques centrales, et plus particulièrement celles de la Fed au plus vif de la crise en 2008/2009, ont empêché le pire, c’est à dire un effondrement du système financier et une dépression du style 1929 aux Etats-Unis.

Cependant, ces politiques monétaires de laboratoire sans précédent sont quasiment toujours en place aujourd’hui dans la plupart des pays développés (Europe, Japon, Suisse), et même si la normalisation des taux d’intérêts a été entamé fin 2015 aux USA, le bilan de la Fed ($4.175 trillions) reste surdimensionné. Les conséquences perverses et les dommages collatéraux sont importants: les taux zéro ont certes permis aux banques d’améliorer leur marge en relançant le crédit mais ont pénalisé les épargnants. De plus, les Etats ainsi que certaines sociétés sortent de cette décennie plus affaiblis à en juger par la montée du populisme et les niveaux d’endettement.

Le bilan est donc mitigé car si le pire a été évité, il n’en reste pas moins que la situation actuelle reste certainement plus précaire qu’elle ne l’était avant la crise de 2008 en termes de fragilité financière.      

L’effort réglementaire a-t-il porté ses fruits?

Aux Etats-Unis, la reforme Dodd-Frank mise en place par l’administration Obama a permis de réguler et de limiter les prises de risque excessives par les banques qui avaient été à l’origine de la crise de 2008. Pour se faire le «Financial Stability Oversight Council» fut créé avec pour buts de protéger les consommateurs contre les pratiques de prêts abusifs ainsi que de démanteler les banques jugées trop menaçantes pour le système financier (too big to fail). Enfin, cette réforme permettait à la Fed de forcer les banques à augmenter leur réserves afin d’améliorer leur ratio de solvabilité. Par conséquent, le système bancaire américain se trouve aujourd’hui plus compétitif avec des bilans plus sains qu’ils ne l’étaient il y a dix ans. Ce n’est malheureusement pas le cas pour leurs concurrents européens dont les bilans sont toujours gonflés par des créances douteuses et un levier toujours conséquent.   

Les banques ont-elles pris la mesure de leurs responsabilités? Est-ce suffisant?

Les banques américaines par exemple ont levé deux fois plus de capital sur les marchés financiers que leurs paires européennes et ont réajusté le prix de leurs créances douteuses de façon plus agressive. Si ces mesures semblent être suffisantes pour aborder la prochaine crise de l’autre côté de l’Atlantique, beaucoup reste à faire de ce côté-ci. La BCE est là en dernier recours mais les institutions financières se sont certainement trop reposées sur ses épaules pendant toutes ces années.   

Comment le métier de stratège en investissement a-t-il évolué?

Le métier a forcément évolué car les méthodes utilisées par les banques centrales sont sans précèdent. Par conséquent leurs influences sur les classes d’actifs ont été comprises au fur et à mesure mais ont également contribué à une extension extraordinaire du cycle économique et à une lecture plus difficile de certains agrégats macro-économiques. Il a fallu également vivre plus longtemps que prévu avec des classes d’actifs plus corrélées entre elles et jouissant de valorisations bien au-delà de leur normes historiques, rendant la gestion de portefeuille compliquée et plus risquée. De plus, le choix des instruments se révèle être primordial car la suppression de la volatilité des actifs financiers orchestrée par les banques centrales a favorisé l’émergence de la gestion passive, au détriment de la gestion active. Si l’avantage principal de ce phénomène est la réduction des frais de gestion, le principal danger réside, entre autres, dans l’inadéquation de la liquidité de certains produits passifs et de leurs sous-jacents.     

D’où pourrait venir la prochaine crise et à quelle échéance?

Il faut différencier une crise et une prise de profit (autour de 20%). Une correction est certainement à envisager dans un avenir proche tellement les actifs risqués sont chers en cette période de fin de cycle. En revanche, les crises sont plus rares et impliquent la plupart du temps le système bancaire. Elles ont des répercussions plus larges dans l’amplitude et le temps. La prochaine crise pourrait venir d’une dégradation de la situation des pays émergents (à la 1998), ou encore, d’une récession en Chine, d’une vague de faillites spectaculaires (Tesla), d’une guerre au Moyen-Orient (lutte de pouvoir entre Russe, Iran, Chine d’un côté, et US, Arabie Saoudite et Israël de l’autre). Ou bien, la prochaine crise trouvera encore ses racines dans les méandres du secteur financier puisque l’une des mesures prônées par Trump durant sa campagne présidentielle était de modifier la reforme Dodd-Frank, qui, selon lui,  limiterait les capacités de prêts bancaires et restreindrait la croissance économique. Dans un contexte de dettes record tant au niveau des états que des entreprises, il serait imprudent d’assouplir les régulations bancaires au risque de voir d’autres bulles s’ajouter à celles déjà existantes.