Changement de régime en vue pour la technologie en 2018

Norman Villamin, Union Bancaire Privée (UBP)

3 minutes de lecture

La croissance des bénéfices constitue de loin la plus forte contribution à la performance mais le ratio P/E semble désormais constituer un frein.

Depuis la crise financière de 2008-2009, le secteur de la technologie a affiché une performance annuelle impressionnante de 15,4%, surpassant largement celle des actions globales (10,2%), et même celle des actions orientées croissance («growth») (11,5%). L’année 2018 semble poursuivre sur cette tendance avec une progression des actions technologiques de près de 12% à fin juillet, surperformant leurs homologues «growth» (7%) et les actions globales (4%).

Avant 2018, les investisseurs profitaient essentiellement de trois sources de performance, à savoir la croissance des bénéfices, l’augmentation des dividendes et l’expansion du ratio P/E (cours/bénéfices). Les investisseurs ont raison de penser que la croissance des bénéfices a constitué le moteur essentiel de performance du secteur technologique depuis la crise, mais elle a en réalité représenté seulement 49% de la performance totale. L’expansion du ratio P/E s’est révélée être une autre source de performance significative, représentant 37% de la performance totale sur la période.

Depuis le début de 2018, les moteurs de performance ont profondément changé. La croissance des bénéfices a de loin constitué la plus forte contribution à la performance mais, par contre, le ratio P/E semble désormais constituer un frein.

S’agissant des performances futures, il paraît peu probable que le ratio P/E puisse véritablement retrouver son rôle de moteur pour le secteur, comme cela avait été le cas depuis la crise financière. En dehors de la bulle technologique des années 2000 ou des périodes de récession et de crise, le secteur a affiché un ratio cours sur bénéfices glissants qui est resté en tendance autour de 22-25 fois. Il semble désormais évident qu’en l’absence d’une bulle, le secteur technologique ne pourra plus s’appuyer sur un «re-rating» des ratios P/E pour tirer la performance dans les années à venir.

S’appuyer sur la croissance des bénéfices
et composer avec une volatilité accrue.

Comme observé récemment, le fait pour les investisseurs de s’appuyer plus largement sur la croissance des bénéfices pour dynamiser la performance du secteur de la technologie – même si cela n’est pas nouveau pour eux – signifie aussi qu’ils doivent s’attendre à davantage de volatilité dans ce secteur.

En effet, avec des actions technologiques qui se traitent à près de 24x les bénéfices glissants, celles-ci se situent dans le haut de la fourchette des 22-25x, qui sert de référence historique mais aussi de contrainte pour les valorisations. Si les multiples, déjà au-dessus de leurs plus hauts de 2018, devaient se contracter vers le bas de la fourchette, soit à 22x, cela suggérerait que la performance sur l’année resterait positive mais avec un recul possible de 4% par rapport aux niveaux actuels.

Si, au contraire, les multiples se maintenaient tout près de leurs niveaux actuels, les investisseurs pourraient envisager que la croissance des bénéfices de 22% attendue pour 2018 soit à même de soutenir une performance totale additionnelle de 4-5% pour la fin d’année. Dans un scénario plus optimiste, si le ratio P/E revenait à 25x, soit le plus haut enregistré en 2018, les investisseurs pourraient alors s’attendre à 11% de performance supplémentaire, en plus des 12% déjà atteints à fin juillet.

Des opportunités toujours aussi attrayantes

Même si les investisseurs doivent s’attendre à des performances absolues de plus en plus volatiles, l’attrait du secteur de la technologie n’en reste pas moins intact. Les actions technologiques sont de fait une composante majeure des titres de croissance sur le marché américain, ce qui a alimenté la forte surperformance des actions «growth» (+10,4%) par rapport aux actions de rendement ou «value» (+2,2%) à fin juillet. Ainsi, les actions de croissance américaines, tirées par les titres technologiques, ne montrent en réalité aucun signe avant-coureur de divergences fondamentales, contrairement à ce qui avait été observé juste avant la bulle technologique de 2000.

Les investisseurs devraient se désengager
d’une exposition passive à la technologie.

L’amélioration continue du rendement des capitaux propres (RoE) du côté des actions technologiques américaines est en effet l’une des raisons essentielles de la vigueur du rally de l’année passée. Le RoE du secteur a ainsi augmenté, passant d’une fourchette de 15-20% sur le cycle précédant 2008 à celle désormais plus solide de 20-25% (voire plus), grâce notamment à la croissance des rachats d’actions et à une hausse des taux de distribution des bénéfices depuis 2012.

Les baisses d’impôts opérées outre-Atlantique en 2018 ont logiquement contribué au récent «re-rating» des RoE dans le secteur de la technologie. Etant donné que les taux de versement parmi les sociétés technologiques américaines se situent encore à un niveau modeste de 20% en comparaison des autres secteurs, elles semblent toujours largement en mesure de continuer à utiliser ces programmes de rachat d’actions et de hausse des dividendes pour soutenir les bénéfices et la performance.

Ainsi, malgré ce changement de régime – et notamment une expansion du ratio P/E qui ne constitue plus un moteur de performance –, l’amélioration du profil de performance du secteur technologique par rapport au marché au sens large (surtout aux Etats-Unis) suggère que ce secteur restera attrayant pour les sélectionneurs de titres. Ils devront pouvoir se détourner des sociétés exposées à la contraction des multiples, pour privilégier celles affichant des bénéfices pérennes et réguliers, ainsi que des perspectives de valorisations stables.

Par conséquent, les investisseurs devraient se désengager d’une exposition passive à la technologie (à savoir basée sur l’indice), pour chercher plutôt à bénéficier des opportunités de gestion active qui devraient apparaître à la suite du changement de régime dans ce secteur en 2018.